PARIS: Une "revenante" du groupe Etat islamique (EI) à la "détermination hors du commun", qui était jugée à Paris pour deux séjours en Syrie entre 2013 et 2017, a été condamnée mercredi soir à douze ans de réclusion criminelle.
Après près de cinq heures de délibéré, la cour d'assises spéciale a assorti cette peine d'une période de sûreté des deux tiers.
Dans le box, ses longs cheveux bruns encadrant son visage fin, Douha Mounib, 32 ans, a accueilli le verdict avec sérénité. "Je m'attendais à une peine de plus de dix ans de toute façon", réagit-elle quand le président de la cour, Laurent Raviot, lui demande si elle a bien compris la décision.
Le parquet national antiterroriste (Pnat) avait requis quatorze ans de réclusion à son encontre.
Les magistrats professionnels ont tenu compte de "l'évolution" de Douha Mounib, qui a affirmé que son adhésion à l'EI faisait partie du "passé", même si ces "éléments positifs" ont été "contrebalancés" par sa rocambolesque tentative d'évasion en novembre 2021, alors qu'elle était incarcérée depuis quatre ans en France.
La cour n'était pas saisie de cette procédure judiciaire distincte, mais cette tentative d'évasion planait sur les débats depuis lundi.
"Par votre comportement, vous avez un peu brouillé les pistes", a explicité le président.
"C'est une décision satisfaisante, la cour a décidé de faire un pas vers l'accusée", s'est réjoui son avocat, Joseph Hazan.
«Obsession»
Douha Mounib a été reconnue coupable d'association de malfaiteurs terroriste (AMT) criminelle, pour deux séjours en zone syro-irakienne, entrecoupés de multiples tentatives de rallier ce théâtre de guerre.
La jeune femme s'était radicalisée fin 2012. Elle s'abreuve alors de vidéos de propagande, commence à porter le voile, arrête ses études de sage-femme.
À l'audience, Douha Mounib s'est longuement expliquée sur son "désir" de partir en Syrie qui avait viré à "l'obsession", un "objectif" qu'elle voyait comme une "émancipation".
Avec une certaine franchise et moult détails, elle était revenue sur son parcours et son premier départ vers la Syrie fin 2013, après un périple du Maroc à la Turquie, où elle avait épousé un passeur qu'elle venait de rencontrer.
Ce séjour avait été écourté après deux mois en raison de l'instabilité de la région, et Douha Mounib avait quitté, "déçue", la Syrie.
Elle n'avait eu de cesse ensuite de rejoindre le groupe djihadiste, mais avait été refoulée par les Turcs à chacune de ses tentatives.
Sa "détermination extrême" avait fini par payer à l'été 2015: grâce à la carte d'identité dérobée à sa mère, elle avait réussi à passer la frontière turco-syrienne avec son second époux tunisien et le fils de ce dernier, âgé de moins de deux ans.
«Inaudible et indéfendable»
Concernant ce second séjour d'une quinzaine de mois à Mossoul (Irak) puis Raqqa (Syrie), sous le joug djihadiste, Douha Mounib a été moins prolixe et n'a livré pour l'avocate générale qu'une "version édulcorée" des faits, une façon de "minimiser" sa participation.
La magistrate n'a pas cru que le mari de l'accusée soit resté plus de quinze mois sans "jamais combattre", ni qu'elle-même n'ait rien vu des "atrocités quotidiennes commises" par l'EI et qu'elle ait pu exercer comme sage-femme "de manière clandestine" comme elle l'a dit.
"C'est assez audacieux" de la part de Douha Mounib de l'affirmer, et cela démontre un "niveau de discours totalement inaudible et indéfendable", a insisté la représentante de l'accusation dans son réquisitoire.
L'avocate générale a également questionné la "sincérité" du repentir de l'accusée. "Je ne prendrai pas le pari de la croire", a-t-elle asséné.
Douha Mounib avait quitté fin 2016 les territoires contrôlés par le groupe Etat islamique. Elle avait été arrêtée par les autorités turques en mars 2017, alors qu'elle passait la frontière avec sa fille âgée de quelques mois et son beau-fils.
Après neuf mois dans un centre de rétention en Turquie, elle avait été expulsée vers la France.
La cour d'assises spéciale doit juger jeudi et vendredi une autre "revenante" de 32 ans, Amandine Le Coz, qui avait rallié l'EI et séjourné en zone irako-syrienne plus de cinq ans entre 2014 et 2019.
Ces deux femmes aux profils opposés ont un temps partagé la même cellule à la prison de Fresnes.