La communauté internationale a célébré la semaine dernière la Journée mondiale de l'eau, qui coïncide avec l'examen à mi-parcours de la Décennie d'action pour l'eau des Nations unies. Cette journée permet de sensibiliser et d'attirer l'attention sur les problèmes de pénurie d'eau dans le monde et de promouvoir la sécurité et le développement durable des ressources en eau douce de la planète.
En effet, les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies reposent pour la plupart sur la protection de nos réserves d'eau qui s’amenuisent. Or, ces objectifs sont gravement menacés par les pénuries et les difficultés d'accès à l'eau potable, ainsi que par les effets du manque d'eau et de l'eau insalubre sur la santé et la sécurité alimentaire.
Des journées comme celle-ci permettent aux dirigeants, aux gouvernements, aux entreprises et aux communautés de faire le point sur les progrès accomplis dans le domaine. Elles leur permettent également de déclarer la nécessité d'une intervention urgente pour accélérer l'accès universel à l'eau potable et à des installations sanitaires adéquates. Pour le monde arabe en particulier, le temps presse.
La région du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord (Mena) compte onze des dix-sept pays de la planète les plus exposés au stress hydrique. Ce problème touche neuf enfants sur dix dans une région où les taux de fécondité sont les plus élevés au monde.
La région couvre près de 60% de ses besoins en eau par des importations, un chiffre qui continuera d'augmenter avec la croissance de la population. À titre d’exemple, la part moyenne par habitant des eaux du Nil diminuera d'un quart au cours des dix prochaines années. Dans cette région, l'agriculture représente 80% de l'utilisation de l'eau et près de la moitié des ressources en eau potable ne sont pas comptabilisées ou sont «perdues» en raison des fuites, ce qui nuit à la qualité de vie en général.
Selon les projections, des centaines de millions de personnes dans le monde arabe souffriront d'une pénurie d'eau absolue d'ici à 2050. Un certain nombre d’habitants en Afrique du Nord en ressentent déjà les effets, car cette sous-région est la plus pauvre en eau, disposant seulement de 1,4% des réserves d'eau douce renouvelables de la planète.
Dans une région du monde fragilisée par de multiples crises, auxquelles s'ajoute la menace du changement climatique et de la pollution plastique, le problème du manque d'eau devient vite un enjeu géopolitique qui, s'il est mal géré, pourrait déclencher ou prolonger des conflits, menacer la sécurité alimentaire et provoquer des déplacements massifs de population.
La sécheresse et l'assèchement des cours d'eau peuvent sembler relativement insignifiants dans une région marquée par les conflits, les tensions communautaires, les soulèvements, la criminalité transnationale et le terrorisme. Pourtant, depuis des siècles, l'accès à des ressources abondantes en eau a joué un rôle essentiel dans la préservation de la sécurité humaine dans la région.
La pénurie d'eau est principalement due à l'aridité naturelle du climat désertique chaud et aux réserves limitées d'eau de surface et d'eau souterraine, qui rendent très difficile, mais pas impossible, la satisfaction des besoins locaux en eau.
Malheureusement, le changement climatique rend la région encore plus vulnérable. L'insécurité hydrique pourrait aggraver le dysfonctionnement du cycle de l'eau déjà fragile et saper les efforts de développement durable et les progrès réalisés dans les domaines de la santé, de la faim, de l'égalité, de l'emploi, de l'éducation, de l'industrie, des catastrophes naturelles et de la paix.
À défaut d'une intervention sérieuse, d'une coopération sans précédent et d'efforts concertés pour faire face à cette crise qui s'aggrave, les pays frappés par la pauvreté et les conflits seront les plus durement touchés par la pénurie d'eau. Celle-ci aura des effets dévastateurs sur le développement, la compétitivité économique, la stabilité à long terme, la sécurité alimentaire et énergétique, et l'habitabilité de la région.
Personne ne sera épargné. Même si les pays de la région Mena ne sont pas les plus gros pollueurs, ils risquent paradoxalement d'être les principales victimes du changement climatique.
Selon certains experts, le prochain conflit majeur dans cette région portera sur l'eau. Cette prédiction semble plausible, car des guerres civiles ont déjà été provoquées par des tensions liées à la rareté des ressources. Le Soudan, l'Érythrée et la Syrie ont connu des conflits ou des flambées de violence causées ou exacerbées par la pénurie de ressources. Ces guerres risquent de se multiplier, de s'amplifier et de créer des vagues migratoires. Celles-ci augmenteront la pression sur les ressources en baisse dans les pays d'accueil, exportant l'instabilité dans des zones jusqu'alors «sûres» et habitables.
