Le légendaire Winston Churchill, qui occupait le poste de Premier ministre britannique en temps de guerre, était un historien passionné. Il avait déclaré à l’époque: «Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur.»
Ces propos de M. Churchill sont d’une grande pertinence aujourd’hui, compte tenu des anniversaires, en fin d’année 2022 et en début d’année 2023, d’événements historiques majeurs qui façonnent encore le monde moderne. Un bon exemple est le 1er janvier; il s’agit du 75e anniversaire de la mise en œuvre de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, connu sous le nom de «Gatt».
Dans la perspective actuelle, le Gatt est devenu un moteur essentiel de la prospérité mondiale. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le commerce mondial a augmenté beaucoup plus rapidement que la croissance économique globale et, en 1995, le Gatt a finalement cédé la place à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une organisation qui ploie désormais sous la pression, à la lumière du protectionnisme rampant qui se manifeste sous plusieurs formes, notamment des barrières et des réglementations limitant les échanges.
Ainsi, l’anniversaire du Gatt ce mois-ci nous rappelle la clairvoyance de la politique américaine à l’époque. Après le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, les administrations Roosevelt et Truman ont cherché à construire un ordre mondial libéral durable, convaincues que le conflit était en partie une conséquence des politiques commerciales protectionnistes que de nombreux pays ont appliquées dans l’entre-deux-guerres.
Aussi important que soit l’anniversaire du Gatt, un autre événement historique pourrait avoir encore plus de pertinence pour une compréhension plus approfondie de 2023, compte tenu de la guerre en cours en Ukraine. En effet, cent ans après la création de l’Union soviétique le 29 décembre 1922, l’héritage de l’État communiste se poursuit à ce jour, notamment dans la politique russe envers l’Ukraine.
«Bien que Vladimir Poutine semble avoir la nostalgie de l’URSS, sa principale préoccupation est bien davantage la perte de respect à l’égard de la Russie sur la scène mondiale.» - Andrew Hammond
En 2005, Vladimir Poutine a qualifié la chute de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) de «plus grande catastrophe géopolitique du siècle». Outre la perte de prestige international, l’effondrement a conduit – selon les propres mots du président russe – «des dizaines de millions de nos concitoyens et compatriotes à se retrouver en dehors des frontières du territoire russe». L’année dernière, il a ajouté: «Il suffit de regarder ce qui se passe actuellement entre la Russie et l’Ukraine et aux frontières de certains autres pays de la Communauté des États indépendants. Tout cela est, bien évidemment, le résultat de l’effondrement de l’Union soviétique.»
La lecture de l’Histoire par M. Poutine, pourtant contestée, contribue à expliquer les énormes risques qu’il prend en Ukraine depuis le mois de février dernier. Avant l’invasion, les responsables russes avaient averti à plusieurs reprises qu’ils pourraient intervenir pour aider les citoyens russophones de l’est de l’Ukraine alors que les tensions montaient.
Bien que Vladimir Poutine semble avoir la nostalgie de l’URSS, sa principale préoccupation est bien davantage la perte de respect à l’égard de la Russie sur la scène mondiale. Ce sentiment est un élément majeur de son emprise sur le pouvoir, soit forger un sentiment de patriotisme après la guerre froide, en mettant notamment l’accent sur des moments historiques essentiels, comme le 75e anniversaire de la victoire de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie en 2020.
Cela aide également à expliquer pourquoi sa mission principale a été de restaurer l’importance géopolitique de la Russie au moyen d’opérations internationales telles que l’annexion de la Crimée en 2014 (que beaucoup considèrent comme le véritable début de la guerre en Ukraine) et son intervention en Syrie en 2015. Il a également accueilli, en 2019, le tout premier sommet Russie-Afrique, cherchant à restaurer l’influence de Moscou sur le continent qui s’était estompée après l’effondrement de l’Union soviétique.
Si ces initiatives de politique étrangère ont – du moins avant l’invasion de l’Ukraine – généralement eu des échos positifs auprès du public russe, elles ont abouti aux pires relations avec l’Occident depuis la guerre froide. Il est peu probable que cela change tant que M. Poutine reste au pouvoir.
Cette situation continuera d’avoir des répercussions importantes pour la politique internationale, en raison notamment de la proximité de Vladimir Poutine avec Xi Jinping, avec qui il a tenu un sommet par visioconférence le 30 décembre, en vue d’une visite d’État du président chinois à Moscou en 2023. Pékin et Moscou collaborent plus étroitement, non seulement pour faire avancer les intérêts bilatéraux, mais aussi pour se prémunir contre les perspectives d’un refroidissement durable des relations avec les États-Unis.
Le domaine le plus cité pour illustrer ces liens plus étroits est sans aucun doute celui de la sécurité. Ces dernières semaines, à titre d’exemple, la Russie et la Chine ont mené des exercices navals conjoints, que le chef de l’armée russe a décrits comme une réponse à la position «agressive» de l’armée américaine dans la région Asie-Pacifique.
Moscou et Pékin entretiennent également un dialogue économique approfondi et croissant, en particulier sur le plan énergétique. La Russie n’est devenue le premier fournisseur de pétrole brut de la Chine que le mois dernier, tandis qu’elle est aussi devenue le deuxième fournisseur de gaz acheminé par gazoduc de Pékin et le quatrième fournisseur de gaz naturel liquéfié.
Cette situation permet de comprendre pourquoi les enjeux du mandat restant de M. Poutine sont si grands. Les relations de Moscou avec l’Occident étant particulièrement glaciales, il pourrait opter pour des liens de plus en plus étroits avec Pékin, d’autant plus que Xi Jinping semble devoir rester durablement au pouvoir. Les répercussions seront profondes pour les relations internationales en 2023 et au-delà.
Andrew Hammond est un associé à la London School of Economics.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com