Dans un Liban en pleine déliquescence, Nasrallah appelle aux armes

Hassan Nasrallah prononçant un discours télévisé, dans le village de Jebshit, au sud du Liban, le 16 février 2023 (Photo, Reuters).
Hassan Nasrallah prononçant un discours télévisé, dans le village de Jebshit, au sud du Liban, le 16 février 2023 (Photo, Reuters).
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Publié le Jeudi 23 février 2023

Dans un Liban en pleine déliquescence, Nasrallah appelle aux armes

Dans un Liban en pleine déliquescence, Nasrallah appelle aux armes
  • La dernière frappe aérienne meurtrière d’Israël contre des cibles de l’appareil sécuritaire de Damas apparaît comme une réplique aux fantasmes de Nasrallah
  • En 2023, le Liban n'a pas d'amis qui pourraient se précipiter à son secours

Ces derniers jours, une série de manifestations a embrasé les villes du Liban, les banques étant spécifiquement ciblées par la rancoeur dans ce pays en proie à la misère, après que la livre a perdu 98% de sa valeur.
Dans ce contexte, quels thèmes Hassan Nasrallah a-t-il choisi d'aborder dans son discours, en montant sur l'estrade ?
Le leader du Hezbollah nous a offert un étrange hommage à la «participation massive» du peuple iranien aux rassemblements nationaux célébrant l'anniversaire de la révolution islamique. Ignorant la contestation dans son propre pays et la poursuite des manifestations antirégime à travers l'Iran, Nasrallah a déploré le fait que les médias aient occulté ces «marches de millions de personnes» en faveur de la République islamique. Il a ajouté que ceux qui espéraient la chute du régime des ayatollahs seraient déçus. Et nul ne saurait être plus déçu que le peuple libanais, otage de marionnettes sans scrupules du régime théocratique.
À notre grand étonnement, un Nasrallah enragé a annoncé que tous les malheurs du Liban étaient la faute du «Grand Satan», en tonitruant: «Si les Américains cherchent à instaurer le chaos pour aboutir à l'effondrement du Liban, je leur dis: ‘Vous allez tout perdre au Liban’.»
Et comment le Hezbollah ripostera-t-il à ces «complots des États-Unis contre le Liban»? «Si vous plongez le Liban dans le chaos, nous serons prêts à utiliser nos armes contre votre protégé, Israël [...] Nous sommes prêts à recourir à l'option de la guerre. Aujourd'hui, je dis que quiconque veut pousser le Liban vers le chaos ou l'effondrement total doit s’attendre à l’inimaginable de notre part», a-t-il averti.
Le Liban a subi l'une des implosions économiques les plus graves au monde dans l'histoire contemporaine. Nasrallah croit-il sérieusement qu'il est en état de s'embarquer dans un conflit global avec les armées rassemblées des États-Unis, d'Israël et du reste du monde occidental? La dernière frappe aérienne meurtrière d’Israël contre des cibles de l’appareil sécuritaire de Damas apparaît comme une réplique aux fantasmes de Nasrallah et montre à quel point les capacités du Hezbollah pourraient facilement être brisées.
De quelles complots américains parle-t-on? L'ambassadeur américain a-t-il secrètement incité le Hezbollah et ses alliés à miner les dirigeants politiques libanais et à laisser le pays sans gouvernement opérationnel pendant des années? La CIA a-t-elle dupé Nasrallah pour qu'il stocke dans les entrepôts portuaires contrôlés par le Hezbollah suffisamment d'explosifs pour faire sauter la moitié du pays? Joe Biden a-t-il poussé l'Iran et la «résistance» à exploiter les institutions financières libanaises pour blanchir de l'argent, dans le but d'effrayer le Fonds monétaire international et de faire en sorte que ces banques soient visées par des sanctions? Veuillez nous éclairer, M. Nasrallah.
Mais la véritable bête noire de Nasrallah est la façon dont Israël récolte déjà des sommes extraordinaires de l'exploitation du gaz, sans perspective aucune d'une manne financière libanaise imminente. «S'il y a des atermoiements intentionnels concernant la question du pétrole et du gaz des eaux libanaises, allons-nous permettre à Israël de continuer à extraire du pétrole et du gaz de Karish? a déclaré Nasrallah. Je vous dis: Jamais! Cela signifie que si vous voulez nous affamer, nous vous tuerons.» Pourtant, ce sont la politique agressive du Hezbollah et le dysfonctionnement libanais qui ont retardé le progrès vers l'exploitation des réserves libanaises.
Le peuple libanais a manifesté une répulsion absolue par rapport au discours belliciste de Nasrallah. Par ailleurs, des mesures inefficaces de l'État risquent d'exacerber le chaos financier du Liban. Le ministre sortant de l'Économie a annoncé que les entreprises seraient autorisées à fixer le prix de leurs marchandises en dollars. Mais qui d’autre que les employés du Hezbollah peut avoir accès aux dollars?
