Beaucoup de gens laissent entendre que le Moyen-Orient n'est important qu'en raison de ses réserves de pétrole et de son approvisionnement énergétique – cela étant donné l’essor des énergies renouvelables et le fait que les États-Unis sont devenus autosuffisants en matière d’énergie –, l'importance et l’intérêt de notre région régressant de plus en plus sur la scène mondiale. Je ne suis pas d'accord avec de tels points de vue.
Premièrement, l’époque du pétrole n’est pas encore révolue, et, à mesure que la population mondiale continuera de croître, la demande continuera d’exister. Mais plus important encore, le Moyen-Orient dans son ensemble est bien plus qu'une simple réserve d'énergie pour le monde. En effet, le Moyen-Orient et la région du Golfe sont au cœur de nombreux éléments qui sont essentiels pour le reste du monde. Ils sont, à titre d’exemple, à la croisée des réseaux de transport mondiaux, tant pour les voies aériennes que maritimes. La région est au centre des flux financiers et des mouvements de population. Il existe également, comme nous le savons tous, de nombreux facteurs religieux et culturels qui confèrent à la région une importance et un intérêt accrus.
C’est pour tous ces paramètres que la région a toujours été le centre de conflits, et une scène de la lutte mondiale pour le pouvoir. Il est néanmoins indéniable que des changements majeurs s’opèrent dans le monde, de la concurrence pour le pouvoir entre les États-Unis et la Chine à l'émergence de puissances dans le domaine technologique telles que Amazon, Alphabet et Facebook, qui exercent une influence et un pouvoir directs sur les plans économique et social, ainsi que sur les décisions politiques, à travers leur contrôle des données.
Il semble que la pandémie de Covid-19 ait accru l'urgence pour les nations à faire face à ces changements tectoniques. Tant que la situation perdure, je crois fermement que le Grand Moyen-Orient a une occasion historique de prendre le contrôle et d'influencer ces changements, plutôt que de continuer à être une zone de confrontation.
En fait, l'importance de la région pour la stabilité mondiale signifie qu'il est nécessaire que nous construisions la stabilité dans la région, d'autant plus que les puissances de moyenne envergure – des pays qui ne sont pas de grandes puissances mais qui ont néanmoins une certaine influence internationale – cherchent à renforcer le leadership et la coopération.
Il est également clair que nous ne pouvons pas continuer à passer d’une crise à l’autre, en luttant pour éteindre le feu des conflits, tandis que d’autres régions œuvrent à la prospérité et connaissent la croissance. Le Grand Moyen-Orient mérite mieux et devrait planifier un nouveau rôle et de nouveaux objectifs. Il y aurait tellement de potentiel à débloquer si la stabilité géopolitique pouvait être atteinte.
Il semble que la pandémie de Covid-19 ait accru l'urgence pour les nations à faire face à ces changements tectoniques. Tant que la situation perdure, je crois fermement que le Grand Moyen-Orient a une occasion historique de prendre le contrôle et d'influencer ces changements, plutôt que de continuer à être une zone de confrontation.
Cette stabilité ne peut s’établir qu’avec un certain nombre d’évolutions importantes dans la région, notamment la création d’une nouvelle infrastructure politique, sécuritaire et militaire, stable et solide, capable de protéger les intérêts communs de la région; une alliance qui dispose de leviers pour résoudre les différends régionaux difficiles tout en agissant comme un moyen de dissuasion contre les ingérences extérieures; une infrastructure pour promouvoir la sécurité qui va au-delà des nations arabes pour inclure d'autres pays clés au Grand Moyen-Orient, de l'Asie Centrale à l'Afrique du Nord.
Les groupes de réflexion proposent l'Organisation du traité de l’Atlantique Nord (Otan) en exemple pour la forme que devrait prendre cette infrastructure du Grand Moyen-Orient. Elle se doit d’être la pierre angulaire d'une alliance politique et sécuritaire régionale et de promouvoir des relations bilatérales et des partenariats solides entre ses membres. Elle ne devrait donc pas être réservée aux seuls pays arabes, mais inclure toutes les nations du Grand Moyen-Orient qui recherchent la stabilité, la coopération et des relations bilatérales fructueuses. Elle travaillerait également avec des partenaires mondiaux qui souhaitent soutenir la stabilité et la prospérité dans la région et aider à garantir le maintien d’un bon équilibre international.