Le développement et la gestion intégrés de l'eau doivent figurer parmi les principales priorités mondiales si nous voulons parvenir à une sécurité durable dans les domaines de l'eau, de l'alimentation et de l'énergie.
Hafed al-Ghwell
Les principales sources d'eau de la région sont transfrontalières. Les conflits entre les pays peuvent facilement être déclenchés au sein d’un paysage politique marqué par des tensions et où l’eau est non seulement une ressource limitée, mais aussi un élément crucial.
En Turquie, la construction et le remplissage du barrage d'Ilisu sur le Tigre ont non seulement exacerbé les tensions entre le gouvernement turc et la minorité kurde de la province de Mardin, mais ils ont également suscité des inquiétudes en Irak, en aval. Les gouvernorats du sud, en particulier, ont vu leur part d'eau du Tigre chuter de plus de 50%. Le problème de la pénurie d'eau s'ajoute à celui des faibles précipitations et de l'épuisement des sols, qui ont interrompu la culture du riz, du maïs, du sésame et du coton.
Ces contraintes se sont conjuguées à d'autres difficultés en Irak qui ont déclenché des vagues de protestations sur une période de trois ans. L'avenir du bassin de l'Euphrate et du Tigre, partagé par la Turquie, la Syrie, l'Irak et l'Iran, semble devenir une nouvelle source de tension dans la région.
Le même scénario se déroule de l'autre côté de la mer Rouge. Les tensions quasi centenaires entre l'Égypte et l'Éthiopie persistent au sujet du remplissage du Grand barrage de la Renaissance éthiopienne, qui, selon Le Caire, réduira sa part des eaux du Nil. Les deux pays n'ont pas réussi à faire avancer les négociations directes ou indirectes. Pour l'Égypte, toute perturbation du débit du Nil constitue une crise existentielle, compte tenu de l'importance stratégique du fleuve dans un pays dont 96% de la superficie totale est désertique.
Heureusement, des solutions à la pénurie d'eau dans la région sont envisageables. Pour répondre aux problèmes d'insécurité hydrique, il est possible d'établir des relations transfrontalières équitables et résilientes, et de réduire la dépendance des pays à l'égard des nappes phréatiques dont les réserves s'amenuisent.
En outre, des politiques et des actions peuvent être menées pour garantir l'accès ininterrompu à l'eau potable à tous les membres de la société, et s'adapter ou atténuer les conséquences du changement climatique liées à l'eau.
À défaut de tirer parti de l'élan donné par l'intensification de la lutte contre le changement climatique, la région du monde la plus pauvre en eau risque de sombrer dans le chaos.
Pour l'instant, le plus grand défi consiste à rétablir l'équilibre entre ce qui est disponible et ce que la région consomme en protégeant la reconstitution naturelle des sources d'eau qui sont à la base de la sécurité alimentaire et énergétique, de l'industrialisation, de la compétitivité, de l'intégration régionale et de l'amélioration de la qualité de vie.
Espérons que la première Conférence des nations unies sur l'eau en cinquante ans, qui s'est tenue à New York cette semaine, permettra de tirer la sonnette d'alarme et d'inciter les gouvernements, les blocs régionaux et les organisations mondiales de développement à prendre des mesures collectives.
L'eau devrait également figurer en tête de l'ordre du jour de la Conférence des nations unies sur le changement climatique (COP28), qui se tiendra cette année à Dubaï. Cette question ne doit plus être une source d'appréhension, mais un vecteur de coopération susceptible de dépasser les conflits, de réduire les tensions régionales, de surmonter les défis partagés et de promouvoir les intérêts communs.
Le développement et la gestion intégrés de l'eau doivent figurer parmi les principales priorités mondiales si nous voulons parvenir à une sécurité durable dans les domaines de l'eau, de l'alimentation et de l'énergie.
Hafed al-Ghwell est chercheur principal et directeur exécutif de l’Initiative stratégique d’Ibn Khaldoun au Foreign Policy Institute de la John Hopkins University School of Advanced International Studies à Washington. Il a précédemment occupé le poste de président du conseil d’administration du Groupe de la Banque mondiale.
Twitter: @HafedAlGhwell
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com