PARIS: Face à l'inflation, le gouvernement lève le voile jeudi sur une série de mesures très attendues destinées à protéger le pouvoir d'achat des Français, et qui fera figure d'examen de passage pour sa majorité relative à l'Assemblée face à des oppositions à l'offensive.
Après déjà plus de 25 milliards d'euros mis sur la table depuis l'automne 2021 pour atténuer en particulier la hausse des prix de l'énergie, le gouvernement présentera dans deux textes (un projet de budget rectificatif et une loi pouvoir d'achat) une nouvelle salve d'aides pour un montant à peu près équivalent.
Parmi les principales mesures figurent les revalorisations anticipées de 4% des pensions de retraite et des prestations sociales, l'augmentation de 3,5% du traitement des agents publics, un chèque alimentaire de 100 euros, auquel il faudra ajouter 50 euros par enfant, la prolongation de la remise carburant de 15 à 18 centimes et du bouclier tarifaire sur l'énergie, la suppression de la redevance ou encore le triplement de la prime Macron.
"L'urgence du pouvoir d'achat" est le "premier défi" pour le gouvernement et le Parlement, a défendu mercredi la Première ministre Élisabeth Borne dans son discours de politique générale à l'Assemblée nationale.
Selon l'Insee, le pouvoir d'achat des Français devrait en effet reculer de 1% en 2022, plombé par une inflation qui atteindrait 5,5% en moyenne sur l'année, du jamais vu depuis 1985.
Après le "quoi qu'il en coûte" de la crise sanitaire, l'exécutif n'en a ainsi pas fini avec les dépenses, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire assurant vouloir "apporter les réponses les plus concrètes possibles, les plus immédiates possibles, les plus efficaces possibles aux difficultés de pouvoir d'achat des Français".
Si la nécessité de telles dépenses est plutôt partagée, l'adoption de ces textes s'annonce mouvementée avec une Assemblée où le camp présidentiel n'a qu'une majorité relative et un Sénat dominé par la droite.
A l'issue du Conseil des ministres qui débutera à 16H00, l'audition de Bruno Le Maire et du ministre délégué aux Comptes publics Gabriel Attal par la commission des Finances de l'Assemblée, désormais présidée par l'Insoumis Éric Coquerel, sera un baptême du feu.
"Ces mesures sont notre base de travail. Avec mon gouvernement, nous serons à votre écoute et nous les amenderons quand des convergences émergeront", a bien promis Élisabeth Borne mercredi.
Pouvoir d'achat: les mesures prévues par le gouvernement
Après des semaines d'attente, le gouvernement présente jeudi une série de mesures en faveur du pouvoir d'achat évaluées à environ 20 milliards d'euros pour soutenir les ménages frappés par l'inflation. En voici les principales:
Énergie: remise carburant, bouclier tarifaire et prime transport
Le gouvernement a décidé de prolonger au moins jusqu'à fin août la remise carburant de 18 centimes (en métropole continentale), instaurée depuis le 1er avril. Elle sera ensuite diminuée à 12 centimes puis à 6 centimes avant de s'éteindre à la fin de l'année, a annoncé jeudi le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, précisant que la remise de 18 centimes coûtait 800 millions d'euros par mois. Une dépense qui devra être intégrée dans la loi de finances rectificative.
Le ministre a également indiqué que le gouvernement voulait mettre en place à compter du 1er octobre une "indemnité carburant travailleurs", sous condition de ressources, ciblée sur les salariés et alternants qui utilisent leur voiture pour aller travailler.
La prolongation jusqu'à la fin de l'année du "bouclier tarifaire" (plafonnement des prix de l'électricité et du gaz) est aussi actée.
Enfin, le plafond de la prime de transport individuel défiscalisée que l'employeur peut verser au salarié passera de 200 à 400 euros pour 2022 et 2023 et sera cumulable avec la prise en charge obligatoire de 50% de l'abonnement aux transports en commun.
Retraites de base et prestations sociales
Les pensions de retraite et d'invalidité des régimes de base vont être revalorisées de 4% à compter du 1er juillet. Cette hausse, cumulée à celle d'un peu plus de 1% intervenue en janvier, se rapproche du niveau de l'inflation, qui a atteint 5,8% en juin.
Les prestations familiales et minima sociaux, à savoir le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) vont également être revalorisées de 4%. Certaines de ces prestations sociales avaient déjà été augmentées de 1,8% en avril.
Point d'indice
Les 5,7 millions d'agents publics ont obtenu une augmentation générale, applicable au 1er juillet, de 3,5% de la valeur du point d'indice qui sert de base à leur rémunération, pour un coût de 7,5 milliards d'euros répartis entre l'État (3,2 milliards), les collectivités territoriales (2,28 milliards) et les hôpitaux (1,99 milliards).
