Qu’attendent les Saoudiens de la visite de Biden?

Le président américain, Joe Biden, et le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, se rencontreront en juillet (Photo, SPA/AFP).
Le président américain, Joe Biden, et le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, se rencontreront en juillet (Photo, SPA/AFP).
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Publié le Vendredi 17 juin 2022

Qu’attendent les Saoudiens de la visite de Biden?

Qu’attendent les Saoudiens de la visite de Biden?
  • Joe Biden effectuera une visite officielle au Royaume, en réponse à une invitation du roi Salmane
  • Il est évident qu’il vaut mieux que les dirigeants du monde discutent, même de leurs divergences

Ainsi, le processus est enfin lancé! Après près d'un an et demi au cours desquels les relations saoudo-américaines ont atteint ce que l'on pourrait qualifier de gouffre, Joe Biden – qui, dans le feu de l'action de sa campagne électorale, s'était engagé à transformer le Royaume en «paria» – y effectuera une visite officielle, en réponse à une invitation du roi Salmane. Le président américain rencontrera également le prince héritier, Mohammed ben Salmane, ainsi que d'autres hauts responsables au cours de son séjour de deux jours.


Il est évident qu’il vaut mieux que les dirigeants du monde discutent, même de leurs divergences, que de ne pas communiquer, surtout dans le contexte de près de quatre-vingt ans d'histoire et d’une collaboration fructueuse à plusieurs niveaux et avec des objectifs régionaux communs à atteindre. En outre, tout comme de triples sommets CCG-arabo-islamiques avaient été organisés pour la visite de son prédécesseur Donald Trump en 2017, Biden bénéficiera du fait que le Royaume peut — en un claquement de doigts — convoquer un sommet du CCG plus l'Irak, la Jordanie et l'Égypte, pour coïncider avec son voyage. Un simple échantillon de la confiance et de la grande influence dont jouit le Royaume auprès de ses voisins, au cœur du monde arabe et musulman.
Discuter sera également bénéfique pour d'autres intérêts commun: qui pourraient inclure des consultations sur la réalisation d'une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens, et dans toute la région. Si vous ne voulez pas me croire sur parole, voici ce que le ministre israélien de la Coopération régionale, Esawi Frej, déclarait à ce journal il y a seulement deux semaines: «Les dirigeants saoudiens seraient au cœur de toute solution future, et je pense que le roi Salmane et le prince héritier joueront un rôle prépondérant dans le renouvellement de tout processus de paix», a-t-il déclaré à ma collègue Katie Jensen lors de notre talk-show hebdomadaire, Frankly Speaking (Parlons franchement). «Nous avons tous besoin de l'Arabie saoudite», a-t-il affirmé.

La Maison Blanche a beau insister sur le fait que la visite du président va au-delà des discussions sur le pétrole, et il ne fait aucun doute que ce sera le cas, mais il est troublant de constater qu'à un moment où les prix des produits énergétiques sont à un niveau record aux États-Unis et ailleurs, il a fallu autant de temps pour qu'un président américain rende visite à un allié qui a le plus d'influence sur les marchés pétroliers mondiaux.

Entre-temps, la question que tout le monde se pose est: «Qu'attendent les Saoudiens de cette visite?»

Au-delà de l'énergie, on nous annonce que d'autres dossiers importants seront à l'ordre du jour. Ils vont de la coopération future en matière de stabilité régionale à la sécurité alimentaire mondiale, en passant par le changement climatique, les opportunités d'investissement mutuel et même l'exploration spatiale.


Au-delà de l'énergie, on nous annonce que d'autres dossiers importants seront à l'ordre du jour. Ils vont de la coopération future en matière de stabilité régionale à la sécurité alimentaire mondiale
Faisal J. Abbas


Les responsables gouvernementaux sont mieux placés que moi pour commenter les intérêts stratégiques et l’énorme potentiel de cette relation. Cependant, je voudrais parler en mon nom en tant qu’observateur, ainsi qu’au nom de nombreux autres Saoudiens qui ont grandi en croyant à de nombreuses valeurs américaines, mais qui ont vu les États-Unis les abandonner dans des endroits comme l'Irak, l'Afghanistan et plus récemment ici, dans le Royaume.


