En tentant de s'approprier l'identité arabe, Téhéran se prend les pieds dans le tapis

Des supporters émiratis à l’intérieur du stade, lors du match de football de la Coupe du Golfe des nations qui oppose le Qatar aux Émirats arabes unis (Photo, AP).
Des supporters émiratis à l’intérieur du stade, lors du match de football de la Coupe du Golfe des nations qui oppose le Qatar aux Émirats arabes unis (Photo, AP).
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Publié le Mercredi 18 janvier 2023

En tentant de s'approprier l'identité arabe, Téhéran se prend les pieds dans le tapis

En tentant de s'approprier l'identité arabe, Téhéran se prend les pieds dans le tapis
  • Pendant des décennies, Téhéran a traité avec dédain les communautés chiites du monde arabe
  • L’irascibilité de Téhéran au sujet du nom banal d’un tournoi de football met en évidence la faiblesse et l’infériorité du régime

Après des décennies au cours desquelles les Arabes du Golfe se rendaient rarement en Irak, le fait que la Coupe du Golfe des nations ait été organisée en Irak pour la première fois depuis 1979 a déclenché une vague d’enthousiasme. Néanmoins, les partisans de l’Iran cherchent désespérément à saboter les relations de l’Irak avec ses frères arabes. Tout le monde s’en est rendu compte lors de la cérémonie d’ouverture de la compétition, à Bassorah, lorsqu’une terrible altercation a entraîné le départ de la délégation koweïtienne, ainsi que d’autres délégations et ressortissants du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Les théocrates de Téhéran ont été particulièrement irrités par le Premier ministre irakien, Mohammed Chia al-Soudani, qui a parlé des «invités arabes des pays du golfe Arabique»: ils ont eu l’impression qu’il avait été nommé par leurs marionnettes irakiennes dans le cadre du projet d’expansion du «golfe Persique» de l’Iran. En outre, la participation de M. Soudani au sommet arabo-chinois du mois dernier à Riyad ainsi qu’à la conférence de Bagdad, organisée en Jordanie en décembre, a été largement interprétée – à tort ou à raison – comme un geste de bonne foi qui visait à améliorer les relations avec les États arabes.
L’Iran tente d’arracher des nations comme l’Irak, la Syrie, le Liban et le Yémen à leur culture et à leurs racines arabes pour les convertir en États satellites persans inanimés. Bien que ce projet soit voué à l’échec et que ces tentatives désespérées ne survivent guère au régime des ayatollahs, qui s’effondrera bientôt, de telles politiques hostiles ont semé le chaos, des massacres de masse, un nettoyage sectaire et des crimes contre l’humanité dans ces États arabes qui souffrent depuis longtemps.
Esam Hussein, un haut responsable du mouvement chiite sadriste (une entité que Téhéran cherchait auparavant à coopter) a condamné les réponses incendiaires de l’Iran à ces responsables irakiens qui sont allés jusqu’à prononcer le nom de «golfe Arabique». Il affirme: «L’Iran est très troublé par la proximité entre les Irakiens et les peuples des États arabes du Golfe. L’Iran ne souhaite pas ce rapprochement par crainte d’une augmentation future des voyages touristiques et du développement des liens économiques et d’investissement.»
En réalité, la Coupe du Golfe des nations porte ce nom depuis qu’elle a été organisée pour la première fois, en 1970. Téhéran soulève la question uniquement parce qu’il considère l’Irak comme son fief privé et estime que les dirigeants de Bagdad peuvent être humiliés à chaque occasion. Étonnamment, l’Iran (qui remet habituellement en cause la légitimité des «puissances coloniales» occidentales), dans ses fantasmes de «golfe Persique», considère les documents de l’époque coloniale comme des écrits indiscutables. Il insiste même pour qualifier les nations de la péninsule Arabique d’«États du golfe Persique», comme s’ils existaient d’une manière ou d’une autre sous l’hégémonie iranienne. Cette affirmation est particulièrement pernicieuse compte tenu des allégations illégales et occasionnelles selon lesquelles Bahreïn et d’autres îles et territoires du Golfe appartiendraient à la République islamique.
Le «golfe Arabique» a été un lac arabe à travers l’histoire. Au cours des derniers siècles, les territoires situés le long de la côte orientale du Golfe – isolés de la Perse intérieure par les montagnes du Zagros – étaient principalement occupés par des tribus arabes de marins et de petits États arabes autonomes. Les Arabes huwala font partie des habitants les plus connus de ce littoral. Beaucoup d’entre eux se sont ensuite établis dans les États arabes, fuyant les persécutions du régime du chah et de la République islamique.


Les disciples de l’Iran redoutent que, une fois que la Coupe du Golfe des nations aura stimulé l’appétit des citoyens de Bassorah pour l’unité arabe, les Arabes irakiens aient la volonté de favoriser l’établissement de relations fructueuses avec leurs frères et sœurs arabes.
Baria Alamuddin


Les mandataires irakiens de Téhéran s’emmêlent les pinceaux de manière hilarante sur la question du «golfe Arabique». Certains gardent le silence, de peur de mettre en colère leurs maîtres iraniens. Les dirigeants d’Al-Hachd al-Chaabi comme Qais al-Khazali ont passé des années à lutter contre l’identité arabe de l’Irak, menant même des campagnes pour éloigner les investissements des États arabes du Golfe. Un responsable du Hachd a ridiculement suggéré de renommer la région le «Golfe de Bassorah» tellement ils haïssent toute mention du sang arabe qui coule dans leurs veines. Cela ne risque pas de rassurer les ayatollahs, qui considèrent que la région entière – et peut-être même la planète – leur appartient.
Pendant des décennies, Téhéran a traité avec dédain les communautés chiites du monde arabe, les considérant comme des segments démographiques placés sous son hégémonie théologique et qui devaient donc obéir à tous ses ordres. Pourtant, ces efforts pour imposer la loyauté ont lamentablement échoué parce que les Arabes chiites en ont assez vu pour savoir que Téhéran ne tient pas compte de leurs intérêts et les tient pour des citoyens de deuxième classe. Les pèlerins arabes de Qom sur qui on crachait avaient des documents de voyage tamponnés ou étaient même enlevés contre une rançon, ce qui témoigne amplement du racisme ambiant. Les hommes d’affaires chiites ont été ruinés sur le plan financier par le flux de produits iraniens à bas prix déversés sur leurs marchés. Ceux qui sont à la solde de l’Iran ont vendu leur patrie au diable.
La Perse est l’une des cultures les plus anciennes et les plus riches du monde. On la retrouve dans la poésie, l’art, l’architecture, la science et la philosophie. La civilisation islamique classique est une synthèse indissociable du meilleur des cultures arabe et persane, mais le régime théocratique barbare de Téhéran n’a aucune richesse culturelle à exporter – seulement des missiles pour frapper les États du Golfe épris de paix, des armées par procuration pour dominer les nations arabes, des drogues pour polluer l’esprit des jeunes de la région et des efforts incessants pour étouffer le patrimoine riche et diversifié de la région avec leur culture monolithique de la mort.
La campagne de M. Soudani contre la corruption en Irak s’est heurtée à ces aspirations iraniennes à l’hégémonie régionale. La corruption s’est exacerbée sous Nouri al-Maliki de 2006 à 2014, lorsque 1 000 milliards de dollars (1 dollar = 0,92 euro) ont été volés, avec des transferts considérables vers l’Iran et d’énormes investissements dans les forces paramilitaires soutenues par Téhéran. À la suite de ces transactions corrompues, l’Irak fait désormais face à une crise monétaire après que les États-Unis ont interrompu les déplacements de dollars vers quatorze banques irakiennes, cherchant à empêcher le transfert de dizaines de milliards de dollars vers l’Iran. Muthanna Amin, membre du Parlement irakien, affirme que M. Soudani avait lui-même remis 4 milliards de dollars à l’Iran lors de son dernier voyage à Téhéran. Les seigneurs de la guerre du Hachd jouent un rôle majeur dans ces transferts au moyen de sociétés fictives et d’avions remplis d’argent liquide livrés à leurs trésoriers de Téhéran.
L’Iran a exécuté la semaine dernière Alireza Akbari, ancien responsable au sein du régime, qui n’avait commis d’autre «crime» que celui d’être irano-britannique. D’innombrables détenteurs de deux nationalités – l’une iranienne et l'autre étrangère – ont été arrêtés et condamnés à des peines de prison arbitraires en tant qu’otages dans le cadre de compromis diplomatiques. Avec cette approche délicate à l’égard des preneurs d’otages, les États occidentaux exacerbent ces politiques étrangères mafieuses. Lorsque la Grande-Bretagne remet à l’Iran 400 millions de dollars en échange de Nazanin Zaghari-Ratcliffe, sont-ils surpris que le régime prenne plusieurs nouvelles victimes en otage? C’est le même régime qui a assassiné Mahsa Amini et des milliers d’autres jeunes innocents. Ces condamnations ne servent absolument à rien. Les nations occidentales doivent traiter les dirigeants iraniens comme les criminels et les meurtriers de masse qu’ils sont.
La Coupe du Golfe des nations met en lumière deux Irak. Celui qui accueille les États arabes et du Golfe à bras ouverts et l’Irak plus obscur, parfaitement incarné par Bassorah, la ville de la corruption des milices, des assassinats ciblés, de la pandémie des stupéfiants, des catastrophes écologiques et de la pauvreté endémique. C’est pour cette raison que Bassorah a été le creuset de protestations de masse contre l’hégémonie iranienne corrompue.
L’irascibilité de Téhéran au sujet du nom banal d’un tournoi de football met en évidence la faiblesse et l’infériorité du régime. Les ayatollahs savent qu’ils sont condamnés et leurs propres citoyens sont impatients d’être débarrassés de ce fléau. Est-il surprenant, alors, que les habitants de Bassorah, de Beyrouth, de Sanaa et de Damas soient impatients de retrouver leur identité arabe?
Les disciples de l’Iran redoutent que, une fois que la Coupe du Golfe des nations aura stimulé l’appétit des citoyens de Bassorah pour l’unité arabe, les Arabes irakiens aient la volonté de favoriser l’établissement de relations fructueuses avec leurs frères et sœurs arabes.


Baria Alamuddin est une journaliste plusieurs fois primée et une présentatrice qui travaille au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com