À la suite d’un avertissement sévère du Fonds monétaire international (FMI), qui a prévenu que le temps était compté pour l'économie libanaise, les dirigeants politiques astucieux du pays ont répondu par une solution radicale: changer unilatéralement l'heure dans le pays.
Ça ne s’invente pas. Le pays est confronté à la famine, à l'hyperinflation et au chaos, mais la classe dirigeante est occupée à mettre en application une modification officielle visant à retarder l'introduction de «l'heure d'été», une décision qui, selon les experts, provoquera un chaos au niveau des voyages, du fonctionnement des appareils électroniques, ainsi qu’une confusion à l'échelle nationale. Certaines organisations ont déjà fait savoir qu'elles appliqueraient de toute façon le changement d'heure.
Le Premier ministre Najib Mikati et le président du Parlement Nabih Berri n'auraient pas pu proposer de meilleure métaphore pour les tergiversations et l'incompétence inégalée d'un leadership en sursis depuis quatre ans.
Le chef de la mission du FMI au Liban, Ernesto Ramirez Rigo, a imputé la responsabilité des perspectives économiques catastrophiques à l'inaction continue des responsables libanais, et a mis en garde qu'une plongée dans l'hyperinflation sonnerait le glas de la qualité de vie de nombreux Libanais pour les années à venir.
Mais les dirigeants libanais se comportent toujours comme si de rien n'était, dînant dans les mêmes restaurants onéreux, puisant dans de vastes réserves de devises cachées en toute sécurité à l'étranger, tout en se chamaillant pour des futilités insignifiantes et en tournant tranquillement en rond sur les questions de la présidence, la formation du gouvernement et la stratégie de sortie de crise.
Pourquoi les réformes avancées par le FMI prennent-elles une éternité à être mises en œuvre? Parce que les réformes compromettraient matériellement la richesse et l'impunité de ces 0,1 % les plus riches qui ne voient aucun problème à ce statu quo apocalyptique.
Gebran Bassil, l'architecte de nombreuses catastrophes qui ont secoué le Liban, a bizarrement orchestré une campagne de désobéissance civile sur la question du changement d'heure, arguant que cela portait préjudice aux chrétiens. Comme si les chrétiens, ou toute autre confession libanaise – en l'absence totale d'électricité et de services fondamentaux – se souciaient de l'heure qu'il est! Et comme si Bassil lui-même n'avait pas déjà fait plus que n'importe qui pour saper le statut des chrétiens libanais!
Le dernier avertissement du FMI a coïncidé avec des manifestations de milliers de personnes, dont des soldats à la retraite, essayant de franchir une barrière menant au siège du gouvernement à Beyrouth, ainsi que diverses manifestations à travers le pays. Les manifestants, furieux, ont mis en cause l'incompétence et la corruption des autorités qui ont déclenché une importante baisse supplémentaire de la valeur de la livre libanaise, aggravant encore les difficultés financières dans le pays.
Ce sont des vétérans qui ont consacré toute leur carrière à la protection du Liban et qui font partie des groupes démographiques les plus fidèles au système de gouvernement libanais. Les pensions mensuelles des militaires retraités et des travailleurs du secteur public sont maintenant légèrement supérieures à 20 dollars (un dollar = 0,93 euros)! «Ne se sentent-ils pas coupables à l'égard des militaires à la retraite qui ont servi leur pays toute leur vie, qui meurent de faim et n'ont pas accès aux services de soins médicaux?», s’est exclamé un manifestant.
Par ailleurs, Hassan Nasrallah lance à nouveau des mesures d’intimidation à l’encontre d’Israël. Après que le Hezbollah a organisé de petites provocations dans le nord d'Israël, Nasrallah a défié Tel-Aviv: «Si Israël déclenche une guerre contre le Liban pour ce qui s'est passé, cela pourrait conduire à un affrontement dans toute la région», a-t-il fanfaronné. Utilisant un langage particulier de façon inhabituelle, Nasrallah a proféré des menaces, affirmant que le meurtre d'une seule personne pourrait provoquer une réponse majeure du Hezbollah.
