La reine Cléopâtre n'est pas la Petite Sirène

Adele James dans le rôle de la reine Cléopâtre (Photo, Netflix).
Adele James dans le rôle de la reine Cléopâtre (Photo, Netflix).
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Publié le Mardi 25 avril 2023

La reine Cléopâtre n'est pas la Petite Sirène

La reine Cléopâtre n'est pas la Petite Sirène
  • Le peuple le plus sensible à l’humour et le plus décontracté du monde arabe s'en prendra à vous si vous osez insulter, dénigrer ou déformer ses figures historiques et son patrimoine
  • Même si Jada Pinkett Smith connaît la civilisation égyptienne ancienne ou s'y intéresse, le sujet n’aura jamais pour elle ou pour un Américain la signification qu’il a pour l'Égyptien moyen

Les Égyptiens acceptent de rire de tous les sujets ou presque, exception faite de leur histoire et de leur culture. En effet, le peuple le plus sensible à l’humour et le plus décontracté du monde arabe s'en prendra à vous si vous osez insulter, dénigrer ou déformer ses figures historiques et son patrimoine; certains précèdent de 3 000 ans la naissance du Christ.

C'est pourquoi la controverse actuelle autour de la récente série de Netflix, Queen Cleopatra, risque de passer inaperçue pour les Américains. Après tout, leur pays n'a que 247 ans. C'est notamment le cas de la productrice exécutive de la série, Jada Pinkett Smith. Elle s’est justifié en soulignant, à juste titre, que les histoires de reines noires étaient sous-représentées.

Aussi noble que soit sa cause, et même si Jada Pinkett Smith connaît la civilisation égyptienne ancienne ou s'y intéresse, le sujet n’aura jamais pour elle ou pour un Américain la signification qu’il a pour l'Égyptien lambda. En effet, les Égyptiens apprennent dès leur plus jeune âge que c'est presque un devoir patriotique d'être fiers de leur culture et de leur longue histoire.

Le seul aspect problématique est que Netflix a qualifié la série de "docudrame". Cela signifie par défaut que les téléspectateurs s'attendent à ce que les faits soient aussi conformes que possible à l’exactitude historique.

Faisal J. Abbas

Pour ceux qui n'ont pas compris l'origine de cette discussion polémique, voici un résumé : la série met en scène Adele James, une brillante actrice britannique noire, dans le rôle de la reine égyptienne.

Quel est donc le problème ? Eh bien, si la série avait été fictive, je ne dirais absolument rien - comme je l'ai mentionné, Adele James est une actrice brillante (et bien que je ne sois pas un critique de cinéma, je dirais qu'elle a très bien joué le rôle).

Le seul aspect problématique est que Netflix a qualifié la série de "docudrame". Cela signifie par défaut que les téléspectateurs s'attendent à ce que les faits soient aussi conformes que possible à l’exactitude historique. Étant donné que tout ce que nous savons de Cléopâtre suggère qu'elle était d'origine macédonienne et grecque, il aurait été plus juste qu'elle soit jouée par une actrice blanche. (Donc, même une Arabe n'aurait pas été la plus appropriée pour le rôle).

Il ne s'agit pas là de mon opinion personnelle, mais de l'avis éclairé du Dr Zahi Hawass, l'un des plus grands spécialistes mondiaux de l'égyptologie. Il a récemment écrit une chronique pour Arab News résumant toutes les preuves historiques que Cléopâtre était, en fait, d'origine européenne et non africaine.

"Cléopâtre était beaucoup de choses et méritait que son histoire soit racontée au public moderne, mais il y a une chose qu'elle n'était absolument pas : elle n'était pas noire", a-t-il déclaré.

En tant que lecteur critique, lorsque l'on me présente un expert renommé en la matière qui cite ses propres recherches - qui ont permis de découvrir des statues et des pièces de monnaie anciennes - pour prouver son point de vue, je suis enclin à le croire. Et c'est exactement ce qu'a fait le Dr. Hawass dans sa chronique, il y a quelques jours. Son argumentation était bien plus convaincante que celle de l'actrice James qui affirmait tout simplement : "Si vous n'aimez pas le casting, ne regardez pas la série".

