Daech et le Hachd se servent l'un l'autre pour dominer l'Irak

En Irak, les militants de Daech et ceux du Hachd al-Chaabi semblent indissociables: ils se livrent à des actes de violence excessive et se servent les uns des autres pour donner raison à leurs ambitions extrémistes et expansionnistes. En effet, dans la région, le parrain du Hachd, l'Iran, n'a pas manqué d'exploiter Daech et Al-Qaïda dans sa quête de suprématie.

Peu de temps après sa création, en 2014 à partir des milices soutenues par l'Iran, le Hachd al-Chaabi a évincé Daech de Jourf al-Sakhr, une ville stratégique. C'est le chef du Hachd, Abou Mehdi al-Mouhandis, qui a piloté la campagne d'expulsion définitive des sunnites de la ville. Il a fait de cette ville un fief privé par le biais de ses «bataillons Hezbollah»: ils y ont créé des camps de détention et de torture illégaux et ont exploité les routes utilisées par les pèlerins qui passent à proximité de la ville tout en gardant le contrôle des routes qui mènent vers le sud de Bagdad.

Aujourd’hui, les dirigeants du Hachd réclament explicitement que le «modèle Jourf al-Sakhr» soit repris dans une importante zone située au nord de Bagdad: Tarmiyah. En effet, cette dernière fait partie des dernières zones où Daech est resté actif au cours des derniers mois. Le groupe a mené une attaque massive contre l'armée à Tarmiyah le 16 février.

Il ne faut pas s'étonner de l'obsession qu'éprouve le Hachd al-Chaabi pour Tarmiyah. Située à mi-chemin entre l'Euphrate et les principales routes qui mènent à Bagdad à partir du Nord, cette ville apporterait au Hachd des terres agricoles et des routes de pèlerinage privilégiées. Elle lui permettrait en outre de contrôler la capitale. Les principales autoroutes d'Irak sont déjà jalonnées de postes de contrôle illégaux qui appartiennent au Hachd. Ainsi, ces milices réalisent des bénéfices massifs grâce aux activités commerciales et imposent aux consommateurs des prix bien plus élevés que la moyenne. L'économie de l'Irak se trouve actuellement sous le joug des factions du Hachd, qui exercent leur influence sur l'ensemble des secteurs légaux et illégaux. Elles rivalisent entre elles pour dominer chaque pouce du territoire irakien à la manière d'une mafia.

Pour éliminer la menace de Daech, le Hachd envisage donc d'expulser par la force les sunnites de la ville de Tarmiyah et d'imposer son autorité sur la région. En effet, personne ne pourra empêcher le Hachd ni ses alliés de réaliser leurs projets, surtout après qu'ils ont imposé un gouvernement de leur choix l'année dernière.

Depuis sa création, le Hachd al-Chaabi présente Daech comme une bête noire dont il se sert pour semer la terreur. Bachar al-Assad lui-même a suivi une stratégie identique en 2012: il s'est servi de Daech pour semer la discorde entre ses adversaires et distancer l'Occident de la scène politique en Syrie. Dans ce contexte, Daech conserve ses positions dans les régions contrôlées par le Hachd, en particulier dans les régions rurales de Ninive, Salahoudine, Kirkouk et Diyala.

Les deux groupes mettent en œuvre un stratagème concerté: Daech perpètre des attaques aveugles et régulières dans les zones à majorité chiite auxquelles le Hachd répond par des purges généralisées et des campagnes d'épuration sectaire contre les civils sunnites. Des figures odieuses, telles que le dirigeant du Hachd, Qais al-Khazali, développent un discours qui appelle à éliminer les sunnites. Les purges sectaires auxquelles se sont livrées ces milices en 2013, sous la direction du Premier ministre Nouri al-Maliki, ont fourni à Daech le soutien dont il avait besoin pour s'emparer de la majeure partie du pays en 2014.

Les deux parties sont enclines à une violence extrême. Vers 2006, les extrémistes sunnites et les escadrons de la mort chiites se sont livrés à des opérations sanglantes: les campagnes de nettoyage sectaire ont fait des ravages dans tout Bagdad, entraînant la mort de dizaines de milliers de personnes et obligeant de nombreux autres à fuir la région. Le 9 juillet 2006, les milices chiites et la police locale ont encerclé un quartier de Bagdad et ont massacré des dizaines de citoyens sunnites. Au fil des années, ces paramilitaires qui souhaitent dominer l'Irak ont commis un grand nombre d’incidents de ce type.

