Mondial 2022: Le Maroc, au-delà de Gibraltar!

L'attaquant français 11 Ousmane Dembele court avec le ballon lors du match de football du groupe D de la Coupe du monde 2022 au Qatar entre la France et le Danemark au stade 974 de Doha le 26 novembre 2022, et (R) le milieu de terrain marocain 17 Sofiane Boufal (L) se bat loin du milieu de terrain espagnol 09 Gavi lors de la Coupe du monde Qatar 2022. (AFP).
L'attaquant français 11 Ousmane Dembele court avec le ballon lors du match de football du groupe D de la Coupe du monde 2022 au Qatar entre la France et le Danemark au stade 974 de Doha le 26 novembre 2022, et (R) le milieu de terrain marocain 17 Sofiane Boufal (L) se bat loin du milieu de terrain espagnol 09 Gavi lors de la Coupe du monde Qatar 2022. (AFP).
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Publié le Vendredi 16 décembre 2022

Mondial 2022: Le Maroc, au-delà de Gibraltar!

Mondial 2022: Le Maroc, au-delà de Gibraltar!
  • La performance du Onze marocain n’aura pas été la seule surprise de ce Mondial, qui aura vu de grandes nations du football trébucher face à des équipes que les observateurs les plus aguerris n’attendaient pas: l’Arabe saoudite, le Japon et le Maroc
  • Les réactions des fans algériens furent et restent aux antipodes de celles de leurs médias officiels, et les vidéos comme les réseaux sociaux sont là pour le prouver: l’enthousiasme de la «rue algérienne» n’aura manqué ni de force ni de sincérité!

Historique. Jamais, sur la planète «Foot», ce qualificatif n’aura été, à propos d’une victoire, aussi juste, aussi justifié, aussi unanimement concédé. Le Onze marocain aura ainsi déjoué tous les pronostics, y compris ceux d’Alan Turing Institute et de l’Université d'Oxford qui, après simulation savante, avaient conclu que «le Brésil l'emporterait en battant en finale la Belgique». Résultats: le Brésil et la Belgique ont été éliminés, et proprement éliminés.

La performance du Onze marocain, inespérée pour les uns, improbable pour d’autres, n’aura pas été la seule surprise de ce Mondial, qui aura vu de grandes nations du football, comme l’Allemagne, l’Argentine et l’Espagne, trébucher face à des équipes que les observateurs les plus aguerris n’attendaient pas: l’Arabe saoudite, le Japon et le Maroc.

L’image d’un Ronaldo quittant le terrain en larmes restera longtemps, très longtemps, dans les mémoires… Pour fêter l’événement (la première fois qu’une équipe africaine parvient à une demi-finale de Coupe du monde), l’Afrique et le monde arabe ont scandé dans la liesse le nom de coach marocain: Walid Regragui. En fait, l’homme qui n’a pris sa fonction que trois mois à peine avant le début de la Coupe du monde au Qatar, succédait à Vahid Halilhodžić, célèbre sélectionneur d’origine yougoslave qui fut notamment le coach du club saoudien Ittihad Djeddah, avant d’être celui de l’équipe nationale de Côte d’Ivoire puis des «Fennecs» de l’Algérie, lesquels lui doivent d’avoir accédé pour la première fois de leur histoire en Huitièmes de finale de la Coupe du monde au Brésil, en 2014.

Les qualités de Walid Regragui sont reconnues par tout le staff, mais c’est un de ses amis d’enfance (de Corbeil-Essonnes, en région parisienne) qui en parle le mieux: «Walid se résume au travail, à l’abnégation, à la rigueur et au sérieux. Il ne lâchait jamais rien aux entraînements. Pour lui, la réussite provenait du travail.» (1)

Stupeurs et tremblements?

C’est curieusement ce titre d’une célèbre romancière belge qui m’est venu à l’esprit, en parcourant les réactions qui ont suivi la performance des Lions de l’Atlas. «Stupeurs», chez celles et ceux qui tombaient des nues; «tremblements», pour ainsi dire, chez celles et ceux qui vibrèrent d’émotion avant de laisser éclater leur joie… Déjà, après le match contre l’Espagne, selon la plate-forme de veille Visibrain, 2,2 millions de messages sur Tweeter ont été publiés en vingt-quatre heures, avec 1 107 tweets par seconde au plus haut pic d’activités, soit 24% de plus que pour la victoire des Bleus dimanche face à la Pologne (2).

Les couleurs du Maroc avaient envahi les écrans de télé même des pays absents de la compétition. De la stupeur, on est vite passé aux hommages… L’hommage le plus inattendu est venu de la… Maison blanche, plus exactement du secrétaire d’État, Anthony Blinken:

Les Lions de l’Atlas: après Gibraltar, les Pyrénées!

Ainsi, pour avoir sorti l’une après l’autre des équipes parmi les plus titrées du monde, pour avoir battu l’Espagne puis le Portugal, les Lions de l’Atlas ont repoussé les limites de leur réputation au-delà des Pyrénées, survolant Ceuta et Gibraltar (sic)… et si par cette métaphore, je mérite un pénalty, je sais à quoi m’en tenir: en la matière, les Lions de l’Atlas sont redoutables, comme ils l’ont montré le 6 décembre. Toute séquence de penalties est difficile à appréhender. Mais celle qui conclut le match Maroc-Espagne fut d’un suspense insoutenable. Et pourtant, les Lions de l’Atlas s’en sortirent royalement! Ils ont de qui tenir, et les plus vieux des Marocains se souviendront d’un certain «Chicha» (de son vrai nom Mohamed Lahcen): à peine 1m50 de taille, cet attaquant de l’Atlético de Tétouan tirait les pénaltys en regardant… les tribunes! C’était dans les années 1950.

