Pour la première fois depuis des décennies, un président américain se rendra au Moyen-Orient sans aucune initiative pour la question israélo-palestinienne. Autrefois, les choses étaient différentes. Au temps de George H.W. Bush, il y a eu la Conférence de paix de Madrid, à l'époque de Bill Clinton, les accords d'Oslo et de Camp David. George W. Bush avait son propre plan, alors que Barack Obama a confié à John Kerry la responsabilité de mener son initiative. Quant à Donald Trump, il avait son propre plan de paix. Toutefois, on ne sait pas encore quelle sera la position de Joe Biden à cet égard.
Comment les Palestiniens interpréteront-ils cela ? Il est vrai que Biden rencontrera le président Mahmoud Abbas, mais il ne proposera aucune solution concrète pour défendre les droits des Palestiniens ni mettre fin à l'occupation et à l'oppression systématique. Les dirigeants palestiniens sont réalistes. Ils savent que la rencontre de quelques heures entre Biden et Abbas sera un événement secondaire. Ils ne s'attendent donc pas à grand-chose.
N'oublions pas non plus qu'Abbas est le président de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), une organisation que le gouvernement américain considère depuis 1987 comme terroriste, sous la pression du Congrès. Pourtant, Abbas et son prédécesseur, Yasser Arafat, ont été invités à la Maison Blanche à maintes reprises.
Est-il judicieux pour Biden de ne pas avoir de stratégie ? Plusieurs de ses partisans estiment que l'effort présidentiel n'en vaut pas la peine. Biden a tenté de se concentrer sur les questions nationales et a limité son exposition internationale, jusqu'à ce que la guerre en Ukraine ait été déclenchée. Sa visite dans la région sera beaucoup plus axée sur le volet saoudien que sur l'affaire israélo-palestinienne.
Ses discussions urgentes avec les dirigeants israéliens porteront sans doute sur l'Iran et sur l'impact accru de l'invasion russe en Ukraine. Cependant, Biden semble faire pression pour que davantage de pays normalisent leurs relations avec Israël – un processus qui pourrait s'avérer plus facile si les États-Unis encourageaient un véritable processus de paix avec les Palestiniens.
Les préparatifs en coulisses sont complets et détaillés. Aucun président n'accepterait d'être pris au dépourvu, et le moindre détail risque de faire dérailler la visite. Jusqu'à présent, 37 réunions préliminaires ont été organisées. Le secrétaire d'État américain Antony Blinken a parlé à Abbas depuis environ deux semaines, et la secrétaire d'État adjointe pour les affaires du Proche-Orient, Barbara Leaf, a été chargée des modalités de la visite.
Que peut offrir Biden ? Le fait qu'il ne soit capable que de si peu est un signe de faiblesse américaine. La seule chose à faire pour le moment est d'exercer une certaine pression sur le gouvernement israélien pour qu'il évite d'embarrasser le président avant la fin de sa visite. Cela inclut la proposition des plans de colonisation et d'expulsion. Il faut dire que ce n'est pas très impressionnant. Biden a également insisté pour que le Premier ministre israélien et son homologue palestinien se parlent au téléphone, chose qui ne s'était pas produite depuis cinq ans.
Les Palestiniens ont pu constater à plusieurs reprises que les visites de hauts responsables américains déclenchent d'abord le calme en Israël, puis l'agressivité. Biden lui-même s'est emporté, alors qu'il était vice-président, lorsque le Premier ministre israélien de l'époque, Benjamin Netanyahu, a annoncé un mouvement de colonisation important pendant sa visite. Effectivement, cela a nui à leur relation. Ce qui rend les Palestiniens furieux, c'est l'absence d'une réponse similaire au cas où Israël adopterait un calendrier plus diplomatique. Comme me l'a dit un responsable palestinien, « c'est fou: un jour, les États-Unis jugent mauvais un mouvement de colonisation, et le lendemain ils changent d'avis ».
