Le discours occidental sur la «consolidation de la paix» se concentre sur la localisation des conflits. Les groupes de réflexion occidentaux mènent des actions diplomatiques informelles importantes, par exemple en ce qui concerne le programme nucléaire iranien ou la prétendue guerre froide saoudo-iranienne. Pourtant, de façon étonnante, il y a très peu de diplomatie officieuse lorsqu’il est question du principal conflit de notre époque: la guerre russo-ukrainienne.
À l’exception de certains groupes de réflexion suisses qui soutiennent la médiation turque et l’accord sur les céréales, les principaux think tanks occidentaux, comme la Fondation Carnegie pour la paix internationale, ont décidé de fermer leurs bureaux à Moscou au moment le plus crucial. La justification officielle est la décision russe de fermer les institutions occidentales sur son territoire pour des raisons de sécurité. Néanmoins, l’absence de bureaux de groupes de réflexion occidentaux à Téhéran n’a jamais empêché l’organisation d’organiser des réunions informelles entre chercheurs américains et iraniens pour trouver un terrain d’entente en vue de résoudre le problème nucléaire iranien ou pour évoquer les activités iraniennes de missiles et de drones dans un format non officiel.
En outre, la justification de ce type de réunion informelle est l’absence de discussions officielles pendant les périodes de tension, comme lorsque les voies officielles indirectes américano-iraniennes ne fonctionnaient pas ouvertement en raison de la campagne de pression maximale de l’administration Trump et de l’intransigeance iranienne.
Une autre raison évoquée pour expliquer ce manque d’actions diplomatiques officieuses dans le contexte du conflit russo-ukrainien est l’absence d’institutions ukrainiennes disposées à participer à de telles activités de paix informelles. La détermination ukrainienne à gagner la guerre peut mieux expliquer l’absence de partenaires ukrainiens au sein des groupes de réflexion occidentaux.
Cela surprendrait les États non occidentaux et les institutions de recherche, qui ont souvent été contactés par leurs homologues occidentaux pour participer à des réunions informelles visant à rétablir la paix dans des régions ravagées par la guerre comme l’Irak, le Yémen, la Syrie et la Libye.
Cette contradiction apparente entre les efforts des think tanks occidentaux pour initier des activités de paix à l’échelle internationale et leur refus de recourir à la diplomatie officieuse au sujet de la guerre ukrainienne s’explique en particulier par la politisation de cette dernière en Occident. En effet, le discours de la plupart des think tanks occidentaux sur le conflit russo-ukrainien ne repose pas sur la recherche d’un compromis diplomatique, mais cherche plutôt à amplifier le discours occidental sur «l’invasion» par la Russie de l’Ukraine et à devenir un acteur informationnel des récits relatifs au conflit.
Les efforts de paix ne peuvent pas être menés par les institutions occidentales qui sont actuellement impliquées dans la construction du récit ukrainien.
Dr Mohammed al-Sulami
Compte tenu de cette absence d’activités de paix de la part des think tanks occidentaux et de leur décision de prendre parti dans la guerre russe en Ukraine, on peut se demander quelle serait leur réaction si des think tanks non occidentaux les contactaient pour participer à des réunions diplomatiques officieuses dans le but de mettre fin à la guerre russo-ukrainienne.
La question du soutien militaire occidental est une partie importante de l’équation de la paix : elle est décisive quant à la capacité de l’Ukraine de maintenir un effort de guerre à long terme contre la Russie. Les efforts de paix ne peuvent pas être menés par les institutions occidentales qui sont actuellement impliquées dans la construction du storytelling ukrainien et aident l’Ukraine à gagner les cœurs et les esprits de l’opinion publique mondiale. Dans ce contexte, il est nécessaire que des groupes de réflexion non occidentaux dirigent les efforts qui ont pour but de garantir la paix et à soutenir la stabilité européenne. La guerre en Ukraine a des répercussions internationales. Il est donc logique que des institutions non occidentales soient intéressées par le fait d’offrir leurs services pour organiser des réunions diplomatiques officieuses afin d’éviter le coût économique et les souffrances humaines d’une guerre prolongée sur le sol européen.
Le rôle de la diplomatie officieuse est reconnu internationalement pour aider à surmonter la crise de confiance entre les parties belligérantes. Il faut rétablir la confiance non seulement entre les dirigeants politiques ukrainiens et russes, mais aussi entre les acteurs politiques russes et occidentaux. Une approche locale est nécessaire en l’absence de pourparlers politiques au plus haut niveau.
Les groupes de réflexion neutres du Moyen-Orient peuvent aider à rétablir la confiance entre ces États, qui sont en désaccord les uns avec les autres sur la scène internationale. Ces institutions peuvent devenir une plate-forme destinée aux réunions diplomatiques officieuses entre experts et universitaires ukrainiens, russes et occidentaux. Ce serait dans l’intérêt non seulement des Européens, mais aussi du monde entier, compte tenu des répercussions internationales de cette guerre.
Ce qui est clair, c’est que les parties occidentale, ukrainienne et russe utilisent la théorie des jeux pour décider de leurs prochains mouvements, le conflit se transformant en un jeu à somme nulle. Cela rend beaucoup plus difficile l’initiation d’efforts de paix, puisque l’acceptation de tels efforts par les deux parties pourrait être considérée comme une défaite pour eux et une victoire pour les autres. Cela rend beaucoup plus difficile le calcul des actions et des résultats possibles. Chaque camp attend ainsi que l’autre cède.
Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).
Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com