SAN FRANCISCO : Facebook et Twitter ont dû faire face, comme ils s'y attendaient, à un flot contenu de désinformation pendant la journée et la nuit de l'élection américaine, notamment de la part du président Donald Trump qui tente de s'arroger la victoire, mais leurs nombreux garde-fous n'ont pas convaincu de nombreux observateurs et élus démocrates.
Alors que le dépouillement se poursuit mercredi, et que Donald Trump perd son avance dans certains Etats-clés, le candidat républicain enchaîne les messages insinuant qu'il y a des fraudes électorales. Le feu roulant a commencé mardi soir avec un tweet assurant que ses adversaires essayaient de « voler l'élection » et qu'il ne se « laisserait pas faire ».
C'était exactement le scénario redouté: le président a déplacé la guerre de communication et des nerfs, favorisée par de premiers résultats très serrés, sur les réseaux sociaux. Il sème le doute et menace de recourir à la justice.
Twitter a épinglé sur presque un message sur deux du fil du chef d'Etat cet avertissement: « Une partie ou la totalité du contenu partagé dans ce tweet est contestée et susceptible d'être trompeuse quant au mode de participation à une élection ».
Sur Facebook, les messages de Donald Trump étaient encore lisibles mais le géant des réseaux sociaux leur a adossé un lien vers son centre d'information sur les élections, qui montre les résultats officiels, soit un coude-à-coude avec le démocrate Joe Biden dans la course aux grands électeurs.
« Dès que le président Donald Trump a commencé à proclamer la victoire de façon prématurée, nous avons affiché des notifications sur Facebook et Instagram indiquant que le décompte des votes était en cours et qu'il n'y avait pas encore de gagnant » a souligné la communication du groupe californien.
« Au bord du précipice »
Ces mesures, prévues exactement pour cette situation, sont jugées insuffisantes par une partie de la société civile.
« En ce moment, le compte Twitter du président poste des mensonges et de la désinformation à un rythme infernal. C'est une menace pour notre démocratie et il devrait être suspendu jusqu'à ce que le décompte des votes soit terminé », a tweeté mercredi David Cicilline, un élu démocrate qui milite pour une régulation plus sévère des plateformes.
Quant à Facebook, « ils doivent absolument retirer (les posts de Trump), pas juste les épingler avec un interstitiel faiblard », s'indigne Jessica Gonzalez, co-directrice de l'ONG Free Press.
« Nous sommes au bord du précipice. C'est une expérimentation démocratique qui peut ne pas marcher », continue-t-elle, appelant aussi la plateforme à s'assurer à tout prix qu'elle « n'est pas utilisée pour fomenter ou légitimer des violences ».
C'est la crainte numéro un du géant des réseaux sociaux, soucieux d'apparaître comme un acteur responsable des élections.
Le spectre de 2016 - les vastes opérations de manipulation orchestrées depuis l'étranger - semble avoir été écarté pour l'instant. Mais l'armée de modérateurs de Facebook a la lourde tâche de débusquer les incitations à la violence et tous les messages qui pourraient mettre le feu aux poudres, y compris via les groupes radicalisés.
Début octobre, le réseau a ainsi supprimé les comptes liés à la mouvance conspirationniste « QAnon », un mouvement d'extrême droite pro-Trump. Twitter et YouTube ont pris des mesures similaires.
Juguler la désinformation
Les publicités politiques ou sur des thèmes sociaux ou électoraux sont interdites sur Facebook aux Etats-Unis à partir de mercredi et sans doute pour une semaine, afin de « limiter les risques de confusion ou d'abus ».
Mais difficile de juguler le flot de fausses rumeurs, venant notamment de supporters de Donald Trump, pour faire croire à des irrégularités ou des fraudes.
Malgré leur arsenal de précautions, « les plateformes ne sont toujours pas prêtes », estime l'ONG Avaaz.
« Au fur et à mesure que la carte électorale évolue, on voit les acteurs de la désinformation recycler leurs tactiques dans des Etats en jeu », a observé Alex Stamos, un chercheur à l'université de Stanford, lors d'une conférence mercredi.
« S'il y a des recours juridiques déterminants, on pourrait voir tout d'un coup ces discours resurgir dans les Etats concernés ».
Aux conversations incendiaires en public s'ajoutent les discussions privées, plus difficiles à surveiller.
« Depuis que les plateformes ont réprimé les groupes (de suprématistes blancs) comme les +Proud Boys+, il est clair qu'ils se sont déplacés sur Telegram, WhatsApp, Signal et d'autres messageries cryptées », pointe l'universitaire.