Depuis plus de deux mois, le Liban demeure sans gouvernement. Le 15 mai se tenaient les élections parlementaires après lesquelles le gouvernement est devenu démissionnaire d’office.
Deux semaines plus tard, le Premier ministre sortant, Najib Mikati, est désigné pour former un nouveau gouvernement chargé de rester au pouvoir jusqu’à l’élection d’un nouveau président de la République, qui devrait théoriquement se tenir avant la fin du mandat du président actuel, Michel Aoun, le 31 octobre prochain.
Or, depuis sa désignation, Mikati n’a rencontré le président Aoun que deux fois, la dernière pour lui remettre une composition quasi identique du cabinet sortant. Il a néanmoins effectué quelques changements, dont un qui pourrait irriter le président qui refuserait alors de signer, empêchant le gouvernement de voir le jour. Il lui a ôté le ministère de l’Énergie, considéré stratégique, qui est dirigé depuis plus de dix ans par des ministres du «Courant Patriotique Libre», parti mené par le gendre et héritier politique de Aoun, le député Gebran Bassil. Le président accueillera cette initiative comme un affront, et la formation du gouvernement restera au point mort. Or l’échéance présidentielle approche à grands pas. Cent jours nous séparent du début du délai constitutionnel de soixante jours avant la fin du mandat du président actuel, durant lequel un nouveau président devra être élu. Mais rien ne garantit que cette élection ait bien lieu. L’histoire du pays du cèdre nous apprend que les élections présidentielles ont été l’occasion de batailles politiques, voire militaires, extrêmement violentes et meurtrières. Elle nous apprend aussi que les échéances électorales au Liban sont purement aléatoires. Le poste de président de la République est resté à maintes reprises vacant, parfois même pendant des années, avant qu’un évènement dramatique ou un règlement politique ne vienne clore la crise du vide présidentiel.
Aujourd’hui, rien n’indique que les élections auront lieu à temps, et rien ne laisse croire que cette échéance politique et constitutionnelle majeure se passera sans entraves. Les candidatures ne se font presque jamais au grand jour et les véritables candidats se contentent de travailler dans l’ombre. Les forces politiques qui pèsent au Parlement chargé d’élire le prochain président ne dévoilent pas tôt leurs préférences. Des tractations ont lieu en coulisses.
Les ambassades des pays influents au Liban, comme la France, les États-Unis et l’Arabie Saoudite, scannent également les profils des présidentiables. Quant à l’Iran, principale force sur le terrain par le biais de son bras armé local le Hezbollah, il charge le chef de la milice, Hassan Nasrallah, de passer au peigne fin la liste des candidats qui disent faire partie de son camp politique.
Le président Aoun ne peut pas se représenter, puisque la Constitution l’en empêche. N’oublions pas non plus que son mandat s’achève en catastrophe politico-économique. Son dauphin désigné, Gebran Bassil, qui a longtemps été en tête des listes des présidentiables, est fortement handicapé par des sanctions américaines, ainsi que par une grande opposition à la volonté de son beau-père de le faire élire président. Le Hezbollah, qui tire les ficelles de Aoun et de Bassil, garde cependant en réserve un autre candidat favori, Sleiman Frangié, qui attend son heure calmement en restant en retrait et en évitant de faire trop de vagues. Il attend le feu vert du Hezbollah et espère succéder à Michel Aoun à la présidence de la République. Mais le problème principal de Frangié est qu’il fait partie du camp du Hezbollah. Or la conjoncture politique libanaise, ainsi que régionale, pourrait imposer une tout autre donne: Un nouveau président qui ne ferait pas partie du camp du Hezbollah, et qui aurait pour mission de fédérer les Libanais, autant que la situation le lui permet, autour d’un programme de sauvetage économique, tout en lançant une initiative qui pousserait le Liban vers un statut de non-ingérence dans les conflits extérieurs. Autrement dit, le Liban ne pourrait espérer une sortie de la crise sans l’aide de la communauté internationale et des pays arabes du Golfe.
Le Hezbollah, qui tire les ficelles de Aoun et de Bassil, garde cependant en réserve un autre candidat favori, Sleiman Frangié, qui attend son heure calmement en restant en retrait
Ali Hamade
Sans un nouveau président qui pousserait tous les acteurs, à commencer par la milice du Hezbollah, vers une distanciation libanaise des crises régionales, il serait impossible pour les Libanais de bénéficier de l’aide des pays qui pèsent économiquement lourd afin de sortir de la crise que traverse leur pays. Toutefois, un candidat qui parait avoir les faveurs des occidentaux et des pays du Golfe serait le chef de l’armée, le Général Joseph Aoun. Ce dernier a su se positionner à équidistance des différents partis et acteurs politiques. Il maintient des relations assez équilibrées avec la milice pro iranienne, sans pour autant être à sa solde. Beaucoup d’observateurs voient déjà le chef de l’armée comme le prochain président de la République. Reste à savoir si Téhéran lâchera de son emprise sur la première magistrature au Liban, en acceptant de faire élire un président qui, à la différence de Michel Aoun, gardera ses distances avec sa milice au Liban… Rien n’est joué d’avance.
Ali Hamade est journaliste éditorialiste au journal Annahar, au Liban. Twitter: @AliNahar
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com