L'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) a été considérée au départ comme un ensemble unique, mais elles pourraient désormais suivre des voies distinctes. En juin 2022, les ministres des Affaires étrangères de la Turquie, de la Suède et de la Finlande ont signé un accord à Madrid, en présence de leurs chefs d’État respectifs et du secrétaire général de l’Otan, pour répondre aux préoccupations légitimes d’Ankara en matière de sécurité. Cependant, il s’est avéré que la Turquie et la Suède, en particulier, n’étaient pas sur la même longueur d’onde concernant les mesures nécessaires pour répondre à ces préoccupations. Des divergences sont apparues dès qu’Ankara a énuméré les actions à entreprendre par la Suède. Stockholm a déclaré ne pas pouvoir mettre en œuvre toutes les mesures demandées par la Turquie.
L’importante communauté kurde vivant en Suède fait partie de ces difficultés. Cette communauté a résisté à la demande de la Turquie d’extrader plusieurs citoyens turcs vivant en Suède accusés par Ankara de divers délits. Il s’agit de journalistes, d’intellectuels et de personnes proches de la communauté de Fethullah Gülen vivant en Suède. Certains avaient déjà obtenu la nationalité suédoise, tandis que d’autres n’avaient commis aucune infraction conformément à la législation suédoise ou ne pouvaient faire l’objet d’une extradition conformément aux lois de l’Union européenne (UE).
La Suède a procédé l’année dernière à un amendement constitutionnel, mais elle a eu besoin de temps pour adapter sa législation afin de lutter contre le terrorisme. Ankara a fait remarquer que si les activités antiturques en Suède étaient contrôlées, la Turquie répondrait certainement de manière positive à cette attitude. Si, en revanche, les choses tournaient mal, Ankara ajusterait bien sûr sa position en conséquence. Les pourparlers ont donc été reportés.
La Turquie reste fidèle à son soutien au principe de la politique d’élargissement de l’Otan, mais elle veut que les promesses de la Suède ne demeurent pas lettre morte.
Alors que les débats entre les autorités turques et suédoises sur les négociations d’extradition sont en cours malgré diverses péripéties, les tensions ont été exacerbées à la suite de l’acte commis par le Suédo-Danois Rasmus Paludan, qui a brûlé le mois dernier des pages du Saint Coran près de l’ambassade de Turquie à Stockholm.
Dans une société ouverte comme la Suède, il est naturel de trouver toutes sortes d’opinions et d’appartenances religieuses. Il peut y avoir des athées, de fervents chrétiens et des adeptes d’autres religions. Cependant, un pays aussi avancé que la Suède aurait pu gérer cet incident bien plus habilement. La police suédoise aurait pu refuser la demande de M. Paludan de brûler les pages d’un Livre saint au motif que cela porterait atteinte aux musulmans en Suède. Plutôt que d’appliquer cette interdiction, la Suède a pris des mesures pour protéger l’auteur de l’infraction.
La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) mentionne dans son rapport que ceux qui commettent un tel crime de haine bénéficient, au Danemark, d’une protection policière sous couvert de liberté d’expression.
«La Turquie reste fidèle à son soutien au principe de la politique d’élargissement de l’Otan, mais elle veut que les promesses de la Suède ne demeurent pas lettre morte.» - Yasar Yakis
La Finlande a adopté, à juste titre, une attitude différente. La police finlandaise a déclaré qu’elle ne permettrait pas de brûler des pages du Saint Coran et qu’elle punirait un tel acte.
À l’origine de la controverse turco-suédoise se trouvent les préoccupations sécuritaires de la Turquie. Des membres du Parti des travailleurs du Kurdistan, connu sous le nom de PKK, organisent des manifestations en Suède, recueillent de l’argent pour leur cause et recrutent des terroristes qu’ils envoient en Turquie ou dans les montagnes de Qandil en Irak, où le PKK est basé et mène des attaques continues contre la Turquie.
Maintenant qu’il existe une différence entre la Suède, considérée comme un pays problématique, et la Finlande, qui l’est moins, la Turquie est plus encline à laisser la résolution de ce problème aux pays directement concernés et à l’Otan.
Sur la question de l’adhésion de la Suède à l’Otan, il y a une différence d’appréciation en Turquie entre l’attitude des fonctionnaires de l’État et celle des personnalités politiques individuelles. Les personnes qui font des déclarations au nom de l’État utilisent un récit prudent qui laisse la porte ouverte à un futur compromis, tandis que les personnalités politiques et les leaders d’opinion déclarent ce qu’ils veulent. Les options de la Turquie sont donc ouvertes à toutes sortes d’interprétations.
La xénophobie – et, plus particulièrement, l’islamophobie – est un vice que tout État a l’obligation de prévenir afin de garantir l’ordre public. On peut difficilement prétendre que les autorités suédoises s’acquittent de cette tâche importante.
Le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, précise que les cas de la Suède et de la Finlande pouvaient être évalués séparément, mais qu’il appartenait à l’Otan et à ces deux pays de décider. Ankara prendra probablement sa décision de manière autonome en fonction du déroulement des événements. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est montré moins ambivalent. Il déclare: «Ceux qui ont permis à une telle infamie de se produire devant notre ambassade ne peuvent plus compter sur notre charité concernant leur adhésion à l’Otan.» M. Erdogan est toutefois un dirigeant pragmatique et il peut démentir ces propos si les circonstances l’exigent.
Si la sagesse l’emporte, un compromis sera probablement trouvé pour permettre à la Suède de devenir membre de l’Otan dans un avenir prévisible, mais cela exigera énormément de bonne volonté et d’actions positives de la part de Stockholm.
Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.
Twitter: @yakis_yasar
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com