En fait, c’est bien Yassine Bounou, le gardien de but, qui aura été l’homme du match, de tous les matches! Ce qui n’étonne pas l’ancien entraîneur-adjoint des Lions de l’Atlas, qui a eu ces mots: «C’est d’abord un type brillant intellectuellement, qui est toujours souriant. Un homme extraordinaire qui avait toujours le bon mot, qui soutenait tout le monde quand ça n’allait pas, un mec superpositif dans la vie d’un groupe.» (3) Les journalistes européens ont fini par le comprendre, et pour cause: l’homme a toujours les réponses à leurs questions, en arabe, en français, comme en anglais et en espagnol!

Sur la performance des Lions de l’Atlas, voici trois exemples émanant de dirigeants des équipes adverses:

Didier Deschamps, capitaine des Bleus: «Il y a peu ou peut-être personne qui les attendaient en demi-finale, mais ils ne sont pas là par hasard (…) Vous avez vu les équipes qu’ils ont jouées, ils n'ont pris qu’un but.»

Luka Modric, capitaine de l’équipe de Croatie: «Lors de notre premier match contre le Maroc, nous n'avons pas gagné, et tout le monde a crié au scandale en Croatie. Tout le monde a commencé à en parler et à dire que nous n'étions pas capables de battre le Maroc. Maintenant, regardez où sont les Marocains? J'ai vu à quel point ils sont compliqués à jouer.»

Fernando Santos, sélectionneur du Portugal: «Il s’agit d’une équipe forte et coriace et cela ne sera pas une tâche aisée face à un groupe qui a réussi à sortir l’Espagne de la course. Le Maroc va nous causer beaucoup de problèmes.»

«Des problèmes», et des conséquences: deux jours après l’élimination de La Roja par Les Lions de l'Atlas, le sélectionneur espagnol Luis Enrique a été démis de ses fonctions, et remplacé par Luis de la Fuente, coach des Espoirs.

«L’union du Maghreb du football: Plus forte que la politique»

À propos des medias censés couvrir la compétition, une chaîne de télévision s’était distinguée, et pas de n’importe quel pays: l’Algérie. Une fin de journal, avec pour toute info: la défaite de l’équipe d’Espagne (ou du Portugal), sans que le nom de l’équipe victorieuse ne fût mentionné… Une équipe innommable, en somme. Personnellement, à la speakerine, j’aurais conseillé d’annoncer la victoire du pays voisin en ces termes: «Le Portugal de Ronaldo a dû s’incliner devant la volonté d’Allah. Il faut dire que le vainqueur a dû bénéficier de la baraka de son voisinage avec le pays des parents de Zidane.» Sic.

Plus sérieusement, les réactions des fans algériens furent et restent aux antipodes de celles de leurs médias officiels, et les vidéos comme les réseaux sociaux sont là pour le prouver: l’enthousiasme de la «rue algérienne» n’aura manqué ni de force ni de sincérité! C’est ainsi qu’après avoir rappelé la «consigne» imposée aux médias du pays voisin, Maroc-Hebdo écrira: «Beaucoup d’Algériens ont fêté dans la joie la performance historique de l’équipe marocaine. À Doha, à Alger et ailleurs. Dans le centre-ville d’Alger, mardi soir, des jeunes sont aussi sortis pour célébrer la victoire des Lions de l’Atlas en entonnant des chants à la gloire des Marocains, sous un concert de klaxons.» (4)

Même le magazine Le Point, connu pour son peu de sympathie envers le pays des Fennecs, n’hésita pas, sous le titre: «L’union du Maghreb du football plus forte que la politique», à écrire: «Malgré les tensions politiques, beaucoup d’Algériens ont bien fêté la victoire du Maroc face à l’Espagne (…). Explosion de joie, klaxons, drapeaux algériens et marocains au bout d'une forêt de bras, sur les voitures, portés sur le dos… Le public d'Alger a célébré la victoire marocaine, première équipe arabe et maghrébine à atteindre les quarts de finale et quatrième équipe africaine à réussir cet exploit après le Cameroun en 1990, le Sénégal, en 2002 et le Ghana, en 2010.» (5)

Ce qu’omet de noter le magazine, c’est l’omniprésence du drapeau palestinien: y compris parmi les supporters marocains!

Une omniprésence inadmissible aux yeux d’un certain Georges-Marc Benamou, ancien journaliste français né à Saïda (Algérie), qui s’est permis d’interpeller le roi, ses ministres et l’ambassadeur du Maroc en France, les invitant à publier «un communiqué pour s'excuser du fait que l'équipe marocaine de football ait brandit le drapeau palestinien»(6)! Imposture et arrogance!...

Reste la question du jour (mercredi 14 décembre), et quel que soit le résultat: quelle sera l’équipe la plus «innommable» de la rencontre France-Maroc?

(1) BFM TV
(2) Twitter
(3) Patrice Beaumelle, cité dans fairE plaY.
(4) Maroc hebdo
(5) Le Point
(6) Twitter

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

Twitter: @SGuemriche

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.