Les marchés financiers mondiaux, en dehors de quelques exceptions, sont parvenus à défier les lois de la gravité depuis que la pandémie de Covid-19 a pris de l’ampleur en mars dernier. Cependant, on a de plus en plus le sentiment que « les choses devront changer », en particulier sur les marchés boursiers.
Au cours des prochaines semaines, les plus grandes entreprises du monde publieront leurs chiffres de bénéfices pour le deuxième trimestre de 2020. Pour beaucoup, ce seront les pires résultats de leur histoire.
Les marchés financiers n'ont pas encore réagi à cette perspective. L'indice S&P 500 – qui mesure la performance boursière des 500 plus grandes sociétés cotées en bourse aux Etats-Unis– a repris sa tendance haussière et s'est remis de la quasi-totalité des dommages subis en mars, lorsque les cours des actions s’étaient effondrés d’environ 30% après la mise en place des premières mesures de confinement.
Le redressement spectaculaire des marchés américains s’explique par l'intervention massive et rapide des pouvoirs publics, qui ont injecté des sommes exceptionnelles dans le système. D'autres grandes économies leur ont emboîté le pas à divers degrés.
Le G20 a récemment rapporté que dans le cadre exceptionnel de la pandémie, l’appui budgétaire à l’échelle mondiale s’était élevé à 10 000 milliards de dollars. Mais ce soutien économique inédit sera mis à rude épreuve au cours des semaines et des mois à venir.
Les investisseurs professionnels évaluent traditionnellement la valorisation des actions par un indicateur appelé le ratio P/E (Price-earnings ratio), dans lequel le « P » représente le prix et le « E », les bénéfices. Plus le ratio est faible, meilleure est la valeur des actions. Pour la quasi-intégralité des cinq dernières années, le ratio a été en moyenne d'environ 17, ce que de nombreux experts ont considéré comme assez élevé historiquement. Actuellement, il est passé à 22. Lorsque le facteur « E » diminue, le ratio augmente, cela signifie que les actions sont chères et surévaluées, et qu’elles devraient être vendues. Une « correction » suit généralement.
C’est au cours des deux prochaines semaines que le facteur bénéfice atteindra sa valeur la plus basse depuis la crise financière mondiale en 2008. Les professionnels prévoient que les bénéfices s'effondreront d'environ 50 % au deuxième trimestre de l'année. Le secteur de l'énergie – victime d’une baisse de la demande et des prix – sera parmi les plus atteints, mais globalement tous les grands secteurs, tels que l'industrie, la consommation et l'immobilier, connaîtront une baisse significative. Seuls les soins de santé et les services publics pourront passer au travers du « carnage », estiment les analystes. Il semble inévitable qu’il y ait dans un avenir proche une correction du marché.
Avec la publication des bénéfices, les investisseurs professionnels recherchent des indications leur permettant de se faire une idée du futur profil de rentabilité. Aujourd’hui, face à l’incertitude générale, il n’existe pas de vrai consensus sur l'avenir. Il est peu probable que des déclarations positives soutiennent le cours des actions.
Les calculs d'investissement à eux seuls devraient anticiper une forte baisse des cours, même sans tenir compte d'autres tendances macro-économiques qui pourraient affecter le cours des actions.
La plus grande préoccupation est que la pandémie soit loin d’être finie et que les grandes économies du monde soient à nouveau contraintes d’opter pour des stratégies de confinement, à différents degrés, pour faire face à de nouvelles vagues de Covid-19.
Cela anéantirait tout espoir d'une forte reprise en « V » cette année. En tout état de cause, de nombreux économistes ont déjà renoncé à cette perspective, et en cas de forte résurgence de la Covid-19 aux États-Unis, en Inde, ou dans d'autres grandes économies qui ont déjà eu des difficultés à gérer la première vague, le pessimisme pourrait se généraliser.
Le tableau n’est cependant pas si noir. Les décideurs mondiaux possèdent encore des munitions en cas de forte baisse des marchés financiers. Les États-Unis envisagent une autre injection de milliards de dollars, tandis que les Européens se sont accordés sur un plan de relance de 750 milliards de dollars.
Au Moyen-Orient, en raison d'un régime fiscal plus strict, lié à la chute des revenus pétroliers, les capacités d’intervention sont moindres. Mais les grandes économies du CCG disposent d’un accès facile aux marchés financiers internationaux pour surmonter la crise financière, et elles peuvent toujours puiser dans des ressources inexploitées de leurs fonds souverains, si elles choisissent de les utiliser.
Il semble inévitable qu'il y ait une sorte de correction du marché à venir. La réponse des décideurs déterminera à quel point les prix baisseront.
Frank Kane est un journaliste économique primé basé à Dubaï.
L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com