Au terme d’un mandat tumultueux de six ans, le président Michel Aoun quitte enfin le palais présidentiel, situé sur la colline du village de Baabda, qui surplombe Beyrouth. La fin de ce mandat se caractérise, comme on le redoutait, par une crise aiguë du pouvoir exécutif libanais. Et pour cause: M. Aoun et son entourage auront tout fait pour qu’on en arrive à une situation de vacance dans de nombreux domaines.
On constate d’abord un vide au niveau de la magistrature suprême, et c’est un gouvernement actuellement démissionnaire qui aura la lourde charge de le combler. Or, un gouvernement sortant ne peut exercer ses pleins pouvoirs. En outre, avec la fin du mandat de Michel Aoun, les prérogatives du président, selon la Constitution, sont transférées au gouvernement tant que la présidence est vacante. C’est là un nouveau coup dur qui vient pousser l’appareil de l’État encore plus loin dans l’abîme des crises qui rongent le pays du Cèdre.
Ainsi, après six ans de pouvoir, M. Aoun laisse derrière lui un pays en ruine. Le pouvoir exécutif est paralysé, le pays est en faillite, la crise financière est d’une rare violence. Les Libanais sont poussés vers une émigration économique qui rappelle les années cruelles de la Première Guerre mondiale et celles de la guerre civile qui s’est étendue de 1975 à 1990. C’est un pays traumatisé que M. Aoun nous lègue, après six ans d’un mandat marqué par des guerres fratricides en partie alimentées par ses lieutenants.
L’ex-président ne porte pas seul la responsabilité de la crise qui frappe le Liban. Néanmoins, son tempérament belliqueux – rappelons son rôle dans la guerre civile qui a ravagé le Liban, surtout après la signature des accords de Taëf – a contribué à son aggravation.
Au Liban, le rôle d’un président de la république devrait être celui d’un élément fédérateur de premier plan dans un pays multiconfessionnel, pluriculturel, exposé à des conflits d’ordre identitaire ainsi qu’à des querelles politiciennes interminables, et où règne une corruption record.
Le président sortant a bel et bien raté son mandat. Il en sort politiquement affaibli, tout en ayant grandement contribué à aggraver la crise qui bloque l’élection présidentielle. Il espère toujours porter son gendre et héritier politique, M. Gibran Bassil, à la présidence. De ce fait, M. Aoun a insisté pour multiplier ses apparitions médiatiques, tirant à boulets rouges sur tous ses adversaires politiques, à commencer par le président de la Chambre des députés, M. Nabih Berri, ainsi que le chef du gouvernement sortant, M. Najib Mikati.
M. Aoun n’a pas terminé son mandat dans le calme et la sérénité. Il s’est révélé plus belliqueux que jamais lorsqu’il a organisé son départ du palais présidentiel avec ses partisans. Son objectif était visiblement de faire savoir à ses pairs qu’il restait un acteur incontournable et que la fin de son mandat ne signifiait en aucun cas qu’il quittait la scène.
M. Aoun compte poursuivre ses batailles politiques à l’aide de son entourage. Ce dernier l’encourage à mener la vie difficile au Premier ministre sortant afin d’empêcher le gouvernement de fonctionner normalement. C’est un bras de fer qui s’annonce entre l’ex-président, âgé de 88 ans, et ses adversaires de tout bord.
Il est important de signaler que M. Aoun détient une carte majeure dans son arsenal: son alliance indéfectible avec le Hezbollah, la milice pro-iranienne. Il entend préserver cette union cruciale qui lui fournit un appui important au sein de la composante chrétienne libanaise.
Fort de ses dix-neuf députés au Parlement, le Courant patriotique libre de l’ex-président Aoun se positionne de fait comme un allié de taille du Hezbollah. En contrepartie, la milice pro-iranienne lui offre son soutien politique, sécuritaire et matériel. De quoi aider M. Aoun à rester sur le devant de la scène politique après son départ de la présidence.
Avec la fin du mandat de M. Michel Aoun, une page se tourne. Mais elle rappelle que le Liban est un pays toujours en crise et que ses hommes politiques portent une grande responsabilité. M. Aoun en est un exemple criant.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban.
TWITTER: @AliNahar
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.