Connaissez-vous l'histoire du scorpion et de la grenouille? Les deux animaux font face à un incendie de forêt et doivent traverser une rivière pour survivre. Le scorpion dit à la grenouille: «Porte-moi sur ton dos et aide-moi à traverser la rivière et je te protégerai de tout agresseur à l'avenir.» La grenouille répond rapidement: «Jamais. Tu vas me piquer et je vais mourir». Le scorpion dit alors: «Pourquoi ferais-je cela? Dans ce cas, je me noierais aussi et je mourrais.» De quoi convaincre la grenouille, qui espère une protection future. Alors que le feu se rapproche, elle saute dans la rivière avec son nouvel ami scorpion sur le dos. Lorsqu'elle atteint le milieu de la rivière, l'inévitable se produit et le scorpion pique la grenouille. Alors qu'ils se noient tous les deux, la grenouille demande: «Mais pourquoi?» Et le scorpion de répondre: «C'est dans ma nature.»
Je constate de nombreuses similitudes entre cette histoire et la relation entre le peuple libanais et ses dirigeants politiques. Chaque confession laisse ses propres dirigeants grimper sur son dos dans l'espoir d'être protégée contre les autres. Ces dirigeants sont ainsi aveuglément mandatés par leurs propres partisans. Ils promettent de les sortir du chaos, mais en fait ils mènent tout le monde à la mort. C'est dans la nature des politiciens libanais de piquer leurs propres partisans et de détruire le pays. Il est donc clair qu'on ne peut plus leur faire confiance ou leur donner les moyens d'amener le Liban du bon côté du fleuve.
La réalité est que les politiciens libanais n'ont aucune raison de changer. Ils n'ont aucune raison de construire un nouveau système qui apporterait stabilité, sécurité et prospérité à tous. Leur but ultime est d'utiliser et de contrôler leur propre base confessionnelle et d'en tirer profit. De plus, il n'y a pas de reddition de comptes pour aucune de leurs actions. Ils ont perfectionné l'exploitation du système politique à leur propre bénéfice. Ils continuent manifestement à protéger l'occupation actuelle du Liban par le Hezbollah et l'Iran, tout comme ils l'ont fait avec la Syrie auparavant.
Il est assez surprenant que, malgré des années de collaboration avec l'occupant syrien, aucun d’eux n'ait été jugé pour haute trahison. Cela aurait pu être une erreur à la suite du retrait des troupes syriennes. Il aurait dû y avoir l'équivalent des procès de Vichy après la Seconde Guerre mondiale, qui ont jugé tous les responsables de collaboration avec l'ennemi. Ce manque historique de reddition de comptes et la capacité d'échapper à la justice ont donné un énorme pouvoir aux politiciens. Nombreux sont ceux qui devraient être interdits d'activité politique à vie. Cependant, cela ne peut pas changer tant que le Hezbollah contrôle l'État en décomposition, et continue de piquer toute voix libanaise libre.
Les dirigeants libanais n'ont aucune raison de construire un nouveau système qui apporterait stabilité, sécurité et prospérité à tous.
Khaled Abou Zahr
C'est la raison pour laquelle le Liban a besoin d'une nouvelle direction politique pour construire un nouveau système politique. Le système confessionnel a été essayé encore et encore, et c'est un échec complet. De plus, il a sollicité occupation après occupation, tué toute pensée indépendante ou homme politique respectable, et corrompu les autres. Il n'y a pas moyen de le sauver ni de sauver ses représentants actuels. Mais alors, quelle est la solution qui pourrait fonctionner? Comment le Liban survit-il aux piqûres de scorpion à répétition?
Il ne fait absolument aucun doute que les systèmes politiques fédéraux permettent d'obtenir de meilleurs résultats dans des pays de grande diversité comme le Liban. Un exemple simple en est la Suisse, avec ses nombreuses langues et appartenances ethniques. Le système cantonal apporte une solution à tout, simplement parce que le niveau inférieur de prise de décision permet à chaque communauté de résoudre ses propres problèmes et de faire fonctionner les choses, en particulier sur les questions d’importance: l'école, la sécurité, la santé. Plus important encore, les représentants politiques doivent rendre des comptes et ne peuvent pas faire de compromis avec les autres dirigeants. Une récente vidéo sur les réseaux sociaux partagée par un ami a prouvé cela en montrant que personne ne connaissait les noms des politiciens suisses car ils ne créaient pas de problèmes politiques, mais travaillaient plutôt à améliorer la vie de leurs populations, contrairement à certains de leurs pays voisins. Je suis d'accord sur cela dans une large mesure.
Cependant, la route vers ce nouveau système politique ne se construira pas du jour au lendemain. Il a également besoin d'architectes: une nouvelle génération d'hommes politiques qui comprennent le monde en mutation et qui sont prêts à donner vie à ce nouveau système est absolument nécessaire. Des voix pour stimuler et éclairer. Et là, je le répète encore et encore: le Liban n'a pas besoin de technocrates. Ils sont autant responsables de la situation actuelle que les politiciens qui les ont amenés pour dissimuler leurs agissements. Ils ont profité du système et ont collaboré avec l'ennemi tout en s'absolvant de tout acte répréhensible. Comme si le fait de dire «Je faisais partie d’un gouvernement de technocrates» servait de dédouanement total. Ils savaient exactement ce qu'ils faisaient. Quand l'occupation assassine des politiciens, des officiers, des juges, des journalistes et des libres penseurs, vous savez exactement ce que signifie le fait d’accepter de participer. Le Liban ne peut pas survivre tant qu'il conserve un système de décision pyramidale.
Il n'est pas adapté au pays, et même un système décentralisé ne suffira pas. Il faut permettre au pays d'avancer sans être systématiquement bloqué par le Hezbollah. Le statut du supplétif iranien au sommet de l'État ou au sein de l'État – selon la façon dont vous le voyez – prend fin avec le fédéralisme. Ce système permettrait aux gens de décider de leur propre sort et de ne plus jamais avoir à mendier la protection d'un scorpion.
Khaled Abou Zahr est le fondateur de Barbicane, une plate-forme de syndication d'investissement axée sur l'espace. Il est PDG d'EurabiaMedia et rédacteur en chef d'Al-Watan al-Arabi.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est celle de l’auteur et ne reflète pas nécessairement le point de vue d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com