Des mesures complémentaires ont aussi été annoncées, comme la hausse de 7% de la participation de l'État au financement de la restauration collective.
Chèque alimentaire
Un chèque alimentaire de 100 euros, plus 50 euros par enfant à charge, sera versé à 9 millions de foyers. En 2020, pendant la crise du Covid-19, une prime analogue de 150 euros par adulte et 100 euros par enfant avait concerné un peu plus de 4 millions de foyers.
Prime Macron
Le plafond de la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat défiscalisée et désocialisée, dite prime Macron, sera triplé. Les entreprises pourront donc verser jusqu'à 3.000 euros à leurs salariés et même jusqu'à 6.000 euros pour celles ayant mis en place un dispositif d'intéressement ou de participation.
Le niveau moyen versé par salarié n'était en 2021 que de 506 euros, contre 1.000 autorisés, selon le ministère des Comptes publics.
Indépendants
Une baisse des cotisations des travailleurs indépendants est prévue. Cette mesure, qui vise à plus d'équité entre les cotisations des salariés et des indépendants, doit permettre à ces derniers de gagner 550 euros par an au niveau du Smic.
Loyers
L'indice de référence des loyers va augmenter de 3,5% en juillet puis rester bloqué à ce niveau pendant un an, une mesure présentée par le gouvernement comme un compromis entre les intérêts des locataires et des propriétaires. Les aides personnalisées au logement (APL) seront également revalorisées de 3,5%.
Redevance supprimée
La suppression de la redevance audiovisuelle sera finalement effective dès l'automne prochain, avec un gain pour les ménages de 138 euros, soit un manque à gagner de plus de 3 milliards d'euros que l'État promet de compenser auprès des diffuseurs publics.
Étudiants
La Première ministre Élisabeth Borne a annoncé mercredi dans son discours de politique générale une revalorisation des bourses. Une prolongation du ticket restaurant universitaire à 1 euro pour les boursiers était également dans les tuyaux.
«Très loin d'être à la hauteur»
Ces derniers jours, le gouvernement a lancé des pistes. Une indemnité carburant pour les travailleurs à revenus modestes et les gros rouleurs sera mise en place au 1er octobre, a annoncé jeudi Bruno Le Maire, et la ristourne de 18 centimes, qui devait s'arrêter fin août, va être prolongée mais réduite progressivement pour avoir complètement disparu à la fin de l'année.
En revanche, à ce stade, aucune proposition avancée par l'opposition ne semble être vue d'un bon œil par l'exécutif.
Baisser les taxes sur le carburant pour ramener les prix à 1,50 euro/l, comme le souhaitent les LR, ou bloquer les prix à 1,40 euro/l, comme le veut la gauche? Trop coûteux, selon Bercy. Le Smic à 1.500 euros? Une menace pour l'emploi, répond-on au gouvernement.
"Il y a sans doute des chemins intermédiaires" à trouver, veut-on croire dans l'entourage de la Première ministre, Élisabeth Borne ayant notamment souligné dans son discours mercredi entrevoir des "convergences" possibles avec les LR.
"Stop à la politique du chèque", a toutefois insisté le député et secrétaire général adjoint de LR Pierre-Henri Dumont jeudi sur Radio J.
Au RN, Marine Le Pen, présidente du groupe à l'Assemblée, "veut" que ce projet de loi "urgent" pour les Français "puisse être voté", mais elle critique l'"usine à gaz" du chèque pour les "gros rouleurs" et continue de plaider pour une baisse de la TVA sur les prix de l'énergie et les carburants de 20% à 5,5%.
A la Nupes, on juge le texte du gouvernement "très, très loin d'être à la hauteur de ce qu'attendent les Français", selon la présidente du groupe Insoumis à l'Assemblée Mathilde Panot.
Les Français "prendront" les chèques de 100 euros, mais "est-ce-qu'ils veulent vivre d'aumône?", a interrogé le député LFI François Ruffin sur LCI, tandis que le secrétaire national du PCF Fabien Roussel promettait sur franceinfo "un appel à la mobilisation dans la rue" à la rentrée si le gouvernement n'en fait pas assez à ses yeux.
La Nupes prévoit ainsi de déposer de nombreux amendements au projet de loi.
Encore faudra-t-il qu'ils soient financés, prévient-on au gouvernement en rappelant le cadre "contraint" des finances publiques, avec un déficit public prévu encore à 5% en 2022 et une croissance plus faible que prévu de 2,5%.