SAN FRANCISCO : Éditeurs biaisés ou plates-formes impartiales? Plusieurs visions des réseaux sociaux se sont affrontées mardi au Sénat américain, où les fondateurs de Twitter et Facebook étaient de nouveau interrogés sur le pouvoir sans équivalent de leurs plates-formes sur le débat politique.
« Il semble que vous soyez devenu l'éditeur ultime », a déclaré Lindsey Graham, le président républicain de la commission judiciaire qui a organisé cette audition sur « la gestion de l'élection de 2020 », et la « censure » dont Donald Trump et ses alliés se considèrent victimes, malgré leur considérable audience sur ces réseaux.
Les élus des deux bords s'accordent sur la nécessité de réguler les géants des technologies, notamment en termes de transparence sur la modération des contenus. Mais les démocrates demandent plus de sévérité, pas moins.
Pendant les mois de tensions avant le scrutin, et la période actuelle de disputes, les deux entreprises californiennes ont déployé un arsenal sans précédent de mesures pour juguler la désinformation et les tentatives de discréditer le processus démocratique, y compris de la part du chef de l'État.
Des efforts qualifiés de « tout petits pas » par le sénateur démocrate Richard Blumenthal.
« Vous avez l'immense responsabilité civique et morale de vous assurer que ces instruments d'influence ne causent pas de dommages irréparables à notre pays », après avoir « largement profité des données collectées sur notre vie privée et de la promotion des discours de haine », a-t-il asséné.
« Voter à ma place »
« M. Zuckerberg, combien de fois (Steve Bannon) a-t-il le droit d'appeler au meurtre de hauts responsables du gouvernement avant que Facebook suspende son compte ? », a-t-il continué.
Les réseaux ont récemment sévi contre cet ancien conseiller de Donald Trump qui soutient ses théories infondées sur des fraudes massives et a appelé au meurtre d'Anthony Fauci, directeur de l'Institut des maladies infectieuse, entre autres.
Facebook et Twitter ont aussi épinglé et freiné la propagation de très nombreux messages du président – suivi par près de 89 millions d'utilisateurs sur Twitter – qui refuse de concéder la victoire au démocrate Joe Biden.
Mais « nos règlements ne sont basés sur aucune idéologie », a souligné Jack Dorsey, le patron de Twitter. « Nous croyons fermement dans l'impartialité, et nous appliquons nos règles équitablement. »
Les républicains assurent que les règles s'appliquent surtout à eux.
Ils n'ont notamment pas digéré la décision des deux réseaux de limiter la circulation d'articles du quotidien conservateur New York Post, qui assurait fournir des preuves sur une affaire de corruption impliquant le démocrate Joe Biden.
« Jamais nous ne laisserions le gouvernement réguler ce que la presse écrit, mais nous permettons à des entreprises privées, devenues de fait des forums publics, de réguler la parole », s'est indigné le sénateur John Cornyn. « Je n'ai pas plus envie de vous déléguer ces décisions que je ne voudrais vous laisser voter à ma place ».
« Stupides »
Au coeur du débat se trouve la « Section 230 », la loi qui protège les hébergeurs de poursuites liées aux contenus publiés par des tiers.
Or pour le sénateur républicain John Kennedy, la modération fait clairement des plateformes des « éditeurs ».
Il estime surtout qu'il faudrait « faire confiance aux gens pour décider avec leur esprit critique en quoi ils doivent croire, au lieu de présumer que nous sommes intelligents et qu'ils sont stupides ».
Les deux patrons sont d'accord pour une réforme de cette loi, mais sans chercher à les faire entrer dans les catégories existantes.
« Nous ne sommes pas comme les télécoms, puisque nous devons modérer certains contenus, comme le terrorisme (...). Mais nous ne sommes pas non plus un éditeur de presse car nous ne créons pas et ne choisissons pas en avance ce qui est publié », a fait valoir Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, appelant à la création d'un "cadre de régulation" sur mesure, avec plus de responsabilités.
Les deux hommes avaient déjà été auditionnées fin octobre sur ces sujets, et les élus ont fait savoir leur intention de continuer à les interroger sur les pratiques anticoncurrentielles, l'addiction du public aux réseaux ou encore les données personnelles.
Mais attention aux conséquences imprévues, a prévenu le sénateur républicain Ben Sasse, qui craint que de nouvelles lois « n'empirent » la situation. « C'est très étrange que tant de personnes de mon parti y tiennent tellement alors que nous aurons bientôt un gouvernement de l'autre bord en charge ».