C’est sans aucun doute la vérité la plus unanimement partagée. La guerre entre la Russie et l’Ukraine va durer encore longtemps et l’espoir de la voir s’arrêter comme par miracle, par un coup de baguette diplomatique, s’éloigne de plus en plus.
Et parce que le bout du tunnel est pour le moment invisible, les pays européens commencent à préparer leurs opinions à une épreuve de longue haleine. Un des plus clairvoyants sur cette crise fut récemment le président français, Emmanuel Macron.
Le langage de vérité est d’autant plus réaliste et sincère que le locataire de l’Élysée fut pendant longtemps l’un des rares à croire à un miracle diplomatique. Comme en témoignent les nombreux et insistants échanges téléphoniques avec Vladimir Poutine dans le secret espoir de faire bouger les lignes vers le compromis et la cessation des hostilités.
Or, aujourd’hui, une réalité s’impose à tous. Cette guerre est partie pour s’inscrire dans le temps. Si la crainte de la voir déborder du territoire ukrainien est pour le moment écartée, ses conséquences économiques sont en train de se faire lourdement sentir au point de remettre en cause toutes les politiques publiques qui ont été imaginées pour une période de tensions sur les marchés mondiaux, mais en période de paix.
Désormais, la guerre oblige les Européens à agir dans l’urgence pour trouver une alternative à l’énergie russe, au blé et aux fertilisants ukrainiens. Et cette attitude à devoir agir dans l’urgence signe l’échec relatif de leurs stratégies de sanctions contre le régime russe.
Avec le recul, force est de constater qu’il existait une forme de candeur ou du moins d’espoir surévalué, de voir les sanctions occidentales faire plier Vladimir Poutine et mettre fin à son aventure militaire. Il y avait comme un fantasme derrière cette stratégie à espérer que les Russes ordinaires ainsi que leurs oligarques se rebellent contre les choix de Moscou.
La grande crainte actuellement est de voir le phénomène «des gilets jaunes» qui avait paralysé la France et presque plongé le pays dans un chaos hebdomadaire pour quelques centimes de plus dans le prix du litre du gasoil, devenir le comportement généralisé des Européens.
- Mustapha Tossa
Force est de constater qu’il n’en a rien été. Le pouvoir russe n’a pas encore craqué de l’intérieur et il a même réussi l’affront à l’Europe et à l’Amérique d’avoir trouvé en Asie et en Afrique des alliés qui le sortent de l’isolement et de la privation internationale.
Les plus optimistes des Européens insistent sur le fait que ces sanctions finiront à terme par payer et à mettre à genoux le régime russe. Mais en attendant, les conséquences de ces sanctions se font davantage ressentir au sein des sociétés européennes, allergiques aux fluctuations non maîtrisées des marchés et à la hausse incontrôlable des prix.
D’où les possibles conséquences d’une telle crise. La grande crainte actuellement est de voir le phénomène «des gilets jaunes» qui avait paralysé la France et presque plongé le pays dans un chaos hebdomadaire pour quelques centimes de plus dans le prix du litre du gasoil, devenir le comportement généralisé des Européens.
Si la période estivale peut servir de cache-misère momentané, la rentrée politique s’annonce des plus brûlantes. Le pouvoir d’achat des Européens aura eu le temps d’absorber l’impact de la crise. Il n’en deviendra pas moins le facteur de mobilisation pour les contestations sociales qui s’annoncent massives et déterminées.
Dans la plupart de leurs prévisions, les États européens, directement exposés aux conséquences économiques de cette guerre que Moscou leur a imposées, anticipent deux phénomènes. Le premier concerne la montée en puissance d’une colère sociale de plus en plus difficile à maîtriser avec ses corollaires sécuritaires inédits. Le phénomène de violences urbaines, de la hausse de la criminalité risque de dominer l’ambiance générale de ces sociétés et d’être le dénominateur commun de leurs préoccupations.
Le second phénomène est la multiplication et le renforcement du discours politique populiste et démagogique. Plusieurs pays européens, dont la France, viennent de ressentir la vertigineuse sensation d’avoir l’extrême droite presque au pouvoir. Désormais, alors que Le Rassemblement national de Marine Le Pen a installé ses cadres au sein du Parlement avec un groupe de quatre-vingt-neuf députés, une telle crise économique et sociale pourrait constituer le véritable tremplin vers sa possible accession au pouvoir. D’ailleurs, il n’y a qu’à voir les gigantesques efforts de self-control et de respectabilité dont l’extrême droite tente de faire preuve en ces temps mouvementés pour arriver au constat qu’elle attend ou rêve que le fruit et le pouvoir tombent inéluctablement dans son escarcelle lors des futures consultations électorales.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
TWITTER: @tossamus
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.