Il est peu probable que le nouveau Premier ministre israélien Yair Lapid humilie Biden de la sorte, mais l'expansion des colonies se poursuit et les grands projets d'expulsion des Palestiniens dans des zones de Jérusalem et du sud de la Cisjordanie sont en cours. Pour la première fois, Israël est sur le point de franchir la ligne rouge définie par tous les présidents américains depuis Clinton, à savoir la poursuite de la colonisation apocalyptique E1 qui découperait la Cisjordanie et la séparerait de Jérusalem. Une décision devait être prise à ce sujet le 18 juillet, juste après la visite du président, mais elle a été reportée à septembre. Quoi qu’il en soit, les Palestiniens ne s'attendent pas vraiment à ce que Biden bloque tout mouvement de ce type.
Par ailleurs, Abbas souhaite que Biden rouvre le bureau de l'OLP à Washington, mais cela n'arrivera pas. Le Congrès ne cédera pas, et Abbas cherchera à obtenir des fonds américains supplémentaires et à faire pression sur Israël pour que le pays restitue les recettes douanières palestiniennes qu'il détient illégalement. Selon les responsables palestiniens, ces recettes s'élèvent à 500 millions de dollars. Les répercussions de la guerre en Ukraine ont lourdement frappé l'économie palestinienne, c'est pourquoi cela compte plus que jamais. Déjà, au cours des trois derniers mois, l'Autorité palestinienne n'a pu payer que 80 % des salaires.
Il y a ensuite la question épineuse relative à la réalisation d'une enquête indépendante sur le meurtre de la journaliste Shireen Abu Akleh. Les Palestiniens attendent des réponses à ce sujet.
L'autre action que Biden pourrait éventuellement entreprendre est bloquée parce qu'il a inutilement accordé un droit de veto à Israël. Trump a fermé le consulat américain à Jérusalem-Est en 2019. Les Palestiniens réclament sa réouverture, surtout pour montrer que Washington reconnaît leur équité dans la ville et a une présence diplomatique réservée aux affaires palestiniennes. Mais, même si Biden s'était engagé à le faire, il ne s'y lancera pas sans le consentement d'Israël.
Les dirigeants israéliens aiment traiter avec les Palestiniens de façon bilatérale. Ils préfèrent prendre leurs propres décisions concernant l'assouplissement des restrictions ou la restitution des fonds qu'ils doivent aux Palestiniens, plutôt que d'agir parce qu'ils y ont été contraints par une tierce partie. C'est une manière de «désinternationaliser» le conflit. En faisant cela, Israël limite même l'influence de son principal allié et garant de sécurité.
Ainsi, les dirigeants israéliens, qui ne sont pas aux ordres des Américains, envisagent d'autoriser un déploiement limité des réseaux 4G en Cisjordanie – une décision prise pour la première fois en novembre dernier. Cette mesure concerne les Palestiniens, parce que leurs voisins colons y ont déjà accès. L'objectif est de stimuler l'économie palestinienne en Cisjordanie, même si Israël n'autorisera que la 2G à Gaza.
Abbas désire savoir si le Premier ministre israélien Lapid, plus centriste, est prêt à proposer des mesures de confiance. Il saura ainsi s'il doit mettre à exécution sa menace de rompre la coopération sécuritaire avec Israël, sachant que des résolutions en ce sens ont déjà été adoptées par le Conseil central palestinien. Ce n'est qu'avec des changements considérables de la part des Israéliens qu'Abbas pourra écarter cette décision, qui ferait disparaître l'un des derniers vestiges du processus d'Oslo.
Cela ne fait que rendre la tâche plus difficile à Abbas. Sans horizon politique, sans partenaire israélien et avec des pressions intérieures croissantes, il devra peut-être prendre position. Ce n'est pas ce qu'il aurait voulu, mais la levée de la coopération sécuritaire avec Israël est l'une des dernières cartes qu'il lui reste à jouer. Il n'est tout simplement pas possible de ne pas agir face à des mesures israéliennes majeures et aux difficultés économiques palestiniennes.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres. Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com