L'accord de la semaine dernière établissant la frontière maritime entre le Liban et Israël a été le fruit de onze années de diplomatie tortueuse. Pourtant, jamais un accord n'a été accueilli avec autant de discrétion par les deux parties. Une cérémonie de signature sur la pelouse de la Maison Blanche? On en était bien loin, ces deux signataires, ennemis jurés et techniquement en guerre l'un contre l'autre, ne supporteraient même pas de se trouver dans le même pays.
Le secrétaire d'État américain, Antony Blinken, a déclaré que l'accord générerait «des investissements étrangers d’une nécessité cruciale pour le peuple libanais alors que celui-ci fait face à une crise économique aux effets ravageurs». Pourtant, pas une goutte de gaz n'a jusqu'à présent été découverte dans le champ offshore exclusivement libanais de Cana.
Même si des hydrocarbures étaient trouvés en quantités appréciables, l'extraction prendra des années. Et il suffit de regarder les exemples de l'Irak, du Venezuela et de la Libye pour se rendre compte qu'une telle richesse peut être autant une malédiction qu'une bénédiction. Il est à craindre également que la législation en matière de pétrole et de gaz ait été conçue pour permettre à des politiciens corrompus de faire fortune, tout en empêchant leurs revenus de revenir aux citoyens libanais.
Saluant l'accord frontalier, le grand défenseur de la propagande de Téhéran, Hassan Nasrallah, s’est répandu en divagations sur la «force de la résistance», et a fantasmé sur la façon dont le Hezbollah et son alliance hétéroclite de milices financées par l'Iran avaient en quelque sorte terrorisé Israël pour que ce pays fasse des compromis.
Même s'il existait un soupçon de véracité dans ce non-sens, est-ce ainsi que Nasrallah préconise que la diplomatie soit menée à l'avenir? Peut-être que menacer de bombarder la Banque mondiale pourrait provoquer les offres de prêt qui ont si inopportunément échappé au Liban jusqu'à présent. Ou qu’attaquer la navigation européenne pourrait mobiliser une plus grande assistance internationale pour le pays en cas de besoin?
Nasrallah ne comprend que le langage de la force. Il est facile de menacer d’attaques de drones l'infrastructure pétrolière d'un voisin comme moyen de répondre aux exigences à court terme, mais même un enfant de cinq ans sait que de telles tactiques sont la voie la plus rapide pour devenir un État paria.
Nous avons eu droit à une masterclass de double langage schizophrénique du Hezbollah: Nasrallah a invité ses partisans à considérer l'accord avec «un esprit patriotique», alors que les partisans de la ligne dure ont réagi avec colère et désarroi à cette «trahison»: ne sommes-nous pas en guerre avec Israël et engagés dans la destruction d'Israël? Ne devrions-nous pas dire que toute la côte palestinienne est un territoire arabe? Qu'est-il arrivé aux déclarations selon lesquelles «l'année prochaine, nous serons à Jérusalem?»
En fait, comme l'a souligné un haut responsable israélien, «l'accord affaiblit le Hezbollah comme il affaiblit l'emprise de l'Iran sur le Liban. Le Hezbollah préférerait que l'accord n'existe pas, mais une fois qu'il a été sur la table et que le peuple libanais s'est rendu compte qu'un accord était à portée de main, il était devenu impossible pour le Hezbollah de justifier son obstruction.
«Avec l'accord sur la frontière maritime, le Hezbollah et sa "résistance" ont de moins en moins de raisons d'exister»
Baria Alamuddin
Certains analystes ont fait valoir qu'avec la disparition de perspectives proches d'un nouvel accord sur le nucléaire iranien, Israël considérait l'accord sur la frontière maritime comme un moyen de réduire la probabilité d'une conflagration à ses frontières nord. Mais le Hezbollah reste le jouet de l'Iran, et si Téhéran choisissait la voie de la confrontation, ou si Israël lançait des frappes préventives sur les sites nucléaires iraniens, rien ne pourrait éloigner le Liban de l'effusion de sang qui en résulterait. Nasrallah ignore une réalité: dans un tel conflit, les États-Unis et leurs alliés ne resteraient pas les bras croisés. Un ancien ministre britannique m'a dit que la Grande-Bretagne et d'autres États interviendraient «assurément» pour soutenir Israël.
Cet accord de frontière maritime a coïncidé avec le départ de Michel Aoun du palais présidentiel libanais. Un grand nombre de ses alliés ont salué l'accord comme le «couronnement» de ses six années au pouvoir. En réalité, sa présidence a été un incessant désastre, qui a atteint son paroxysme avec l'effondrement économique et politique total du Liban. La poignée de partisans transportés en bus pour camper à l'extérieur de son palais et dire au revoir au président sortant était une combine bon marché qui n'a servi qu'à rappeler le peu de soutien dont bénéficie Aoun.
Son gendre Gebran Bassil fantasme toujours sur sa possibilité de devenir le prochain président, étant donné que même le Hezbollah ne soutient plus avec enthousiasme sa candidature. Le mieux qu'il puisse espérer est son prochain anéantissement électoral, après avoir vendu sa propre âme et celle de sa faction chrétienne au «Hezb al-Shaitan» («parti du diable»). Si jamais un inventeur découvrait un moyen de convertir la haine en électricité, la haine écrasante du peuple libanais envers Bassil pourrait mettre fin d’un seul coup aux pénuries d'électricité dans le pays.
En fait, avec l'accord sur la frontière maritime, le Hezbollah et sa «résistance» ont de moins en moins de raisons d'exister. Maintenant que Nasrallah a conquis les mers, le seul argument restant justifiant le maintien de ses armes par le Hezbollah est la célèbre cause de la zone frontalière des fermes de Chebaa, universellement reconnue comme territoire syrien – s'il existait un gouvernement syrien légitime et souverain qui pourrait le réclamer.
Par ailleurs, le Liban a encore un long chemin à accomplir vers la prospérité. La perspective d'exploiter les réserves d'hydrocarbures en Méditerranée est une étape sur cette voie, mais il faudra faire davantage. Un deuxième changement à opérer serait l'exécution des mandats de l'ONU pour le retrait complet des entités armées de l'arène politique libanaise, d'une manière qui permettrait aux donateurs internationaux de réactiver les robinets financiers afin que les milliards de dollars de financement et d'investissements puissent être rétablis. Une troisième priorité doit être une action radicale pour lutter contre la corruption endémique, avant que le gotha libanais des barons voleurs et des seigneurs de la guerre ne puisse vider les coffres des richesses gazières susceptibles d’entrer dans le pays.
Le Liban a deux avenirs possibles: l'un est le conflit et la désintégration, l'autre est la prospérité et la renaissance. Nasrallah appelle à «l'esprit patriotique» – si seulement le Hezbollah avait suffisamment de patriotisme pour permettre aux citoyens libanais de prendre en main leur propre avenir.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com