Quatre mois après que le Parlement a accordé sa confiance au gouvernement du Premier ministre irakien, Mohammed Chia al-Soudani, pour son court mandat d’un an – une période suffisamment longue pour explorer les orientations du gouvernement et les priorités en matière de politique étrangère –, le Premier ministre a suscité la controverse en donnant la priorité à une politique d’«ouverture et d’équilibre».
Ces préoccupations ont été soulevées alors que M. Al-Soudani a été choisi par des coalitions politiques alignées sur l’Iran qui avaient espéré utiliser son gouvernement pour limiter la politique de compromis et de recherche d’équilibre (entre l’Iran et ses mandataires associés et les intérêts irakiens avec le monde arabe) introduite par son prédécesseur, Moustafa al-Kazimi. L’objectif des coalitions pro-iraniennes était d’accroître leur contrôle sur la prise de décision irakienne et de faire échouer les efforts de réintégration de l’Irak dans la sphère arabe, une position rejetée par M. Al-Soudani, qui préfère une politique d’ouverture et d’équilibre avec l’étranger.
Le manifeste de M. Al-Soudani comprend également des dispositions qui visent à éliminer la corruption et à renforcer l’armée nationale. Ces mouvements, cependant, entrent en conflit avec les intérêts des milices pro-iraniennes en Irak. Il souligne en outre combien il est important d’établir des relations équilibrées et positives – fondées sur le respect mutuel, le partenariat ainsi qu’un traitement équitable – avec les États frères arabes et du Golfe ainsi qu’avec les pays voisins.
Depuis son entrée en fonction, M. Al-Soudani a tenté de mettre en œuvre les éléments de son manifeste au moyen de divers programmes et en publiant des directives destinées à poursuivre les efforts initiés par son prédécesseur en vue de renforcer le contrôle des frontières irako-iraniennes, de lutter contre le trafic de drogue et d’arrêter l’introduction illégale de dollars. Il a également décidé de poursuivre la médiation entre Riyad et Téhéran, organisant rapidement des réunions avec les ambassadeurs du Golfe pour travailler sur ce rôle et visitant un certain nombre d’États du Golfe. Au cours de ces visites, il a insisté sur son opposition ferme aux milices qui se servent du territoire irakien pour lancer des attaques contre les États du Golfe.
Dans une démarche importante qui met en lumière son approche équilibrée, M. Al-Soudani a annoncé le retour de la Coupe du Golfe arabe sur le territoire irakien après une absence de trois décennies. Compte tenu de l’implication des alliés de l’Irak dans le Golfe, l’événement se distinguait par la chaleur et l’hospitalité des Irakiens envers tous les participants. Ce tournoi a eu lieu même si M. Al-Soudani a conscience de l’usage sensible de l’expression «golfe Arabique» en Iran. Cette dernière a généré une telle controverse dans les coulisses du pouvoir iranien que l’ambassadeur de l’Irak à Téhéran a été convoqué pour protester contre son utilisation.
M. Al-Soudani est allé en Iran et prévoit de se rendre en Turquie ainsi qu’en Égypte. Ces visites diplomatiques découlent de sa volonté de réduire les tensions entre puissances régionales rivales afin que l’Irak ne soit pas entraîné dans leurs règlements de comptes. Il a également organisé la 2e édition de la Conférence de Bagdad pour la coopération et le partenariat, en coordination avec les dirigeants jordaniens, qui s’est tenue à Amman à la fin du mois de décembre.
Portant un coup à l’Iran, M. Al-Soudani a exprimé le mois dernier lors d’un entretien accordé au quotidien The Wall Street Journal son désir de maintenir les forces étrangères – en référence aux troupes des États-Unis et de l’Otan – en Irak jusqu’à l’anéantissement total de Daech. En janvier, il s’est rendu en Allemagne et en France, deux pays européens qui exercent une influence significative sur la scène mondiale. De plus, il a prévu d’aller prochainement aux États-Unis et il enverra une délégation pour tenir des discussions et travailler en coordination avec l’administration Biden sur l’introduction illégale de dollars aux frontières irano-irakiennes.
