Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a de nouveau évoqué la question d'une incursion en Syrie. De telles opérations constituent une mission périodique pour les militaires turcs. Chaque fois qu'ils sentent la pression des militants kurdes et qu'ils estiment pouvoir y remédier, ils mènent une incursion pour faire reculer les Unités de protection du peuple (YPG). Cependant, cette politique n'est pas durable et l'idée d'une zone sûre pour accueillir les réfugiés relocalisés n'est pas réalisable. Il faut trouver un arrangement plus pérenne susceptible de contribuer à une solution globale du conflit syrien.
La question kurde ne s'est pas posée avec les YPG et la lutte contre Daech; elle remonte à bien avant. Pour comprendre les YPG en Syrie, il est nécessaire d’analyser la question kurde dans la région. Les Kurdes, en tant que groupe ethnique, sont répartis sur quatre pays: l'Irak, la Syrie, l'Iran et la Turquie. Chacun de ces États s'est montré méfiant à l'égard du mouvement national kurde.
En Syrie, dans le cadre de la politique d'arabisation tronquée du régime Baath, les Kurdes ont été déplacés de leurs villages et de leurs villes afin qu’ils soient séparés de leurs proches dans les pays voisins et remplacés par des Arabes. Maintenus sous la coupe du régime brutal d'Al-Assad pendant des décennies, les Kurdes n'avaient pas grand-chose à dire. Toutefois, l'occasion de s'émanciper s'est présentée avec l'irruption de Daech.
L'administration Obama a estimé qu'ils constituaient une valeur sûre pour combattre le groupe terroriste. Les États-Unis se posaient des questions sur les autres combattants arabes sunnites, craignant qu'ils aient des affinités avec des groupes fondamentalistes. Ils se sont donc appuyés sur les Kurdes pour combattre Daech et ont commencé à les armer ainsi qu'à leur apporter un soutien politique, avec une supervision minimale.
Cela nous ramène à l'approche «by-with-through» (qui consiste en une lutte moins frontale des forces armées, NDLR), que les États-Unis ont adoptée après la guerre d'Irak. La guerre d'Irak, dans laquelle les Américains eux-mêmes étaient fortement investis, s'est avérée très coûteuse en termes d'argent et de sang. Par conséquent, la politique que les États-Unis suivent désormais consiste à laisser une trace légère et à s'appuyer sur des partenaires locaux pour atteindre leurs objectifs. C'est pourquoi les Kurdes ont été renforcés.
Même si la lutte contre Daech est désormais terminée, les États-Unis ont toujours besoin des Kurdes pour empêcher la réapparition du groupe ainsi que pour surveiller le camp d'Al-Hol, qui compte environ 56 000 détenus affiliés à des groupes terroristes.
Les Kurdes se trouvent aujourd'hui dans une position où ils peuvent réclamer ce qui leur appartient. Toutefois, cela reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore. Si un employé du gouvernement a été transféré dans le Nord et a reçu une maison dans les années 1960, son petit-fils qui vit aujourd'hui dans cette maison n'est pas en faute. Cependant, la tentative des Kurdes pour récupérer leurs terres et leur pouvoir a créé des tensions avec la population arabe locale.
D'autre part, la Turquie estime que les YPG sont la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan, connu sous le nom de «PKK». Tous deux suivent le culte d'Abdallah Ocalan et son idéologie. Il existe un consensus général en Turquie, qui va au-delà d'Erdogan, sur la nécessité de repousser les YPG loin des zones frontalières, ce qui explique les incursions successives. Cependant, cette politique qui consiste à aller en Syrie de temps en temps et à donner une claque aux Kurdes ne fonctionne pas. Elle attise également les tensions entre les Arabes et les Kurdes, car les Turcs sont soutenus par des groupes arabes locaux.
Les États-Unis peuvent jouer le rôle de médiateur et faire pression sur les YPG, qui négocient actuellement avec le régime d'Al-Assad. Washington doit reconnaître les préoccupations sécuritaires de la Turquie, son allié de l'Otan, d'autant plus que les États-Unis ont plus que jamais besoin d'Ankara pour contenir la Russie.
Les YPG contrôlent les conseils locaux et dominent leurs décisions. Bien que les conseils soient dotés de conseils législatifs et exécutifs, c'est généralement le réseau informel de «kadros» des YPG qui mène la barque. À cet égard, les États-Unis ont les moyens de faire pression sur les YPG pour que les conseils locaux soient plus représentatifs. La Maison Blanche peut renforcer les conseils et les faire élire directement par la population locale, ce qui garantirait une plus grande représentation arabe et une plus grande diversité ethnique.
La question la plus importante repose sur le fait que les États-Unis soient capables de rendre les YPG responsables devant les conseils locaux, et non l'inverse. En outre, lorsque les ces derniers seront plus représentatifs des différentes factions et non dominés par les YPG, la Turquie sera encouragée à s'engager avec eux. Jusqu'à présent, par exemple, les restrictions d'eau ont été utilisées comme une mesure punitive contre les groupes que la Turquie considère comme hostiles. Mais si les conseils locaux étaient acceptables pour la Turquie, il pourrait y avoir une coordination sur la question de l'eau. Ce serait un grand avantage que les conseils locaux pourraient apporter à la population.
Si la Turquie utilisait l'eau comme une incitation plutôt que comme une arme, elle donnerait du pouvoir aux conseils locaux et, à son tour, créerait un équilibre dans le nord-est de la Syrie susceptible d’atténuer les tensions entre les Arabes et les Kurdes et de réduire le contrôle des YPG.
La question la plus importante repose sur le fait que les États-Unis soient capables de rendre les YPG responsables devant les conseils locaux, et non l'inverse.
Dr Dania Koleilat Khatib
Dans le même temps, cet arrangement permettrait au Nord-Est de prospérer économiquement. La Turquie serait encouragée à promouvoir le commerce transfrontalier si ses préoccupations en matière de sécurité étaient prises en compte. Comme l'eau de la Turquie circulerait dans le Nord-Est, la vie et l'agriculture s'amélioreraient. Cela pourrait être important pour la Turquie, car, tôt ou tard, elle devra entretenir de bonnes relations avec ses voisins.
Le moment est venu pour les États-Unis de mettre leur diplomatie à contribution. Ils doivent conditionner leur aide à la région autonome du nord-est au partage du pouvoir et à la réforme du gouvernement. Pour cela, ils doivent envoyer un grand nombre de diplomates afin de surveiller le processus de réforme et de garantir la transparence ainsi que le respect des règles. Cela permettrait d'éviter les incursions turques périodiques tout en garantissant les droits et la sécurité des Kurdes et de la Turquie.
La Dr Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, et plus particulièrement du lobbying. Elle est cofondatrice du Centre de recherche pour la coopération et la consolidation de la paix, une ONG libanaise axée sur la voie II.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.