Une tentative de coup d'État en Allemagne? La semaine dernière, nous avons été stupéfaits d’apprendre que plus de cent trente raids avaient été menés par trois mille policiers et des forces spéciales dans onze États allemands. Parmi les personnes arrêtées figurent un ancien député, un prince, un avocat, un pilote et un chef cuisinier célèbre.
Les putschistes du mouvement d'extrême droite Reichsbürger avaient stocké des armes et suivi un entraînement militaire afin d'être prêts à prendre d'assaut les institutions gouvernementales allemandes et à faire de Heinrich XIII, prince de Reuss, le monarque du pays. Placé sur écoute, Heinrich déclare notamment: «Fini de jouer, nous allons les exterminer maintenant.» Les comploteurs discutent d'un «changement de système» et de l’«extermination» de leurs ennemis.
Dans une nation de quatre-vingt-trois millions d'habitants, le mouvement Reichsbürger, avec ses vingt et un mille membres, reste une entité marginale. Il rejette la légitimité de l'État allemand, estimant que le Reich de Hitler n'a jamais pris fin en 1945. Beaucoup détiennent leurs propres passeports et refusent de payer des impôts. Le groupe maintient même son propre «royaume» en Allemagne orientale, qui revendique ses propres institutions et sa monnaie parallèle. Les Reichsbürger sont étroitement associés à d'autres éléments néonazis tels que le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne.
Alors que la menace de l'extrémisme islamiste en Europe s'est atténuée, l'activisme, le recrutement et les activités terroristes de l'extrême droite sont en pleine expansion. Le gouvernement allemand prévient que «le terrorisme d'extrême droite reste la plus grande menace pour la démocratie allemande». Les experts mettent en garde contre la tendance croissante de ces groupes à exercer une violence armée. En 2021, l'agence de renseignement allemande a attribué plus de mille crimes extrémistes aux seuls éléments affiliés aux Reichsbürger. La police métropolitaine britannique rapporte que dix-huit sur les vingt personnes arrêtées l'année dernière pour des délits de terrorisme étaient influencées par des idéologies d'extrême droite.
Les atrocités d'extrême droite sont déjà une réalité: en 2011, le massacre de quatre-vingt-douze jeunes Norvégiens; en 2016, le meurtre de la députée britannique Jo Cox et l'attaque de la mosquée de Finsbury Park; en 2019, le massacre de quarante-neuf fidèles musulmans en Nouvelle-Zélande dans une synagogue de Pittsburgh; en 2022, les dix clients et employés noirs abattus à Buffalo. Et la liste est encore longue.
Ces données démographiques radicales ont été galvanisées par la prolifération des théories du complot antivaccin, des thèses antisémites et QAnon. La conspiration de la «grande réinitialisation» prétend que la pandémie était un complot de l'élite pour imposer des contrôles biosociaux au public. La «théorie du grand remplacement», selon laquelle les «mondialistes» cherchent à remplacer les Européens blancs par des immigrés, est ardemment défendue par des personnalités médiatiques comme Tucker Carlson, de Fox News, qui a monopolisé l’arène des discours haineux.
Il s'agit du dernier en date d'une série de complots armés en Allemagne. En 2014, un groupe de l'«État libre de Prusse» s'est armé et a créé sa propre milice. En 2016, un policier a été abattu par un membre de Reichsbürger lors d'une perquisition d’un arsenal d'armes illégalement amassé. En 2020, des Reichsbürger ont participé à l'assaut contre le bâtiment du Reichstag à Berlin en protestant contre les restrictions liées à la Covid-19. En avril dernier, les autorités allemandes ont déjoué un projet de Reichsbürger qui visait à kidnapper et à tuer le ministre de la Santé. Ces mouvements extrémistes sont disproportionnellement dangereux parce qu'ils absorbent des membres des forces de sécurité et des personnalités mécontentes de l'establishment.
La France a mené une action contre plusieurs complots terroristes d'extrême droite et, actuellement, douze individus font l’objet d’un procès parce qu’ils auraient tenté d’organiser l’élimination du président français, Emmanuel Macron, entre autres attaques. Le Nouvel Ordre social, un parti d'extrême droite portugais, est de plus en plus actif.
Les classes politiques occidentales flirtent depuis trop longtemps avec le populisme. Il est plus que temps d’en prévenir les activités.