Le Premier ministre cherche à montrer à quel point les États frères du Golfe revêtent une importance cruciale pour l’Irak.
L’intention de M. Al-Soudani de poursuivre la politique d’«ouverture et d’équilibre» de M. Al-Kazimi montre qu’il est profondément conscient des réalisations importantes de l’Irak sous le règne de son prédécesseur. En adoptant la même politique, M. Al-Soudani cherche à montrer à quel point les États frères du Golfe revêtent une importance cruciale pour l’Irak. Il met l’accent sur leur rôle utile dans la résolution des crises en cours au sein du pays. M. Al-Soudani est conscient des changements récents sur la scène irakienne. La rue irakienne, qui refuse la subordination à l’Iran, appelle au retour de l’Irak dans la sphère arabe. Cette dernière a désormais l’autorité nécessaire pour permettre aux gouvernements irakiens de rester au pouvoir et empêcher les Premiers ministres irakiens de subir le même sort que l’ancien Premier ministre Adel Abdel-Mehdi.
En outre, cette politique équilibrée donne à M. Al-Soudani une plus grande marge de manœuvre. Il apparaît comme une personnalité indépendante, capable de faire face aux crises intérieures en cours (comme les pénuries d’électricité et d’eau, ainsi que le chômage), toutes exacerbées après l’invasion américaine, en 2003. Cette politique améliore également les chances de son gouvernement d’obtenir le soutien des États du Golfe, de la région et de la communauté internationale jusqu’aux élections anticipées de l’année prochaine. La politique équilibrée fait également de M. Al-Soudani un médiateur acceptable entre les puissances régionales rivales, notamment Riyad et Téhéran, ce qui permettra à la fois d’apaiser les tensions régionales et de faire de l’Irak un acteur incontournable du règlement des conflits.
Plus important encore, le refus de M. Al-Soudani d’adopter une politique d’unification et d’alignement de l’Irak sur des axes spécifiques, en particulier l’axe iranien, permettra aux États du Golfe de poursuivre des projets de coopération stratégiques avec l’Irak. Plusieurs projets sont déjà dans une phase avancée, comme le projet d’interconnexion électrique entre l’Irak et le Golfe, qui exprime la volonté du Golfe de fournir de l’électricité à l’Irak. Les États du Golfe espèrent ainsi réduire le problème électrique, améliorer la capacité de l’Irak à satisfaire ses besoins en électricité et atténuer les souffrances des Irakiens qui découlent des coupures de courant estivales. Ils cherchent également à priver l’Iran de ce levier important qu’il a utilisé contre les gouvernements irakiens successifs.
Pour conclure, si l’on considère les réunions et les visites récentes de M. Al-Soudani, il semble qu’il dispose de nombreuses solutions pour parvenir à un meilleur équilibre pour l’Irak – une démarche qu’il considère comme une nécessité pour que la nation tisse des liens internationaux plus solides et pour qu’elle aide à résoudre les différends, atténuant ainsi ses crises politiques et sécuritaires. Ces mesures consistent à renforcer la sécurité aux frontières, à interdire la possession d’armes en dehors du contrôle de l’État et à empêcher l’Irak de servir de base pour lancer des attaques contre les États du Golfe.
M. Al-Soudani tentera également de résoudre les problèmes d’eau qui demeurent avec l’Iran et d’éradiquer tous les efforts déployés par ce qui reste de Daech dans le nord de l’Irak, les activités et le redéploiement du groupe terroriste étant grandement alimentés par la présence de milices affiliées au régime iranien.
Par ailleurs, M. Al-Soudani s’efforce de dissiper les inquiétudes selon lesquelles il pourrait utiliser la politique d’équilibre comme une approche systématique pour maintenir son mandat d’un an et remporter un nouveau mandat, au cours duquel il soumettrait l’Irak à l’Iran. Ces préoccupations continuent de surgir compte tenu de l’affiliation de M. Al-Soudani au Cadre de coordination et de sa proximité avec Nouri al-Maliki, l’ancien Premier ministre notoire de l’Irak et chef de l’Alliance pour l’État de droit.
Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah).
Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com