Une nouvelle génération de terroristes émergera en raison de l'instabilité continue que l'Iran nourrit en Irak, en Syrie, au Yémen et dans d'autres pays encore.
 

Les Nations unies viennent de publier un rapport qui indique que le nouveau chef d'Al-Qaïda, Saif al-Adel, est installé en Iran. La présence de membres d'Al-Qaïda en Iran depuis de nombreuses années a permis à ce pays de mettre la main sur le mouvement djihadiste dans le monde. Dans les années 1990, le Hezbollah et les Gardiens de la révolution ont transmis leurs techniques de fabrication de bombes meurtrières à Al-Qaïda. Il est évident que ces parties ont toutes deux été impliquées dans des attentats terroristes tels que les attaques successives perpétrées en Arabie saoudite dans les années 1990 et 2000. Il ne faut donc pas s'étonner que cette relation fraternelle entre le Corps des gardiens de la révolution et Al-Qaïda se poursuive jusqu'à nos jours.

Dans ce contexte, le célèbre écologiste irakien Jassim al-Asadi illustre parfaitement le terrorisme auquel se livre le Hachd à l'encontre des militants, des journalistes et de ses opposants. En effet, M. Al-Asadi a été capturé et torturé par des paramilitaires. Il fait partie des nombreux militants écologistes qui ont été visés, ce qui laisse présager que des responsables du gouvernement collaborent avec des membres du Hachd afin d’étouffer les opinions dissidentes. La pénurie d'eau et les atteintes massives à l'environnement ne manquent pas, en Iran comme en Irak. Ces problématiques revêtent une dimension capitale pour des millions de personnes, d'autant plus que Téhéran continue de contrôler les sources d'eau et d'électricité de son voisin l'Irak.
Un rapport publié par l’ONG Human Rights Watch fait état de plusieurs centaines de personnes tuées, détenues et torturées depuis 2018. Parmi ces victimes figurent des dizaines de personnes assassinées à leur domicile ou aux alentours par des paramilitaires qui n'ont pratiquement jamais été traduits en justice.

Prenons l’exemple de Sara Edan. Des milices l’ont menacée de mort en 2018 parce qu’elle a participé aux manifestations à Bassora. Après avoir fui l'Irak, elle y est retournée en 2019 pour rester auprès de sa mère, atteinte d'un cancer. Cette année-là, elle a fait profil bas et s’est abstenue de participer aux manifestations. Pourtant, son mari et elle ont été assassinés dans leur propre maison, située à proximité d'un poste de contrôle de la police. Peu de temps avant l'assassinat de la militante Riham Yakoub, abattue dans sa voiture en 2020, un poste de contrôle de la police situé à proximité de l'endroit où elle se trouvait avait été évacué. Ces exemples illustrent la complicité qui existe entre les forces paramilitaires et la police.

En 2014, l'administration américaine s'est trompée en croyant pouvoir utiliser le Hachd pour combattre Daech. En effet, ces deux groupes s'entraident en exacerbant l'instabilité et les tensions sectaires. Cela leur permet de consolider leurs positions et de justifier leur existence.

Le Hachd détient aujourd'hui un contrôle absolu sur l'Irak. Il partage cette emprise avec des organismes affiliés en Syrie, au Yémen et au Liban. Pourtant, les médias mondiaux font rarement allusion à ce groupe. Un sentiment de révolte s'empare de moi lorsque je me rends compte que de nombreux politiciens occidentaux en charge de la politique étrangère ignorent presque tout de ce groupe et de la menace qu'il fait peser sur la région.

À l'instar du Hezbollah, qui a inventé les techniques du terrorisme moderne dans les années 1980, les mandataires de l'Iran dans la région sont responsables de la montée du terrorisme djihadiste et des haines sectaires. Une nouvelle génération de terroristes émergera en raison de l'instabilité continue que l'Iran nourrit en Irak, en Syrie, au Yémen et dans d'autres pays encore.

Cela fait bien longtemps que le monde se désintéresse de ces zones conflictuelles. Cependant, les monstres que ces régions ont produits cherchent à se déchaîner et à compromettre la sécurité dans le monde.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice qui a reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com