Plus de six mois après l'adoption de la loi américaine sur la réduction de l'inflation, celle-ci semble de plus en plus changer la donne pour l'économie verte du pays. Cependant, l'un des effets inattendus de cette loi demeure sans doute son impact aussi profond en Europe qu'aux États-Unis.
Lorsque la loi a été adoptée, le programme de subventions vertes de 369 milliards de dollars, y compris les crédits d'impôts, a été chaleureusement accueilli par les principaux acteurs européens, notamment la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Mais à mesure que les implications protectionnistes de la mesure se sont révélées, elles ont provoqué une onde de choc sur tout le continent.
Il y a quelques jours, Bruxelles a annoncé sa dernière série de mesures en réponse à la loi sur la réduction de l'inflation. Il s'agit d'un régime de subventions vertes renforcé qui permet aux entreprises d'obtenir autant de fonds publics européens qu'aux États-Unis dans le cadre de la loi sur la réduction de l'inflation, tout en étant soumises à des règles plus souples afin de les inciter à rester sur le continent.
Outre le financement de Bruxelles, les États membres peuvent fournir le même montant que le bénéficiaire pourrait recevoir pour un investissement équivalent aux États-Unis (ce que l'on appelle l'aide de contrepartie). Les États peuvent également fournir un financement lorsqu'il existe un risque réel que les investissements soient détournés de l'Europe. Pour que l'aide encourage une entreprise à rester en Europe, les investissements transfrontaliers doivent comporter des projets dans au moins trois pays de l'UE. Les entreprises doivent également utiliser des technologies de production de pointe pour réduire les émissions nocives.
Dans un souci de contrer la loi américaine, les mesures adoptées prolongent également le délai dont disposent les États membres pour obtenir l'aide nécessaire à leur transition vers la neutralité carbone en ciblant les investissements dans les énergies renouvelables, la décarbonisation et les véhicules fonctionnant à l'hydrogène et/ou sans émissions. Il s'agit notamment de programmes visant à accélérer le déploiement des énergies renouvelables et du stockage de l'énergie, ainsi que de projets liés à la décarbonisation des processus de production industrielle, que les États membres peuvent désormais mettre en place jusqu'au 31 décembre 2025.
Une autre annonce importante, faite cette semaine, concerne la loi européenne sur les matières premières critiques, qui marque le dernier effort de l'Europe pour réduire et diversifier sa dépendance à l'égard des matières premières, des produits et des technologies externes, en particulier chinoises, tout en promouvant le recyclage. Les
matières premières critiques étant une condition essentielle à la réussite de la transition verte et numérique, la demande devrait augmenter considérablement, d'environ 500 % d'ici à 2050, selon la Banque mondiale.
Bruxelles a annoncé sa dernière série de mesures en réponse à la loi sur la réduction de l'inflation.
Andrew Hammond
Pourtant, comme l'a souligné l'Institut allemand de recherche économique, l'UE est actuellement très dépendante de l'importation des matières premières qu'elles qualifient de critiques. Elle dépend à 100 % de fournisseurs étrangers pour 14 des 27 matières premières critiques et à 95 % pour trois autres.
Dans son discours sur l'état de l'UE en 2022, Mme Von der Leyen a affirmé que, sans un accès sûr et durable aux matières premières critiques, l'ambition de l'Europe de devenir le premier continent climatiquement neutre risquait de ne pas se réaliser. Elle a également affirmé que, sans matières premières critiques suffisantes, l'Union ne pourrait ni mener la « décennie numérique » ni développer des capacités de défense plus solides, un facteur qui est devenu encore plus important depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Von der Leyen a également expliqué que, pour de nombreuses matières premières critiques, le marché mondial ne sera pas en mesure de répondre à une demande de plus en plus forte.
En outre, compte tenu du risque de pénurie structurelle de l'offre observé ces dernières années, la diversification des échanges au détriment de marchés tels que la Chine, bien que nécessaire, ne résoudra pas entièrement le problème.
Von der Leyen a également rappelé le pouvoir de Pékin, qui a la mainmise sur les éléments terrestres rares et les aimants permanents dont les prix ont augmenté de 90 % au cours de la seule année écoulée. Elle a expliqué par ailleurs que l'approvisionnement en matières premières était devenu un véritable outil géopolitique. Afin de prévenir d'éventuelles pénuries d'approvisionnement et de renforcer la résilience, l'UE a pour objectif de « définir un objectif pour ne pas dépendre d'un seul pays tiers pour plus de 70 % des importations de toute matière première stratégique d'ici à 2030 ».
L'Europe est donc de plus en plus convaincue de l'existence d'une course mondiale à l'approvisionnement et au recyclage des matières premières critiques, raison pour laquelle elle a élaboré une loi à cet égard. Les principaux objectifs sont les suivants : 10 % de la consommation de matières premières stratégiques de l'UE doivent être extraits sur le territoire de l'Union ; 15 % de la consommation annuelle de chaque matière première critique doivent provenir du recyclage ; et au moins 40 % de la consommation annuelle de chaque matière première stratégique doivent être raffinés sur le territoire de l'Union.
Dans l'ensemble, ces mesures, aussi ambitieuses soient-elles, ne constituent que la dernière phase des objectifs élargis de l'Europe en matière d'économie verte.
L'onde de choc provoquée par la loi sur la réduction de l'inflation a été
telle que d'autres mesures sont à venir, l'UE cherchant à développer un cadre plus large et plus audacieux qui offre des conditions de concurrence équitables à l'échelle mondiale, non seulement vis-à-vis des États-Unis, mais aussi d'autres nations dotées de stratégies industrielles d’envergure, dont la Chine.
Andrew Hammond est associé à LSE IDEAS à la London School of Economics.
Les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com