Le 19 janvier, l’écrasante majorité des membres du Parlement européen a voté pour exhorter l’Union européenne (UE) à désigner le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) d’Iran comme une organisation terroriste. Cette décision intervenait dans le contexte d’une série de violations et de crimes majeurs du régime iranien, dont le plus récent est la répression sauvage des manifestations et l’exécution de dissidents après le meurtre de la jeune femme kurde Mahsa Amini par la prétendue police des mœurs.
Bien que cette résolution s’inscrive dans un contexte de pression et de sanctions accrues de l’Europe contre l’Iran, des questions se posent déjà sur son efficacité et le mécanisme de mise en œuvre en ce qui concerne son application. En effet, les points de vue européens sont divergents sur la manière de faire face aux menaces posées par le CGRI. On a tendance à croire que la résolution n’est qu’un coup de semonce tiré pour pousser le régime à faire des concessions sur un certain nombre de dossiers et de questions litigieuses.
La résolution européenne peut être interprétée dans le contexte d’un récent changement de position de l’UE envers l’Iran. Depuis le mois de novembre de l’année dernière, quatre États membres de l’UE ont imposé des sanctions à des entités et à des individus iraniens. Ces mouvements ont eu lieu dans le cadre de trois développements critiques. Premièrement, les pourparlers nucléaires bloqués, ainsi que l’intransigeance de l’Iran et son exploitation des circonstances mondiales actuelles pour gagner du temps en vue de progresser vers le seuil nucléaire et d’acquérir des moyens dangereux que le pays pourrait retourner contre l’Occident. Deuxièmement, l’implication de l’Iran dans la guerre contre l’Ukraine aux côtés de la Russie – une décision qui a suscité des craintes européennes croissantes sur le fait que le CGRI puisse étendre son influence au cœur de l’Europe, menaçant la sécurité et les intérêts européens. Enfin, la répression des manifestants par le régime, avec l’exécution de dissidents. Les Européens ont tiré profit de ces bouleversements internes iraniens pour accroître la pression exercée sur le régime.
En outre, la résolution du Parlement européen a coïncidé avec les efforts coordonnés des États-Unis et du Royaume-Uni ainsi qu’avec un changement remarquable au niveau de la position allemande, qui avait toujours soutenu le recours à une certaine flexibilité envers le régime iranien.
Les Européens sont incapables de supporter les conséquences des menaces du CGRI et, malheureusement, ils les considèrent comme un fait accompli définitif.
Les partis européens se sont ainsi mis d’accord pour rétablir une campagne de pression maximale et parvenir à un consensus contre l’Iran. Il est indéniable que si les États européens étaient contraints de mettre en œuvre cette résolution, le gouvernement Raïssi serait confronté à des pressions et à des défis supplémentaires dans ses efforts pour restaurer la légitimité du régime et résoudre les crises internes. La preuve la plus évidente est que, dès l’annonce de la résolution, la monnaie iranienne a atteint un niveau record. Le dollar a atteint 452 000 rials, soit 45 000 tomans, sur le marché libre (1 dollar = 0,92 euro).
Malgré des pressions accrues et une position transatlantique unifiée, les Européens ne semblent guère disposés à aller de l’avant en désignant le CGRI comme une organisation terroriste. Il semble bien que les efforts de l’Iran pour convaincre les responsables européens du fait que la résolution ne doit pas être contraignante aient été couronnés de succès. Comme pour confirmer cette observation, l’UE a approuvé la semaine dernière une nouvelle série de sanctions parmi lesquelles ne figurait pas l’inscription du CGRI sur la liste noire du terrorisme. Le chef de la politique étrangère du bloc, Josep Borrell, déclare clairement que la résolution n’entrerait pas en vigueur. «Cela ne peut se faire sans tribunal ni décision judiciaire d’abord. On ne peut considérer une entité comme terroriste tout simplement parce qu’on ne l’aime pas», affirme-t-il.
Ainsi, plusieurs points méritent d’être soulignés en ce qui concerne cette question. Tout d’abord, il existe un décalage entre la prise de conscience européenne du rôle dangereux joué par le CGRI – menace sérieuse pour la sécurité et la navigation maritime européennes et source d’éventuelles retombées nucléaires menaçant des équilibres mondiaux bien établis – et la poursuite de politiques efficaces. Les Européens sont incapables de supporter les conséquences des menaces du CGRI et, malheureusement, ils les considèrent comme un fait accompli définitif.
Deuxièmement, malgré le fait que M. Borrell soit pleinement conscient de la menace posée par le CGRI et la conviction de nombreux dirigeants européens qu’une position décisive contre l’organisation est essentielle, le chef de la politique étrangère de l’UE a rassuré le CGRI sur le fait que la résolution européenne n’entrerait pas en vigueur. En outre, l’organisation paramilitaire est consciente que les responsables européens sont disposés à conclure des accords avec elle pour résoudre certaines questions litigieuses. C'est pour cela qu’elle considère la résolution comme un simple levier. En conséquence, il ne modifiera ses politiques et ses positions que dans la mesure nécessaire afin d’éviter d’exacerber les divergences avec les Européens.
Troisièmement, ce comportement européen prouve une fois de plus que la question des droits de l’homme est un levier rhétorique utilisé par l’Occident contre le régime iranien de temps à autre lorsque cela s’avère nécessaire. Si ce problème avait été important, l’Occident aurait pris des mesures contre le rôle destructeur du CGRI au Moyen-Orient. Le groupe a créé les plus grandes crises humanitaires de la région en Syrie, en Irak et au Yémen. Cette indifférence a encouragé le CGRI à s’aventurer plus loin: il a même participé à la destruction de l’Ukraine ainsi qu’au maintien d’une présence militaire qui lui permet de renforcer ses opérations et ses menaces contre les capitales occidentales.
En d’autres termes, les Européens ont laissé passer une occasion rêvée: celle de parvenir à un consensus rare pour faire face à l’une des plus graves menaces à la sécurité régionale et mondiale. En conséquence, ils doivent s’attendre à ce que le CGRI poursuive ses politiques hostiles, comme la violation du seuil nucléaire, l’exploitation des conditions mondiales actuelles et le développement de missiles balistiques capables de frapper l’Europe en plein cœur. Par ailleurs, certains de ses éléments, ainsi que des drones iraniens, se retrouveront en Russie.
En outre, le CGRI intensifiera sans aucun doute ses efforts hostiles envers les capitales européennes, étant donné qu’il ne redoute pas les répercussions. Les États du Conseil de coopération du Golfe (CCG), en particulier l’Arabie saoudite, suscitent depuis longtemps des inquiétudes auprès des Européens au sujet de la doctrine, des instruments et des objectifs du CGRI. Plus il faudra de temps aux Européens pour saisir la réalité des menaces mortelles du CGRI, plus ses opérations seront dévastatrices sur le sol européen dans un avenir proche.
Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah). Twitter: @mohalsulami
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews