Les troubles de l’ordre mondial et leur effet domino à l’échelle régionale

L’année 2022 a été témoin d’un grand nombre de troubles et d’instabilités. La guerre russo-ukrainienne a eu des répercussions sur la sécurité européenne et mondiale; elle a perturbé les chaînes d’approvisionnement énergétique, ce qui a contraint les gouvernements à faire face à de vastes pressions intérieures. Des transformations stratégiques de grande envergure sur la scène régionale et internationale ont découlé de ces troubles, affectant l’équilibre des rapports de force et conduisant à l’établissement d’alliances, de blocs et de partenariats nouveaux qui menacent et défient l’ordre unipolaire dirigé par les États-Unis.

Des puissances révisionnistes comme la Russie et la Chine ainsi que des pays comme l’Iran et la Corée du Nord ont intérêt à faire évoluer le monde vers un ordre multipolaire et à diffuser la concentration du pouvoir, qui est actuellement monopolisée par les États-Unis. Cependant, ce nouvel ordre mondial «multipouvoir» potentiel n’apparaît pas clairement – ses positions de leadership et ses concentrations de pouvoir n’ont pas encore été déterminées.

Le triangle Russie-Iran-Chine représente un casse-tête stratégique pour les États-Unis, car il pourrait lui faire perdre son emprise sur le Moyen-Orient et ailleurs. Ces acteurs planifient des projets économiques grandioses en vue d’établir des routes et des couloirs commerciaux pour contourner les sanctions, à l’abri de l’influence et de la supervision de l’Occident.

En outre, de nombreux événements ont contribué aux transformations stratégiques intervenues sur la scène internationale en 2022 et aux changements d’ordre géopolitique. Il s’agit de l’impasse européenne sur la guerre russo-ukrainienne et des schémas de réponse de l’Europe pour relever les défis croissants; de la question de Taïwan et de l’intensification de la rivalité sino-américaine dans l’espace indopacifique; des défis actuels auxquels sont confrontés les États-Unis sur la scène internationale; des crises qui frappent l’économie mondiale à la lumière des différends entre les grandes puissances mondiales; des développements militaires mondiaux; des menaces de sécurité non traditionnelles; et, enfin, de la crise à laquelle font face les groupes violents et les mouvements islamistes. 

Les développements à l’échelle mondiale ont eu une incidence particulière sur les alliances des principales puissances au Moyen-Orient et dans le monde, ainsi que sur les équations de pouvoir régionales et mondiales. Ces puissances régionales disposent actuellement d’une plus grande marge de manœuvre et d’une plus grande flexibilité au Moyen-Orient compte tenu des préoccupations américaines relatives à la guerre russo-ukrainienne et elles sont en mesure de renforcer encore davantage leur force et leur position dans le nouvel ordre mondial émergent.

Des puissances régionales comme l’Iran et la Turquie ont tiré profit du vide sécuritaire après le retrait des troupes américaines pour poursuivre leurs objectifs nationaux et sécuritaires respectifs. Comme leurs sphères d’influence et d’intérêts se recoupent, Téhéran et Ankara oscillent entre coopération et concurrence limitée. C’est ce mélange de calme et de tensions qui caractérisera leurs relations en 2023.

Le triangle Russie-Iran-Chine représente un casse-tête stratégique pour les États-Unis, car il pourrait lui faire perdre son emprise sur le Moyen-Orient et ailleurs.

Dr Mohammed al-Sulami

Il y a eu un changement de pouvoir tectonique entre les États du Golfe et l’Occident en 2022 à la lumière des administrations américaines successives, qui ont montré peu d’intérêt pour le Golfe, au-delà de la vente d’armes et de la garantie d’un approvisionnement sûr en énergie. Lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, les États du Golfe en ont profité pour faire étalage de leur force diplomatique. Ils ont adopté une position neutre, tout en condamnant l’invasion à l’ONU.

Il semble évident que l’Arabie saoudite poursuit sa trajectoire étrangère au nom de ses propres intérêts nationaux, bien définis, et de sa réticence devant les compromis, en particulier lorsqu’il s’agit d’adopter des positions contraires à ses propres intérêts. Cela s’est clairement manifesté par le déclin des relations entre les États-Unis et l’Arabie saoudite lorsque Riyad, avec d’autres pays membres de l’Opep+, a décidé de réduire la production de pétrole de deux millions de barils par jour malgré les fortes pressions américaines pour ne pas le faire. En outre, dans le cadre de l’initiative Vision 2030, le Royaume a lancé de nombreuses initiatives qui auront des incidences transformatrices de grande envergure en matière de dynamique socio-économique du pays, mais aussi de la région dans son ensemble.

De l’autre côté du golfe Arabique, la situation socio-économique et politique interne de l’Iran sous le gouvernement d’Ebrahim Raïssi a été mise en lumière en 2022. Le pays est sous le choc de la première année complète de sa présidence, au moment où il fait face à des développements politiques, économiques, sociaux, sécuritaires et idéologiques accablants. Ces événements ont contribué à diminuer davantage la légitimité des religieux, tandis que le meurtre de Mahsa Amini a provoqué une indignation massive à l’échelle de l’Iran: le mouvement de protestation s’est renforcé, malgré une répression sécuritaire sévère.

Le régime iranien se trouve dans une situation difficile malgré ses tentatives pour répondre aux demandes des manifestants. Il est probable qu’il sera également confronté à une situation difficile en 2023, d’autant plus que les membres de la génération Z du pays, qui mènent les manifestations, ne se contenteront probablement pas des changements superficiels apportés par les dirigeants iraniens. Cette génération veut des réformes réelles et globales ou la fin du régime Velayat-e faqih.

Les transformations susmentionnées auront des répercussions durables en 2023, avec un effet domino visible au Moyen-Orient et dans d’autres régions.

Le Dr Mohammed al-Sulami est directeur de l’Institut international d’études iraniennes (Rasanah). 

Twitter: @mohalsulami

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com