Cependant, Israël frappe déjà presque quotidiennement des cibles associées au Hezbollah et à ses alliés à l'intérieur de la Syrie, sans parler du meurtre de hauts responsables de l'axe Hezbollah-Iran. Tout le monde sait que Nasrallah n'a pas l'intention de répondre à cela. Ces derniers jours, la pire flambée d'hostilités depuis plusieurs années a eu lieu dans l’est de la Syrie entre les forces américaines et les paramilitaires dépendant du Hezbollah, ce qui risque de déclencher une conflagration à l'échelle de la région.
Sans action drastique – et j'entends par là une intervention arabe et occidentale de grande envergure – l'éruption d'une nouvelle conflagration libanaise et régionale n'est qu'une question de temps
Baria Alamuddin
Les paramilitaires soutenus par l'Iran se retranchent le long de la frontière syro-irakienne depuis plusieurs années, notamment dans des fortifications massives et des tunnels souterrains profonds hérissés de missiles. Alors que le président américain, Joe Biden, avertit les milices, en affirmant qu’elles doivent se préparer «à ce que nous agissions avec force pour protéger notre peuple», il est possible que ces représailles de part et d’autre s'intensifient dans un climat où les négociations américano-iraniennes ont depuis longtemps échoué.
Alors que Benjamin Netanyahou et ses acolytes néofascistes plongent Israël dans l'une des pires crises politiques de son histoire – dans le seul but d’échapper à la prison – et que son discours contre l’Iran et le Hezbollah va en s’intensifiant, toute la région tremble de se retrouver sur le fil du rasoir.
Au cas où Nasrallah verrait finalement son vœu se réaliser et pousserait Israël à attaquer directement le Liban, il se cachera dans son bunker à plusieurs mètres sous terre, avec des amis et des membres de sa famille, tandis que des milliers de Libanais innocents seront tués et le pays réduit à l’état de ruines fumantes.
Il est pour le moins abominable de savoir que l'esprit de Nasrallah réfléchit à de telles confrontations, alors qu'une grande partie de la nation meurt lentement de faim dans une misère inimaginable. Tant de personnes acceptent des souffrances insupportables parce qu'ils n'ont pas d'argent pour se faire soigner, parce qu'il n'y a de toute façon pas de médicaments, et que les quelques hôpitaux qui n'ont pas fermé leurs portes fonctionnent à peine, après avoir perdu la plus grande partie de leur personnel et de leurs équipements.
Au milieu de ces traumatismes, les taux de suicide ont grimpé en flèche, et des familles meurent régulièrement en mer alors qu'elles fuient le pays à bord d’embarcations inaptes à la navigation. Les morgues des hôpitaux débordent de corps en décomposition dans des réfrigérateurs qui ne fonctionnent pas, parce que les citoyens n'ont pas les moyens d'acheter des cercueils.
Le Liban en 2023 est un corps semi-décomposé respirant à peine, tandis que le rythme de déclin de ses organes vitaux continue de s'accélérer. L'ensemble de la classe politique semble avoir décidé qu'il valait mieux hâter la destruction absolue du Liban, plutôt que d’agir ne serait-ce que d’un iota, pour diminuer leurs richesses amassées dans la corruption. Ces personnalités ont le choix entre se retirer dans des villas de luxe à Dubaï, Paris ou Qom et ont probablement leurs plans de sortie impeccablement préparés, des jets privés prêts à décoller pour le jour où le Liban finira complètement de se désintégrer.
Dans cette conjoncture, Nasrallah doit faire attention à ce qu’il dit et mettre fin à son bellicisme ridicule, car il libère des forces qu'il ne peut pas contrôler, ce qui détruira son organisation et le Liban dans son intégralité.
La dernière fois que le Liban a plongé dans un conflit armé dans les années 1970 et 1980, l'anarchie qui en a résulté a touché toute la région – Israël, la Syrie, les mouvements palestiniens, l'Iran et l'Occident. Le conflit syrien de 2011 s'est également rapidement régionalisé, entraînant même la Russie, en engendrant toute une série de factions radicales et terroristes.
Sans action drastique – et j'entends par là une intervention arabe et occidentale de grande envergure – l'éruption d'une nouvelle conflagration libanaise et régionale n'est plus qu'une question de temps.
Les sonnettes d'alarme sonnent depuis longtemps. Est-il encore possible que personne ne les entende?
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com