L'une des politiques de base du régime iranien consiste à transformer d'autres pays, plus particulièrement les nations arabes, en champs de bataille par procuration afin de faire avancer ses intérêts politiques et ses ambitions hégémoniques dans la région. Le régime semble avoir maîtrisé la guerre asymétrique, qui constitue une source majeure d'instabilité au Moyen-Orient.
À titre d’exemple, après qu'une frappe aérienne israélienne ce mois en Syrie a tué deux membres du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), le gouvernement iranien a promis de se venger, ce qui a encore aggravé les tensions dans la région. L'une des tactiques de l'establishment théocratique consiste à exploiter la confusion et les conflits dans d'autres pays.
Il convient de noter que les dirigeants iraniens de tous les horizons politiques – y compris les modérés, les partisans de la ligne dure et les conservateurs – semblent appeler aux mêmes objectifs de politique étrangère en Syrie, qui sont très probablement dirigés par le Guide suprême, Ali Khamenei, les cadres supérieurs du CGRI et la Force Al-Qods, une branche d'élite du CGRI qui mène des opérations dans des pays tiers pour faire avancer l’agenda révolutionnaire et idéologique du régime.
Les autres pays devraient tirer une leçon importante de la manière dont l'Iran a transformé la Syrie en un champ de bataille par procuration. Il a fallu de nombreuses années de planification au régime iranien pour exercer une influence déterminante en Syrie et transformer la nation arabe en zone de guerre. Lorsque le conflit syrien a éclaté en 2011, la République islamique a commencé son ingérence en fournissant au régime une assistance consultative et un soutien moral. Puis, lorsque la confusion s'est amplifiée et que les forces syriennes ont fait preuve de faiblesse, perdant plusieurs batailles et territoires majeurs au profit de l'opposition et des groupes rebelles, l'Iran a encore accru son implication. Sur les instructions de Khamenei, Téhéran a commencé à fournir au président Bachar el-Assad une assistance militaire et économique, ainsi qu’une aide dans le domaine du renseignement.
Le régime iranien est passé au degré supérieur avec l’envoi par le CGRI en Syrie de soldats de bas rang et de généraux. En outre, l'Iran a utilisé ses supplétifs dans la région, notamment le Hezbollah et les milices chiites, tout en recrutant des combattants de pays comme l'Afghanistan pour combattre aux côtés des forces d'Assad. Plus important encore, le régime iranien a exploité financièrement le conflit en rendant Damas plus dépendant économiquement. Il a ouvert une ligne de crédit au régime d'Assad et a continué à l'étendre. Le régime de Téhéran a ainsi dépensé jusqu'à 16 milliards de dollars (environ 14,5 milliards d’euros) par an pour soutenir Assad. Grâce à ces stratégies machiavéliques, les mollahs au pouvoir ont profondément infiltré les structures politiques, militaires et sécuritaires de la Syrie.
Mais ce n'est pas tout. La République islamique a également commencé à modifier la démographie, en repeuplant par exemple certaines zones avec des familles chiites du Hezbollah ou d'autres milices pour tenter de consolider son influence en Syrie à long terme et renforcer le régime d'Assad.
Il a fallu de nombreuses années de planification au régime iranien pour exercer une influence déterminante en Syrie et en faire une zone de guerre.
Dr Majid Rafizadeh
Idéologiquement parlant, le régime iranien peut exporter avec plus de force et de facilité ses principes révolutionnaires par le biais du soft power. L'Islamic Azad University d'Iran a, par exemple, ouvert de nouvelles branches en Syrie, tandis que Téhéran construisait des mosquées chiites et a travaillé à accroître les sanctuaires chiites sur les terres de son proche voisin.
Stratégiquement et géopolitiquement parlant, le régime iranien a renforcé sa coalition de forces et de milices chiites, d’Irak, du Pakistan, d’Afghanistan et du Liban, dont certaines ont envahi la Syrie. Un grand nombre de ces milices sont déjà devenues le fondement de l'infrastructure sociopolitique et socioéconomique de la Syrie. En ayant des bases militaires et des effectifs en Syrie, il est également devenu moins onéreux pour Téhéran de fabriquer et d'exporter des armes à l’adresse de ses proxys se trouvant à proximité, comme le Hezbollah au Liban.
En exploitant l'instabilité en Syrie, le CGRI et la Force Al-Qods bénéficient désormais d'une présence militaire non loin de la frontière d'un adversaire majeur, Israël. Le CGRI a également établi des bases militaires permanentes en Syrie, et exerce un contrôle important sur certains des aéroports du pays. Du point de vue des dirigeants iraniens, cela contribue à faire pencher l'équilibre régional du pouvoir en leur faveur.
Le régime iranien a également mis en place en Syrie des usines impliquées dans la fabrication de missiles balistiques avancés ainsi que d'autres armes. Il s'agit notamment de missiles de précision guidés, dotés d’une technologie permettant de frapper des cibles spécifiques. Les usines d'armement iraniennes basées à l'étranger lui confèrent une capacité militaire avantageuse pour mener des guerres ou frapper d'autres nations via des pays tiers comme la Syrie.
Téhéran peut également utiliser ses milices en Syrie pour cibler Israël. Comme l'a déclaré un conseiller militaire iranien en 2013: «Ce front est appuyé par le Hezbollah. Les combattants sont des Iraniens, des miliciens du Hezbollah, des moudjahidin irakiens et afghans, entre autres. En réponse à une question sur ce point, il a déclaré qu'ils étaient du côté du bien parce qu'ils suivaient les ordres de Khamenei.
Les autres pays devraient prendre en considération la manière dont le régime iranien a exploité l'instabilité en Syrie et transformé la nation arabe en un champ de bataille perpétuel par procuration.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain diplômé de Harvard.
TWITTER: @Dr_Rafizadeh
NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com