À la suite des attaques contre les banques, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, a affirmé avec dédain que ceux qui brûlaient des pneus et manifestaient ne ressemblaient pas beaucoup à des investisseurs – un signe du détachement de la classe dirigeante de la réalité actuelle du Liban, où même la classe moyenne pense envoyer ses enfants dans des orphelinats pour leur propre survie, tandis que les gens meurent dans des maladies pouvant être évitées, faute de médicaments.
Le secteur bancaire anéanti de Beyrouth – autrefois carrefour financier de la région, semblable à la Suisse – mettra des décennies à se remettre de l’implosion de ses capacités, de sa réputation et de ses effectifs. Par ailleurs, le réseau bancaire Al-Qard al-Hassan du Hezbollah exploite cet effondrement pour étendre sans relâche ses propres succursales, capitalisant sur les capacités du Hezbollah et de Téhéran, parallèlement aux institutions étatiques libanaises.
Les organes de propagande du Hezbollah ont vendu le rêve illusoire de salut selon lequel la région est au bord d'une percée diplomatique entre l'Iran et les États du Conseil de coopération du Golfe (CCG), et notamment d’une éventuelle ouverture des responsables de haut niveau des pays du Golfe en direction de Damas. Des diplomates bien informés des négociations en coulisses m'ont dit qu’il s’agissait là de pure fantaisie. Ils ont indiqué que les négociations ont été menées par des représentants de la ligne dure du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), qui ne veulent parler que de la réouverture des ambassades et de la facilitation des voyages, tout en refusant catégoriquement de discuter des principales préoccupations du CCG concernant l'enracinement du CGRI en Irak, au Yémen, en Syrie et au Liban.
Les chefs du Hezbollah – avec leurs SUV de luxe et l'accès aux dollars et aux produits étrangers dont ils bénéficient – qui se sont enrichis grâce aux revenus de la contrebande de stupéfiants sont à l'abri de la ruine économique. Mais leur style de vie opulent dans les quartiers chics de Beyrouth prendra brusquement fin si la guerre devait réellement atteindre les côtes libanaises.
Nasrallah sait que ses théories du complot sont de dangereuses absurdités. Cependant, il préférerait apparemment voir le Liban entièrement détruit plutôt que de faire les compromis politiques nécessaires qui pourraient sortir le pays de ses difficultés, d'autant plus que les relations du Hezbollah avec ses anciens alliés chrétiens semblent se désintégrer en raison de querelles concernant la présidence ainsi que d'autres questions.
En 2006, Israël a décimé le Liban, réduisant des centaines de milliers de maisons en ruines et provoquant la mort de bien plus de 1 000 citoyens après que les roquettes du Hezbollah ont tué environ 10 personnes. En faisant le calcul, avec l'arsenal de missiles grandement amélioré du Hezbollah grâce au CGRI, si pour 100 Israéliens tués par le Hezbollah, des frappes de représailles tuaient 10 000 Libanais, ainsi, à la suite d’une telle conflagration, Nasrallah devrait ramper hors de son bunker et déménager à Téhéran, car le pays n’existerait plus. Il ne se soucie pas du fait que ses partisans du sud du Liban fassent à nouveau les frais de la fureur militaire d'Israël.


Personne, nulle part, ne devrait envisager la guerre à la légère, et encore moins le Liban touché par la catastrophe.



En 2006, le Liban avait bénéficié à la suite de ce conflit d'une importante aide internationale, notamment de milliards de dollars de financement pour la reconstruction, de la part de ses alliés du Golfe. En 2023, le Liban n'a pas d'amis qui pourraient se précipiter à son secours. Le Hezbollah doit également réfléchir à deux fois afin de savoir si l'Iran ravagé par la crise serait prêt à financer sa reconstruction et son réarmement.
À une époque où la plupart des Libanais sont acculés à essayer de lutter contre la famine, un tel bellicisme est grotesque. Confrontés à la logique inhumaine de Nasrallah, les partisans du Hezbollah doivent en toute conscience se demander s'ils sont prêts à se détruire eux-mêmes et à détruire leur patrie sans réfléchir, pour obéir aux ordres de Téhéran.
Personne au monde ne devrait envisager la guerre à la légère, et encore moins le Liban touché par la catastrophe, et qui, après ces trois dernières années, semble déjà avoir fait le voyage en enfer.

Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com