La clé de la création d'une telle institution est de promouvoir l'acceptation d'une attitude non interventionniste dans les affaires internes des autres pays comme principe fondateur. L'objectif de cette infrastructure ne doit pas être de menacer la sécurité d'autrui, quel que soit son comportement, mais de sauvegarder la stabilité et la sécurité régionales par la dissuasion.
Une alliance du Grand Moyen-Orient devrait offrir un cadre solide qui crée de fortes opportunités d'échanges culturels, commerciaux, et d'investissements transfrontaliers.
Cette nouvelle alliance et cette nouvelle infrastructure devront également tirer les leçons des erreurs et des problèmes rencontrés par les institutions précédentes qui sont devenues inutiles ou rendues impuissantes en raison d’un manque de clarté au sujet de leurs missions, ou de divisions entre leurs membres. D’une manière générale, c’est le problème auquel les pays arabes sont confrontés depuis longtemps, leurs intérêts s'alignant ou divergeant d'une question à l'autre.
Chaque fois que la région est confrontée à un problème, ce dernier est décrit comme un «problème arabe». Nous assistons à des ingérences dans la région de la part du monde entier, et, lorsque règne le chaos, le blâme est mis sur les principaux pays arabes dont les initiatives et les propositions ont été sabotées. C'est le cas, par exemple, du processus de paix israélo-palestinien; l’initiative de paix arabe a été détruite par l’Iran, avec l’aide du Hamas. C'est le cas au Liban, où toutes les solutions sont bloquées par les vues hégémoniques de Téhéran. Et maintenant, c'est également le cas avec l'ingérence de la Turquie en Libye.
Ces «pouvoirs d'ingérence» profitent des divisions et ont ainsi attisé ces désaccords régionaux. Par conséquent, la principale difficulté dans la construction d'une alliance régionale est qu'elle exige un alignement complet des intérêts de chaque participant et un accord complet sur les solutions proposées pour résoudre les problèmes. Nous pouvons constater ces frictions au sein des organisations internationales existantes, telles que l'Union européenne (UE) et l'Otan. Elles sont confrontées à des problèmes similaires parce que, de plus en plus, leurs membres ne peuvent pas s'entendre sur des politiques communes, ce qui laisse la porte ouverte à d'autres pour agir et tirer avantage de leur discorde.
Un analyste a récemment signalé que la Turquie et l'Iran ont perdu la confiance du monde arabe ainsi que d'autres puissances internationales, telles que l'Europe, les États-Unis et même la Chine, et que cela explique leur comportement. Je ne partage pas son point de vue: je pense que ces pays ont choisi de suivre le chemin de l'hégémonie, dissimulée derrière une vision idéologique sectaire. Ils ont choisi une stratégie négative d'ingérence dans les affaires d'autres pays plutôt que de promouvoir l'établissement de relations bilatérales positives.
Malgré de nombreuses approches de la part des États-Unis et des pays arabes, ces deux pays ont systématiquement refusé la conciliation et maintenu leur objectif hégémonique. Cela a été un choix constant malgré les appels répétés à la désescalade. La raison principale en est, à mon avis, l'absence d'une force de dissuasion régionale forte, ce que créerait l'infrastructure que j'ai décrite. Pourtant, toute alliance devrait avoir des objectifs plus vastes et une vision plus large, car nous ne pouvons pas construire un avenir meilleur uniquement en affirmant ce à quoi nous nous opposons. Nous devons définir ce que nous défendons et ce que nous voulons construire et protéger.
Une alliance du Grand Moyen-Orient devrait offrir un cadre solide qui crée de fortes opportunités d'échanges culturels, commerciaux, ainsi que d'investissements transfrontaliers. Ce n'est qu'en créant ces liens et en les protégeant que nous transformerons cette région et l’améliorerons.
Khaled Abou Zahr est le PDG d’Eurabia, une entreprise de médias et de technologie. Il fait également partie de la rédaction de Al-Watan al-Arabi.
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de Arab News.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com