Quel bel exemple de diplomatie publique ce serait si, pendant son séjour en Arabie saoudite, le président américain se rendait à l’aéroport d’Abha ou aux installations pétrolières d’Aramco à Djeddah, deux cibles des attaques de la milice houthie
Faisal J. Abbas


S’il y a une chose que les Israéliens font très bien, c’est de faire en sorte que leurs actions parlent d’elles-mêmes. Chaque fois qu’une délégation de haut niveau se rend en Israël, elle est conduite dans des abris dans le sud du pays pour voir comment les civils sont affectés par les attaques terroristes du Hamas. Quel bel exemple de diplomatie publique ce serait si, pendant son séjour en Arabie saoudite, le président américain se rendait à l’aéroport d’Abha ou aux installations pétrolières d’Aramco à Djeddah, deux cibles des attaques de la milice houthie soutenue par l’Iran au Yémen. Cela montrerait au monde que son administration condamne le terrorisme de manière égale, quelle que soit la race ou la religion des victimes, et que la relation entre l’Arabie saoudite et les États-Unis est, comme l’a dit la Maison Blanche la semaine dernière, véritablement «complexe».
Trois choses, bien qu’évidentes pour certains, méritent d’être évoquées ici. Premièrement, le slogan officiel des Houthis est «Mort à l’Amérique» et ils ont déjà attaqué la marine américaine et l’ambassade américaine à Aden; deuxièmement, ils sont soutenus par un régime iranien qui soutient également le Hamas, le Hezbollah au Liban et Asaïb Ahl al-Haq en Irak, ainsi que d’autres forces terroristes et déstabilisatrices dans la région; et enfin, lorsque ces terroristes attaquent les installations pétrolières saoudiennes, ils finissent par limiter notre capacité à produire davantage de pétrole, ce qui signifie une diminution de l’offre et une hausse des prix.
Une visite à ceux qui ont souffert des actes terroristes des Houthis aiderait certainement à mettre les choses en perspective pour Biden et ses conseillers, et serait un rappel brutal de qui sont les méchants et qui sont les victimes dans cette guerre. Washington pourrait également réfléchir à deux fois avant de rappeler les batteries de défense antimissile Patriot du Royaume ou de retirer la désignation terroriste d’un groupe qui vise délibérément la population civile d’un allié.
J’espère aussi que le président aura le temps de sortir et de voir les fruits des réformes ambitieuses et courageuses qui ont été lancées dans le cadre de la Vision 2030. J’aimerais qu’il visite un quartier commercial animé et qu’il constate que, contrairement à ce qui se passait il y a quelques années à peine, les femmes et les hommes peuvent librement se mêler, prendre un repas ou regarder certains des meilleurs spectacles du monde.
J’aimerais qu’il rencontre de jeunes Saoudiens tels qu’Abdallah al-Ghamdi et Dana al-Aithan, deux étudiants saoudiens qui ont été récompensés le mois dernier lors du Regeneron International Science and Engineering Fair à Atlanta, en Géorgie — le plus grand événement de ce type au monde, au cours duquel des étudiants de plus de quatre-vingts pays présentent des innovations en matière de recherche scientifique. Ils sont la preuve vivante de ce que peuvent produire nos écoles avec des programmes réformés (et sans le traumatisme de la violence armée comme c’est le cas aux États-Unis).
Je reviendrai sur ce sujet dans ma prochaine tribune. Pour l’instant, je suppose que l’essentiel pour moi, en tant que Saoudien, est de voir une administration américaine qui reconnaisse enfin mon pays non pas comme une immense station-service, mais comme la puissance historique, culturelle, économiquement prospère, jeune, dynamique et éduquée qu’il est.


Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef d'Arab News.
Twitter: @FaisalJAbbas
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d'Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com