L’Iran a remporté la bataille mais doit perdre la guerre pour que l’indépendance de l’Irak perdure

Des irakiens se rassemblent lors d’une manifestation antigouvernementale à Bagdad, en Irak, le 2 septembre 2022 (Photo, Reuters).
Des irakiens se rassemblent lors d’une manifestation antigouvernementale à Bagdad, en Irak, le 2 septembre 2022 (Photo, Reuters).
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Publié le Mardi 06 septembre 2022

L’Iran a remporté la bataille mais doit perdre la guerre pour que l’indépendance de l’Irak perdure

L’Iran a remporté la bataille mais doit perdre la guerre pour que l’indépendance de l’Irak perdure
  • Les services de renseignement irakiens mettent en garde contre de nouveaux assassinats par des paramilitaires soutenus par l’Iran, alors que les conflits entre factions s’intensifient
  • Le régime de Téhéran a annulé des vols et a demandé à ses citoyens d’éviter de se rendre en Irak, conscient de la colère nationale que ses actions susciteraient

La guerre civile frappe à la porte de l’Irak. En effet, au moins trente personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées lors d’affrontements à Bagdad la semaine dernière. La survie du pays en tant que nation indépendante étant en jeu, les manifestants ont envahi les rues en promettant de nouvelles manifestations de masse et en scandant «l’Iran ne gouvernera pas l’Irak».

Les services de renseignement irakiens mettent en garde contre de nouveaux assassinats par des paramilitaires soutenus par l’Iran, alors que les conflits entre factions s’intensifient et que les milices rivales attaquent leurs bureaux respectifs. À Bassora, dans le même temps, des affrontements sanglants se sont produits entre la même combinaison de forces de milices rivales. La coalition paramilitaire Al-Hachd al-Chaabi, largement alignée sur Téhéran, comprend à elle seule près de cent soixante mille hommes en armes, mettant en lumière les répercussions fluctuantes de cette crise.

Téhéran et ses acolytes pensent avoir remporté la dernière manche de ce règlement de comptes politique à gros enjeux lorsque leur principal rival, Moqtada al-Sadr, a choqué tout le monde en se retirant de la politique. De tels développements rapprochent l’Irak de la prééminence iranienne et affaiblissent les espoirs de préserver l’Irak en tant que nation indépendante et souveraine.

Lorsque M. Al-Sadr a retiré ses députés du Parlement cet été, les mandataires de Téhéran y ont vu l’occasion parfaite pour organiser un coup d’État contre le choix des électeurs irakiens en inondant le Parlement de leurs alliés et en affirmant leur droit de choisir un gouvernement. Moqtada al-Sadr a contrecarré cette initiative en envahissant la zone verte de Bagdad avec ses partisans et en organisant un sit-in de masse. L’Iran a répliqué en passant à la phase suivante de ses manigances.

Dans ses efforts pour supprimer Moqtada al-Sadr en tant que rival, Téhéran croyait détenir un atout de taille – l’ayatollah Kazem al-Haeri, le chef religieux de Qom initialement désigné par le propre père de M. Al-Sadr comme l’autorité religieuse du mouvement sadriste.

M. Al-Haeri a nommé Moqtada al-Sadr comme son adjoint à la veille de l’invasion américaine de 2003, permettant à ce dernier d’acquérir une notoriété en tant que principal opposant à l’occupation américaine. Cependant, un an plus tard, alors que Téhéran luttait pour contrôler M. Al-Sadr à la suite de sanglants soulèvements sadristes, Kazem al-Haeri a été contraint d’émettre une fatwa répudiant ce dernier et ordonnant à ses partisans de ne pas lui payer leurs impôts – un signe précurseur de ce qui s’est passé ces derniers jours.

«Tous les Irakiens devraient exprimer leur refus de voir leur pays gouverné par des paramilitaires mafieux, agissant à la demande d’un voisin hostile.» - Baria Alamuddin

C'est également lors de la scission de 2004 que Téhéran a commencé à parrainer des milices dissidentes au sein du mouvement sadriste, qui se sont transformées en entités telles que Asa’ib Ahl al-Haq et Kata’ib Hezbollah – des forces qui sont désormais engagées dans des accrochages armés avec des partisans sadristes.

M. Al-Sadr s’est ensuite retiré à Qom où il a rétabli sa relation avec M. Al-Haeri, mais en raison de son propre pouvoir religieux fragile, il continue de compter sur Kazem al-Haeri comme source de légitimité. C’est ce qu’a exploité le régime iranien la semaine dernière en obligeant M. Al-Haeri à se retirer et en ordonnant aux partisans sadristes de cesser de payer des taxes religieuses. Pire encore, Kazem al-Haeri leur a ordonné de prêter serment d’allégeance au principal ennemi des sadristes, l’ayatollah Khamenei. Les responsables sadristes sont convaincus que la vie de M. Al-Haeri était menacée.

