Le sommet dit «de la sécurité et du développement», qui vient de se tenir à Djeddah en présence de plusieurs leaders du Moyen-Orient et du président américain, a représenté un succès notoire pour la diplomatie saoudienne.
Si, pour le président Biden, l'intérêt de cet événement consistait essentiellement à endiguer la double crise, énergétique et sécuritaire, qui frappe de plein fouet l'Occident, les préoccupations des pays de la région s'inscrivent dans une nouvelle donne géopolitique en voie de recomposition.
Cette donne pourrait être déclinée en trois points:
- la restructuration de l'ordre moyen-oriental en fonction du rôle clé de l'Arabie saoudite dans l'étouffement des foyers de tension et la résolution des crises de la région et l’importance de sa tâche dans la consolidation de l'édifice politique arabe. En effet, le partenariat constructif entre les pays du Conseil de coopération des États arabes du Golfe et les trois piliers du Moyen-Orient (l’Égypte, l’Irak, la Jordanie) définit une nouvelle équation géopolitique qui pèsera lourd sur l'échiquier stratégique régional;
- le repositionnement géopolitique des États qui forment le noyau du nouveau Moyen-Orient après les grands changements qui ont affecté récemment l'ordre mondial. Si les relations stratégiques traditionnelles avec les États-Unis sont maintenues et sauvegardées, la politique d'autonomie positive et de non-alignement sélectif entretenue dans les conflits qui agitent le monde a été consolidée au profit des intérêts vitaux des puissances régionales arabes;
- la dénonciation et la récusation de la ligne missionnaire d'ingérence dans les choix normatifs et les les politiques internes des pays de la région. L'attitude interventionniste des administrations démocrates américaines a été à l'origine de malentendus récurrents entre Washington et les dirigeants arabes.
On peut donc considérer le sommet de Djeddah comme un tournant crucial dans l'ordre géopolitique régional.
Devant le désengagement américain au Moyen-Orient, déclaré depuis l'ère du président Barack Obama, les pays de la région ont réussi à diversifier leurs partenariats stratégiques avec les différents pôles géopolitiques mondiaux, sans nier leurs priorités ni leurs orientations initiales.
Seyid Ould Abah
Le président Joe Biden, obnubilé par la crise ukrainienne et ses répercussions négatives sur la demande énergétique occidentale, a été sommé de réviser sa vision sectaire et réductrice des enjeux moyen-orientaux. Il a fini par prendre conscience du fait que la tradition de coopération et de partenariat spécial entre les pays du Golfe et les États-Unis n'implique en rien l'alignement systématique des États de la région sur les positions américaines.
De ce fait, le dossier énergétique se trouve soustrait aux fluctuations de la géopolitique mondiale et il sera géré dans le cadre de la régulation collective instituée par les pays producteurs du pétrole.
Si les États du Golfe ont toujours opté pour une sécurité énergétique mondiale, apaisée et bénéfique pour tous, il n'en demeure pas moins qu'ils sont réfractaires à toute tentative de politisation ou d'instrumentalisation outrancière de ce dossier particulièrement sensible.
Dans la mesure où la coordination et le partenariat avec la Russie, grand pays producteur du pétrole, sont nécessaires et salutaires, les pays de la région ont globalement affiché une position de neutralité mesurée vis-à-vis du conflit ukrainien.
Au-delà de ce facteur international (les rapports avec les États-Unis), le sommet de Djeddah a marqué le réveil arabe que l’on attendait tant.
Seyid Ould Abah
Devant le désengagement américain au Moyen-Orient, déclaré depuis l'ère du président Barack Obama, les pays de la région ont réussi à diversifier leurs partenariats stratégiques avec les différents pôles géopolitiques mondiaux, sans nier leurs priorités ni leurs orientations initiales.
Deux dossiers principaux étaient à l'origine de la mésentente arabo-américaine: la régression de l'intérêt américain pour le monde arabe au profit de puissances régionales moyen-orientales non arabes et les politiques d'ingérence dans les affaires arabes internes, conséquences des projets calamiteux de remodelage démocratique du grand Moyen-Orient ou de parrainage des «printemps arabes».
Le président Biden, qui a fondé sa perspective diplomatique sur l'utopie de «propagation des valeurs démocratiques et humanistes», a été contraint de composer avec un monde arabe différent dans sa grille des valeurs et ses modèles socioculturels de l'Occident libéral.
L'universalité des idéaux humanistes évoquée, une idée régulatrice partagée sans nul doute par tout le monde, n'est pas nécessairement un gage d'exemplarité ni de bonne conduite. Les crimes de la colonisation, les atrocités d'Abu Ghraib, le meurtre de la journaliste palestino-américaine Shireen Abu Akleh constituent des signes clairs de l'écart grandissant entre le discours humaniste libéral et la politique concrète américaine, décriée par les organismes des droits de l'homme.
Au-delà de ce facteur international (les rapports avec les États-Unis), le sommet de Djeddah a marqué le réveil arabe que l’on attendait tant.
Seyid Ould Abah est professeur de philosophie et sciences sociales à l’université de Nouakchott, Mauritanie, et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l’auteur de plusieurs livres de philosophie et pensée politique et stratégique.
TWITTER: @seyidbah
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français