Le gouvernement militaire du Burkina Faso s'est joint à celui du Mali pour mettre fin à la présence militaire française dans son pays. Avec la décision du retrait français des deux pays sahéliens centraux, le dispositif militaire et sécuritaire établi par la France depuis 2013 au Sahel devient inopérant et précaire. Certes, les troupes françaises sont toujours présentes au Niger et au Tchad, mais l'essentiel des forces d'intervention a été déployé hors de la région sahélienne.
Ces développements s'inscrivent dans une nouvelle configuration géopolitique, qui a pour trait essentiel la régression de l'influence française et européenne dans l'Afrique occidentale, la perte de vitesse des anciens colons, perçus de plus en plus par les nouvelles élites sahéliennes comme de mauvais partenaires, non sensibles aux réalités politiques et sociales des pays de la région.
Deux puissances non occidentales ont tiré profit de cette nouvelle situation: la Russie et la Chine. Si la première a réussi à vanter son modèle sécuritaire et sa coopération militaire, la deuxième devient le partenaire économique principal des pays de la région.
Par comparaison avec les pays occidentaux, le modèle de coopération chinoise avec les pays du Sahel se fonde sur trois piliers: - La non-ingérence dans les affaires politiques internes des pays. Les standards de démocratie pluraliste et du libéralisme politique ne constituent nullement des paramètres conditionnels de partenariat pour le gouvernement chinois avec les pays du Sahel. La montée en puissance des juntes militaires dans la plupart des pays de la région n'est pas pour la Chine source de préoccupation ou signe d'illégalité constitutionnelle ou juridique à surmonter. - L'intérêt de la Chine pour le Sahel s'inscrit dans la logique d'expansion économique et commerciale dans le continent africain qui accapare l'essentiel des ressources naturelles mondiales, et constitue un marché colossal potentiel qui sera dans le futur proche l'enjeu principal des compétitions internationales. Le Sahel, qui est à la croisée des axes de liaison entre l'Afrique du Nord et le golfe de Guinée, est donc une zone vitale pour le projet de puissance chinoise. - Le Sahel, bien qu'il soit en grande partie enclavé, est à proximité des grands axes portuaires de l'Afrique de l'Ouest qui constituent potentiellement les principaux relais dans les nouvelles routes de la soie («Belt and Road initiative»). Les ports de Dakar, de Nouakchott et de Conakry, qui alimentent cette large zone surpeuplée et riche en ressources naturelles et agricoles, sont sous cet angle des chaînes nécessaires dans la nouvelle dynamique commerciale chinoise.
Le troisième forum des routes de la soie, prévu pour 2023, explorera à coup sûr ces voies et opportunités. Dès 2019, la Chine a promis à l'Afrique un volume d'investissement direct de 2,7 milliards de dollars (1 dollar = 0,92 euro), dont profiteront les pays sahéliens. La priorité dans ces investissements est accordée aux sites miniers et aux gisements pétroliers, dont fourmillent les pays du Sahel.
La Chine est déjà omniprésente dans le secteur pétrolier tchadien (production et raffinerie), elle dispute à la France ses droits sur l'uranium nigérien, et elle est en train de devenir le principal partenaire de la Mauritanie dans l'exploitation de ses ressources halieutiques.
La plupart des pays de la région ont rétabli leurs relations avec Pékin en rompant les rapports avec Taïwan, profitant des dividendes de ce recentrage diplomatique.
Un haut fonctionnaire d'un pays sahélien s'est récemment lamenté sur son expérience de la coopération avec les pays européens, par comparaison avec la politique d'aide chinoise. Notre interlocuteur a fustigé le modèle de partenariat avec les États occidentaux, qui consiste selon lui à allouer des financements aux services publics qui profitent uniquement aux cercles industriels et commerciaux étrangers, sans prendre en compte les besoins, les attentes et les objectifs des populations locales assistées.
La Chine, à l'encontre de ce modèle «nocif» et «contre-productif», investit largement dans les infrastructures vitales, les secteurs sociaux et la formation technique et professionnelle. La politique d'aide chinoise aux pays de l'Afrique occidentale n'est certes pas exempte de reproches (le fardeau de la dette chinoise commence à être ressenti dans plusieurs États comme la Guinée), mais il est incontestable que la Chine a réussi sa percée dans la région.
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique. Twitter: @seyidbah
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