Il va sans dire que la nature de la discussion - compte tenu du contexte politique et raciale enflammée qui prévaut actuellement aux États-Unis - a donné lieu à des commentaires racistes déplorables, insultants et tout à fait inutiles sur internet. Il ne fait aucun doute que cela doit être condamné, et s'il y avait eu plus d'adultes dans les salles de discussion, le débat n'aurait jamais été autorisé à aller aussi loin.

Nous, les Arabes, et plus particulièrement les Égyptiens, ne faisons pas partie de la politique raciale des États-Unis et nous ne voulons rien avoir à faire dans ces débats.

Faisal J. Abbas

En fait, je me souviens d'en avoir fait moi-même l'expérience en septembre dernier, alors que j'étais à New York au moment de l'Assemblée générale des Nations unies. La grande nouvelle était la sortie de la bande-annonce du nouveau film de Disney, La Petite Sirène, dans lequel l'actrice noire Halle Lynn Bailey jouait le rôle d'Ariel la sirène.

Je n'en revenais pas de l'agitation et de la colère que je constatais sur les réseaux, et surtout de la façon dont un innocent personnage de dessin animé pouvait devenir un sujet politique et susciter autant de haine. Encore une fois, je ne suis pas américain, donc ma position reste la même : c'est un personnage de dessin animé, et alors si elle est représentée comme noire ?

En fait, j'ai trouvé que c'était une sage décision de la part de Disney, qui, comme beaucoup d'autres grands producteurs d'Hollywood, a historiquement obtenu de mauvais résultats en matière d'inclusion. Marvel a également expérimenté un Spiderman noir et, plus important encore pour nous dans cette région, nous voyons enfin des Arabes et des Musulmans jouer le rôle de héros et non de méchants au cinéma.

Cependant, le problème ici est très clair et très différent : La reine Cléopâtre n'est pas la petite sirène. La première était un personnage historique réel, vieux de plusieurs milliers d'années, la seconde est une œuvre d'imagination qui date de 1837. En outre, nous, les Arabes, et plus particulièrement les Égyptiens, ne faisons pas partie de la politique raciale des États-Unis et nous ne voulons rien avoir à faire dans ces débats. Ni moi, ni les journalistes, nombreux, et artistes égyptiens avec lesquels j'ai discuté, ne pouvons imaginer que la Reine Cléopâtre aurait fait sourciller qui que ce soit si la série avait été simplement qualifiée d'œuvre de fiction.

Si vous faites entrer Cléopâtre dans le XXIe siècle, il ne s'agit plus d'un docudrame, mais d'une parodie, et vous pourriez tout aussi bien lui faire porter un jean et des baskets !

Faisal J. Abbas

Le problème - du moins de notre point de vue - semble être une tentative intentionnelle d'entraîner une icône historique égyptienne glorifiée dans les méandres des divisions américaines actuelles. Il ne s'agit pas d'une accusation, mais plutôt de ce que la réalisatrice britannico-américaine de la série, Tina Gharavi, a insinué dans une colonne du magazine Variety il y a deux jours, avouant que le casting était en effet politique.

"En faisant des recherches, j'ai réalisé à quel point ce serait un acte politique que de voir Cléopâtre interprétée par une actrice noire", écrit-elle.

"La chasse était ouverte pour trouver la bonne interprète qui ferait entrer Cléopâtre dans le XXIe siècle", a-t-elle ajouté.

Pardon ? Cléopâtre aurait régné sur l'Égypte entre 51 et 30 avant J.-C. - c'est là qu'est sa place. Si vous la faites entrer dans le XXIe siècle, il ne s'agit plus d'un docudrame, mais d'une parodie, et vous pourriez tout aussi bien la faire porter un jean et une paire de baskets !

Il ne serait pas correct de produire un documentaire sur Jeanne d'Arc en la faisant passer pour un homme, ni un biopic sur le président Barack Obama en le faisant passer pour un Cubain ou un Américain d'origine chinoise. Le traitement pour la reine Cléopâtre n'aurait pas dû être différente.

Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d'Arab News. Twitter: @FaisalJAbbas

 

L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com