MARSEILLE: "J'aurais préféré rentrer dans mon école mais on fait avec ce qu'on a": Romane, en CM1, est philosophe car son école reste mardi le poste de commandement des marins-pompiers de Marseille qui recherchent encore deux disparus dans les décombres d'un immeuble effondré.
Ce week-end, elle a confectionné des crêpes avec sa mère pour les sinistrés et a préparé un mot au feutre plein de couleurs: "Gardez espoir et n'oubliez pas que tout le monde fait tout son possible pour vous aider".
Les enfants de l'école Franklin Roosevelt, située rue de Tivoli où s'est produite l'explosion qui a soufflé un immeuble, faisant au moins six morts, ont été répartis dans les écoles et centre du loisirs du quartier.
Beaucoup sont restés dans leur famille mais pour José Gonzalez, père d'une autre fillette de CM1, c'était important "qu'ils sortent de la maison et qu'ils parlent entre eux, avec leur langage d'enfants", dit-il devant l'école Michelet Foch qui accueille mardi six enfants de Franklin Roosevelt.
L'une des maîtresses arrive. "On fait aller", lance-t-elle. Une autre, habitant une rue proche de celle où s'est produit l'effondrement, confie avoir préparé les valises de la famille dans l'entrée au cas où elle devrait être évacuée. Un total de 220 logements dans une trentaine d'immeubles ont été évacués, en raison des risques de fragilisation causés par l'explosion.
La journée ne sera pas une journée de classe mais de temps de jeux et de parole.
Le quartier familial, bordé de commerces de bouche réputés, va devoir s'habituer à cette immense cicatrice. Mardi matin, les artères autour des lieux du drame étaient encore barrées par des policiers où une centaine de marins-pompiers s'affairaient.
Ici, "c'est vraiment leur monde, leur limite-monde et là il est touché en plein coeur avec un sentiment de grande fragilité d'un coup", témoigne Mauve Carbonell, professeure d'université mère d'une fillette en CE2 et d'un collégien.
"Je ne sais pas dans quelle mesure ils vont évacuer les choses", ajoute la mère qui espère que les "psy sauront trouver les mots auprès des enfants qui ont vécu un grand stress". Des psychologues ont été déployés dans tous les lieux d'accueil, certains portant un gilet blanc "samu-psy".
Camarade évacuée par le toit
Il y a eu l'explosion, la fumée, les secours mais surtout la peur pour deux des copines de l'école. Heureusement, l'une n'était pas sur les lieux ni sa mère.
Une autre élève de l'école, dans l'immeuble voisin, le 15 qui s'est effondré quelques heures après le 17, a pu être évacuée in extremis par le toit, pieds nus, se remémore un père de famille.
"On n'avait pas de nouvelles, ce qui est stressant, ma fille a été choquée", raconte un autre père, Patrick Gherdoussi. Quand les nouvelles ont été rassurantes - sa fille a pu avoir sa camarade au téléphone -, la solidarité s'est mise en place pour se sentir utiles mais aussi parce que ces familles ont tout perdu.
"Les enfants pensent aux jeux, nous on pense plus aux fringues", ajoute Patrick.
L'appel aux dons de l'association des parents d'élèves, relayé sur les réseaux sociaux, a reçu un écho incroyable dans cette ville où la solidarité est fréquente: quelque 700 mails en quelques heures.
Ce qui est "étrange" pour Patrick Gherdoussi, c'est l'ambiance: "Il y a encore de la sidération au sein de notre micro-quartier mais dès que tu en sors, la vie a repris, c'est un peu violent", dit cet habitant de longue date, photographe pour le quotidien Libération.
Les parents, autant que les enfants, ont besoin de parler, certains se sont réunis pour être ensemble. La mairie a proposé aux familles touchées des places d'accueil d'urgence en crèche, une cellule d'écoute.
Beaucoup ont en tête le drame de la rue d'Aubagne en 2018, même s'il n'a rien à voir puisqu'il était directement lié à l'habitat insalubre qui mine la grande ville la plus pauvre de France. Il y avait eu huit morts, et une rue défigurée aussi à quelques centaines de mètres de là.
"Ça fait écho", confie Mauve Carbonell. Mais ce quartier, nettement plus favorisé que Noailles, "est super-résilient" grâce notamment au "vivre-ensemble" veut-elle croire.