Baria Alamuddin
En juin 2021, l'Italie a annoncé le démantèlement de l'ordre romain aryen d'extrême droite. Ses adeptes avaient été observés en train de comploter pour attaquer une installation de l'Otan. Pourtant, les néofascistes italiens et les disciples de Benito Mussolini occupent désormais le pouvoir, après la victoire aux élections du parti Frères d'Italie de Giorgia Meloni. Ces exploits électoraux ont inspiré des entités similaires ailleurs, comme le parti d'extrême droite espagnol Vox, qui vise un succès électoral en 2023. La Suède, la Pologne, l'Autriche, la Grèce, la Hongrie, les Pays-Bas et presque tous les autres États européens ont vu ces groupes proliférer, tant dans les urnes que dans l'activisme terroriste.
Les idéologies d'extrême droite se sont banalisées, car même les partis centristes se sentent attirés par l'adoption de politiques xénophobes et anti-immigrants ainsi que par le populisme de l'extrême droite. Le parti conservateur britannique a alimenté un climat post-Brexit «antiwoke» de guerre culturelle dans lequel fleurissent des attitudes racistes et réactionnaires perpétuées par les pires instincts des médias à sensation. Malgré les politiques d’«environnement hostile» qui criminalisent et stigmatisent les réfugiés ainsi que les migrants, il est peu probable que les niveaux de migration diminuent, ce qui signifie que les tensions et la polarisation qui découlent de cette dynamique ne disparaîtront pas de sitôt.
L’assaut contre le Congrès américain, en janvier 2021, a déjà inspiré de nombreux complots européens qui ont tenté de renverser l'ordre établi. Il devrait continuer à inspirer certaines personnes pendant un certain temps encore. Il est de plus en plus évident que cet événement a été minutieusement orchestré, jusque dans les plus hautes fonctions politiques. Bien qu'une grande partie de l'establishment politique républicain qui a autrefois aidé et soutenu Donald Trump soit maintenant désireuse de le mettre derrière elle, cela laisse une proportion hautement radicalisée de l'électorat américain qui adhère à de folles théories de conspiration inspirées par QAnon selon lesquelles l'élection de 2020 a été truquée.
Pendant ce temps, Benjamin Netanyahou a beau dénoncer haut et fort l'antisémitisme américain d'extrême droite, c'est lui qui forme un gouvernement truffé de fascistes et de néonazis. Les membres du Parti sioniste religieux, ce mouvement d'extrême droite, sont appelés à jouer des rôles décisionnels clés au sein de son cabinet, et l’on constate déjà une augmentation des attaques de colons contre des Palestiniens et des mouvements en faveur d'une intensification des activités d'expansion des colonies. Dans les coulisses du pouvoir, les extrémistes encouragent leurs troupes de choc sur le terrain.
Les radicaux d'extrême droite sont très actifs sur les médias sociaux et diffusent de la propagande raciste et des conspirations néofascistes. À l'heure où la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk a facilité la montée en puissance de l'activité raciste d'extrême droite en ligne, des mesures doivent être prises à l'encontre des plates-formes QAnon notoires, comme 4chan et le réseau Terrorgram de Telegram, où les meurtriers de masse sont glorifiés.
Trop de systèmes politiques occidentaux sont construits sur des postulats naïfs selon lesquels toutes les parties sont prêtes à respecter les règles du jeu. Ces hypothèses ont reçu un coup de semonce avec les tentatives systématiques pour renverser le résultat de l'élection présidentielle américaine de 2020. Toutes les nations doivent réévaluer si leurs institutions sont suffisamment solides pour faire échec à de tels défis à l’avenir. Les partis et les individus qui rejettent les principes de la démocratie pluraliste ne devraient pas être autorisés à participer à la vie politique. Des efforts redoublés sont nécessaires pour éduquer politiquement les jeunes afin qu'ils ne soient pas si facilement séduits par les théoriciens radicaux du complot.
Les Reichsbürger sont peut-être faciles à ridiculiser en tant que groupe d’aliénés, mais ils sont symptomatiques d'une population croissante qui flirte ouvertement avec des opinions fascistes et qui est prête à approuver le renversement du pouvoir par la force.
Cela ressemble de plus en plus à l'Europe anarchique, polarisée et politiquement volatile des années 1920 et 1930. Nous savons tous où cela a mené. Les classes politiques occidentales ont flirté avec le populisme pendant trop longtemps. Il est plus que temps d'entreprendre des activités de prévention – avant que le brasier de l'extrême droite ne réduise en cendres tout l'édifice démocratique.
Baria Alamuddin est une journaliste plusieurs fois primée au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.