ANKARA: Le fossé entre les paroles et les actes du gouvernement turc concernant le conflit kurde se creuse encore et encore.
Bulent Arinc, membre fondateur du parti au pouvoir en Turquie pour la justice et le développement, a récemment critiqué l’emprisonnement de Selahattin Demirtas, ancien coprésident du Parti démocratique du peuple (HDP), tout en demandant sa libération immédiate.
Le 4 novembre, Demirtas aura passé quatre ans en prison après avoir été arrêté pour soutien au terrorisme, une tactique gouvernementale que le HDP a qualifié de « coup d’État politique » contre le seul et unique parti pro-kurde du pays.
Détenu sans procès depuis 2016, Demirtas est incarcéré dans la ville frontalière nord-ouest d'Edirne, à 1700 km de sa ville natale de Diyarbakir où réside sa famille, ce qui rend difficile pour sa femme et ses filles de le contacter.
Se référant au récent livre de conte de Demirtas, « Devran », qu'il a écrit en prison, Arinc, également principal conseiller du président Recep Tayyip Erdogan, a déclaré: « Tout le monde devrait lire « Devran ». Peut-être que vos idées sur Demirtas ne changeront pas, mais vous comprendrez certainement ce que les Kurdes ont vécu. Vos idées sur les Kurdes pourraient peut-être changer. Nos procureurs et nos juges devraient statuer selon le principe de la liberté ».
Ces propos révolutionnaires correspondaient théoriquement à la déclaration d’Erdogan de la semaine dernière selon laquelle la Turquie entamait une nouvelle période de démocratisation, faisant allusion aux nouvelles réformes judiciaires de l’année prochaine.
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MISE EN CONTEXTE
Détenu sans procès depuis 2016, Demirtas est incarcéré dans la ville frontalière nord-ouest d'Edirne, à 1700 km de sa ville natale de Diyarbakir où réside sa famille, ce qui rend difficile pour sa femme et ses filles de le contacter.
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Le ministre turc de la Justice, Abdulhamit Gul, a récemment critiqué aussi la procédure de la longue détention provisoire en Turquie.
Dans une interview le mois dernier, Demirtas a révélé qu'il croyait être derrière les barreaux parce qu'Erdogan le craint simplement.
Le « renouveau » animé par le gouvernement semble encourageant, mais en fin de compte, ce sont les actes qui comptent plus que les mots.
Le livre de Demirtas, disponible sur Amazon et dans toutes les librairies de la Turquie, a récemment été qualifié de « propagande terroriste » par un procureur turc.
Un jour après les propos choc du principal conseiller d'Erdogan, les autorités turques ont également émis des mandats de détention le 20 novembre contre 101 avocats kurdes et représentants d'ONG lors de raids dans le cadre d'une enquête. La moitié d'entre eux ont été libérés samedi, mais leurs cellulaires ont été saisis.
« Les détentions font partie d'une politique systématique de menace et de silence », a déclaré l’association du barreau de Diyarbakir dans un communiqué.
« Les raids qui ont été entrepris aujourd’hui ont montré une fois de plus que les autorités turques veulent, coûte que coûte, réduire au silence la voix du Barreau de Diyarbakir et qu’il y a une intervention directe contre le travail des ONG ».
Human Rights Watch et Article 19 ont publié le 19 novembre une déclaration commune affirmant que le gouvernement turc « a déformé et faussé le processus judiciaire » pour maintenir Demirtas et d'autres politiciens du HDP derrière les barreaux en « abusant de la détention et des procédures pénales dans une campagne de persécution contre Demirtas en particulier ».
Pour certains experts, la dernière vague de détention pourrait être liée à une aile politique au sein du gouvernement qui entend favoriser son alliance avec le parti nationaliste MHP, qui n’a pas caché son mécontentement face aux dernières déclarations du parti sur Demirtas.
Mehmet Emin Aktar, ancien chef de l'Association du barreau de Diyarbakir, a affirmé qu'aucune accusation n'avait été portée lors de l'émission de mandats de détention contre les avocats.
« Lors des élections locales de 2019, les avocats de notre barreau ont été affectés en tant que comités de surveillance électoraux et ils ont rempli ce devoir professionnel avec des documents juridiques que nous avons émis. Les autorités turques auraient trouvé des documents portant les noms de ces avocats et militants lors d'un raid sur le Congrès de la Société démocratique, ou le DTK, qui, selon les autorités turques, est lié au PKK interdit », a-t-il déclaré à Arab News.
Le DTK a été fondé en tant que forum politique de grande envergure rassemblant des groupes de la société civile kurde en Turquie. Il a ainsi joué un rôle entre 2009 et 2015 comme intermédiaire entre le gouvernement et les différents groupes kurdes pendant le processus de paix, en vue de mettre fin à plus de trois décennies de conflit qui a entraîné la mort de milliers de personnes. Néanmoins, le processus de paix a été suspendu en juillet 2015.
Aktar a déclaré qu'au-delà des promesses rhétoriques de réforme judiciaire en Turquie, cette décision avait pour but d’intimider les avocats et les militants kurdes de la région et de les faire taire à jamais.
« Je dois dire que nous nous attendions à une telle décision depuis longtemps. Cependant, je ne pense pas que les Kurdes seront intimidés et arrêteront leur militantisme au sein de la société civile avec de telles tactiques », a-t-il déclaré.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com