Les milliards de dollars (1 dollar = 1,01 euro) que les fervents chiites paient en khoms (impôt islamique) signifient que ces questions d’allégeance ont des répercussions profondes sur l’enrichissement des institutions relevant des principales autorités religieuses. Cela remet en question la légitimité théologique de Moqtada al-Sadr et le prestige des institutions sous son contrôle, au moment même où il cherchait à se positionner comme le principal médiateur du pouvoir chiite.

Le septième «retrait de la politique» de M. Al-Sadr depuis 2013 n’est que la dernière tactique d’une carrière ponctuée de revirements. Il pansera ses blessures et reviendra combattre dès qu’il se sentira en terrain plus favorable. Dans une déclaration qui ne ressemble guère à une force vaincue qui s’est retirée de la politique, le porte-parole de Moqtada al-Sadr accuse le bloc du Cadre de coordination affilié à l’Iran de s’empresser de former un gouvernement «alors que le sang des manifestants pacifiques qui ont été perfidement tués par ses milices n’a pas encore séché».

L’exigence de fidélité à Ali Khamenei s’inscrit dans la poursuite des efforts déployés par les agents de l’Iran pour endoctriner les citoyens chiites en leur faisant croire qu’ils ne sont avant tout ni Arabes ni même Irakiens. Une telle propagande a échoué à plusieurs reprises en Irak, alimentant la colère chiite envers les symboles des ambitions hégémoniques iraniennes.

La semaine dernière, les manifestants ont détruit des images d’Ali Khamenei, de Qassim Soleimani, d’Abu Mehdi al-Mouhandis et d’autres grandes figures pro-iraniennes. Ils ont même brûlé des drapeaux iraniens, ce qui prouve qu’ils n’ont aucun doute sur les personnes responsables de leur situation. Les manifestants sadristes font partie de la population la plus pauvre d’Irak, mais plutôt que de réclamer l’électricité et l’emploi, ils exigent que l’Iran quitte le pays.

Le régime de Téhéran a annulé des vols et a demandé à ses citoyens d’éviter de se rendre en Irak, conscient de la colère nationale que ses actions susciteraient. Le commandant de milice Qais Khazali a ordonné la fermeture des bureaux d’Asa’ib Ahl al-Haq et de ses alliés pro-Téhéran tant détestés, sachant que les Irakiens les blâmeraient une fois de plus pour le chaos et les attaqueraient en conséquence. Ces groupes ont également été pris pour cible lors de manifestations de masse en 2019. Ils ont riposté en massacrant des centaines de manifestants et en assassinant des militants démocrates de premier plan.

M. Khazali a commencé en tant qu’assistant de Moqtada Sadr avant de devenir un gangster, un meurtrier, un terroriste et un agitateur à l’idéologie sectaire – qui ne cherchera à se réinventer en tant que politicien légitime que plus tard. C’est le genre de criminel qui aspire à gouverner l’Irak si les manifestants ne parviennent pas à l’arrêter.

Les politiciens devraient plutôt être contraints d’organiser de nouvelles élections, tandis que les Irakiens se mobiliseraient au-delà des lignes sectaires pour empêcher les ayatollahs étrangers et les intérêts spéciaux corrompus de décider à nouveau de la composition du prochain gouvernement en contredisant de manière flagrante les choix de l’électorat.

Ce n’est pas une lutte pour l’autorité religieuse, mais une guerre pour la survie de l’Irak en tant que nation indépendante et souveraine au sein de laquelle les sunnites, les Kurdes, les libéraux et diverses minorités ont tous un intérêt égal. Tous les Irakiens devraient exprimer leur refus de voir leur pays gouverné par des paramilitaires mafieux, agissant à la demande d’un voisin hostile.

Il ne s’agit pas – et ne devrait pas s’agir – d’une bataille entre chiites ni d’un affrontement banal entre milices chiites rivales, mais plutôt d’une bataille entre ceux qui souhaitent protéger l’identité et l’indépendance de leur nation et ceux qui se contentent de voir leur pays devenir une simple annexe de la République islamique d’Iran. La vraie révolution commence maintenant.

 

Baria Alamuddin est une journaliste primée et une présentatrice au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. C’est la rédactrice en chef du syndicat des services de médias. Elle a déjà interviewé un grand nombre de chefs d’État.

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com