Le marché mondial du pétrole devrait connaître une période difficile dans les semaines à venir, car une combinaison de facteurs négatifs pèse sur les prix du brut. Heureusement, les décideurs politiques disposent d'outils pour en atténuer l'impact et veiller à ce que les prix ne chutent pas de nouveau comme ils l'ont fait au plus fort du chaos d'avril.
Le reconfinement en Europe et la hausse continue des patients atteints de la Covid-19 dans de nombreuses régions du monde ont ramené les analystes de l'énergie à leurs calculateurs pour évaluer ce que tout cela signifiait pour la fragile demande mondiale. Ils ont convenu que cela ne pouvait pas être une bonne nouvelle, mais l'ampleur des dommages infligés à la demande a fait l'objet d'un large désaccord.
Dans le même temps, la production de brut par la Libye revient avec une force surprenante: cette dernière pourrait remettre sur le marché jusqu'à 1 million de barils par jour (bpj) d'ici à la fin de l'année. La production irakienne semble également augmenter, selon une enquête de Reuters. Ces deux tendances menacent de perturber les délicats calculs des pays de l'Opep+, dirigés par l'Arabie saoudite et la Russie, concernant l'approvisionnement à venir.
Mais le grand coup vient du côté de la demande. Avant même que le Royaume-Uni n'annonce ce week-end un nouveau confinement d'un mois, la France et l'Allemagne ont agi rapidement pour imposer de nouvelles restrictions qui auront de graves conséquences sur la demande en énergie du continent qui absorbe normalement environ 20 % du brut mondial.
Selon des estimations pessimistes, la France et l'Allemagne consommeront à elles deux 1,7 million de barils par jour de moins le mois prochain, ce qui correspond à la moitié de leur demande normale. C'est un grand coup, et la raison principale pour laquelle les prix du Brent ont chuté de 10 % la semaine dernière, atteignant leur niveau le plus bas depuis juin, soit environ 37 dollars le baril.
Pour certains experts, le déclin ne sera pas de cette ampleur et se chiffrera en centaines de milliers de barils plutôt qu'en millions. Ils signalent que ces verrouillages en Europe ne sont pas aussi prononcés qu'en avril, et que l'éducation ainsi que d'autres activités jugées économiquement essentielles se poursuivront.
Tout le monde aura les yeux rivés sur les graphiques de la circulation dans les villes, qui sont devenus un outil essentiel pour les négociants en pétrole depuis que les effets de la pandémie se sont fait ressentir. L'activité des véhicules dans les villes européennes augmente normalement en flèche à l'approche de l'hiver, mais, cette année, cela pourrait ne pas être le cas. Un hiver froid, qui augmente la demande domestique des personnes travaillant à domicile, pourrait compenser en partie cette situation.
Selon que les blocages de la deuxième vague européenne se révèlent ou non un obstacle à la reprise, la demande mondiale de pétrole en 2020 risque d'être sérieusement affectée. Il semble désormais probable que le monde consommera près de 90 millions de barils par jour en moyenne cette année, soit bien moins qu'avant la pandémie (100 millions). Atteindre les 95 millions prévus par l'Opep au cours de l'hiver dans l'hémisphère Nord paraît très exigeant.
Dans ce contexte lugubre, l'Opep+ doit mener des réflexions et des discussions sérieuses. Dans le courant du mois, une réunion des ministres chargés de surveiller l'état du marché pétrolier est prévue. Elle sera suivie d'une réunion d’ensemble qui pourra prendre des décisions de fond sur la politique de production de brut.
Dans l'état actuel, l'Opep+ s'est engagée à ramener 2 millions de barils supplémentaires sur les marchés mondiaux en janvier, selon les termes de l'accord historique conclu en avril. Toutefois, ce calendrier a été convenu à un moment où de nombreuses personnes croyaient encore aux perspectives d'une «reprise en V», qui se sont à présent évaporées, au moins jusqu'à l'année prochaine, et dans l'attente d'un éventuel vaccin.
Compte tenu de ces circonstances, il semblerait prudent que l'Opep+ retarde les nouveaux niveaux d'approvisionnement, au moins pour permettre aux marchés mondiaux de retrouver leur équilibre. En cette période sans précédent, la flexibilité et le pragmatisme sont de rigueur.
Frank Kane est un journaliste économique primé basé à Dubaï.
Twitter : @frankkanedubai
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com