L’Europe peut-elle garantir la paix à long terme?

Pour la première fois, le système de missile sol-air américain Patriot a été déployé en Ukraine (Photo, AFP).
Pour la première fois, le système de missile sol-air américain Patriot a été déployé en Ukraine (Photo, AFP).
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Publié le Vendredi 23 décembre 2022

L’Europe peut-elle garantir la paix à long terme?

L’Europe peut-elle garantir la paix à long terme?
  • La priorité de Washington est de capitaliser sur la faiblesse relative de la Russie face à l’Otan, sachant qu’une telle possibilité ne se représentera peut-être pas de sitôt
  • Le président français, Emmanuel Macron, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, sont plus préoccupés par l’architecture de défense européenne que transatlantique

Parmi tous les problèmes découlant de la campagne russe contre l’Ukraine, l’avenir de l’architecture de défense européenne demeure sans doute le plus important. Les membres de l’Union européenne (UE) tiendront des propos contradictoires, car leurs intérêts varient. Comme prévu, la France et l’Allemagne ont exprimé leur désaccord, étant donné que les choix politiques de ces deux pays divergent davantage de ceux des États-Unis.

La priorité de Washington est de capitaliser sur la faiblesse relative de la Russie face à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), sachant qu’une telle possibilité ne se représentera peut-être pas de sitôt. La Russie ne s’effondrera pas complètement, donc l’affaiblir autant que possible est un objectif légitime dans l’esprit des dirigeants américains. Les États-Unis veulent également profiter de cette occasion pour stimuler leur propre industrie de défense, créer plus d’emplois et vendre plus d’armes. Dans le domaine économique, Washington voudrait empêcher le pompage de gaz naturel russe vers les pays européens et vendre le plus possible de gaz de schiste américain.

Le président français, Emmanuel Macron, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, quant à eux, sont plus préoccupés par l’architecture de défense européenne que transatlantique puisque à terme, ils auront des liens économiques étroits avec l’impressionnante Russie à leur porte. De plus, la France et l’Allemagne entretiennent des relations avec la Russie depuis plus longtemps, bien qu’elles aient également mené des guerres intenses.

L’antagonisme entre la communauté transatlantique et la Russie ne devrait pas durer indéfiniment. Il y aura une nouvelle architecture de défense en Europe avec ou sans la Russie. Lorsque les hostilités prendront fin, le gaz russe sera disponible à un prix moins cher que le gaz de schiste américain liquéfié. La dépendance excessive au gaz de schiste américain a aussi ses inconvénients. En outre, certains pays de l’UE ont peu de solutions de rechange par rapport au gaz russe. Par conséquent, une partie du réseau de gazoducs existant pourrait rester en service pendant une période dont la durée est difficile à prévoir.

L’attitude de la France et de l’Allemagne ne doit pas être perçue comme une faiblesse face à la Russie. Ces deux pays font entendre leur voix parce que l’architecture de défense européenne sera plus complète en tenant compte du facteur russe. Faire fi d’un pays de la taille de la Russie serait une grossière négligence.

«L’antagonisme entre la communauté transatlantique et la Russie ne devrait pas durer indéfiniment.» - Yasar Yakis

Ni la France ni l’Allemagne n’ont réduit leur soutien à l’Ukraine. En tant que deux grandes puissances européennes, elles ne veulent pas ignorer l’éléphant qui s’est invité dans la pièce – soit la Russie. La France a déjà commencé à rassembler des preuves de crimes de guerre, espérant que des personnalités russes de haut niveau seront traduites en justice devant la Cour pénale internationale (CPI).

Après le début de la campagne russe contre l’Ukraine, l’Allemagne a initié un ambitieux programme de dépenses en matière de défense et elle a développé une stratégie à long terme visant à dissuader Moscou de mener des activités. Elle a affecté une brigade pour la Lituanie. De telles initiatives ne changeront peut-être pas l’équilibre des pouvoirs ou le cours des événements dans la guerre, mais ils constituent tout de même des messages forts vis-à-vis de l’autre partie.

Trois autres pays peuvent former une autre catégorie en Europe. Il s’agit du Royaume-Uni, de la Finlande et de la Pologne. Après le Brexit, le Royaume-Uni se considère à nouveau comme un arbitre dans les conflits entre pays européens, bien que son poids ait diminué au fil des décennies. La Finlande a été un problème difficile à résoudre pendant la Seconde Guerre mondiale. Maintenant qu’elle va rejoindre l’Otan, c’est un pays beaucoup plus sûr qui pourrait adopter une attitude moins timide à l’égard de la Russie. La Pologne a été envahie et divisée trois fois au cours de l’Histoire. Ce contexte historique doit la hanter de temps en temps.

Les pays d’Europe centrale ne sont pas exposés à une menace directe; les pays méditerranéens non plus.

Il est vrai que la Russie a une volonté innée d’étendre et de regagner ses territoires impériaux perdus. Elle a envahi la Géorgie en 2008, la Crimée en 2014 et désormais l’Ukraine en 2022. Il est peu probable que la communauté internationale permette que cette impunité se poursuive plus longtemps.

La France a également essayé au début de la crise ukrainienne de servir d’intermédiaire entre la Russie et l’Ukraine, mais c’était plutôt dans la perspective de ne pas être à la traîne par rapport à la Turquie, qui entretenait de bonnes relations avec Moscou et Kiev. La France est bien sûr un acteur plus important sur la scène internationale, mais les circonstances étaient plutôt favorables à ce que la Turquie joue le rôle de médiateur.

Ankara a joué un rôle positif similaire dans l’accord sur les céréales conclu cet été. À ce sujet, la Turquie a utilisé le levier de la convention de Montreux, qui en fait la gardienne du détroit turc. Comme les céréales doivent être expédiées de la mer Noire vers les marchés internationaux, ces détroits constituent le point de contrôle le plus approprié pour les navires.

Otto von Bismarck, l’architecte le plus influent de l’unification allemande, avait l’habitude de dire que «les grandes questions ne seront pas tranchées par des discours et des décisions à la majorité, mais par le sang versé et les armes». Son pays a peut-être abandonné cette méthode, mais la Russie continue d’y recourir.

 

Yasar Yakis est un ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie et membre fondateur du parti AKP au pouvoir.

Twitter: @yakis_yasar

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com