La Finlande dynamite l’autonomie stratégique française!

Le président américain Joe Biden (au centre), la première ministre suédoise Magdalena Andersson (à droite) et le président finlandais Sauli Niinistö arrivent pour prendre la parole au Rose Garden à la suite d'une réunion à la Maison Blanche à Washington, DC, le 19 mai 2022. MANDEL NGAN / AFP
Le président américain Joe Biden (au centre), la première ministre suédoise Magdalena Andersson (à droite) et le président finlandais Sauli Niinistö arrivent pour prendre la parole au Rose Garden à la suite d'une réunion à la Maison Blanche à Washington, DC, le 19 mai 2022. MANDEL NGAN / AFP
Short Url
Publié le Mercredi 08 juin 2022

La Finlande dynamite l’autonomie stratégique française!

La Finlande dynamite l’autonomie stratégique française!
  • La volonté de la Finlande et de la Suède de rejoindre les rangs de l’Otan a totalement dynamité la doctrine française sur l’autonomie stratégique de l’Europe en matière de défense et de sécurité
  • Jusqu’à la dernière minute, les Européens croyaient que Vladimir Poutine bluffait, qu’il n’allait jamais passer à l’action et qu’il n’envahirait pas l’Ukraine

La volonté de la Finlande et de la Suède de rejoindre les rangs de l’Otan a totalement dynamité la doctrine française sur l’autonomie stratégique de l’Europe en matière de défense et de sécurité.

Le coup a été si rude et si inattendu que le président français, Emmanuel Macron, se trouve dans l’obligation de réécrire une autre vision de l’avenir de l’Europe, loin de ses velléités d’indépendance par rapport à l’Otan.

La précipitation et la détermination avec laquelle les deux pays nordiques ont demandé à rejoindre le «parapluie atlantique» détonnent lourdement avec le diagnostic fait par le président français avant le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Pour lui, cette organisation de défense atlantique était en mort cérébrale. Elle apparaissait en effet sans stratégie lisible, sans agenda visible, sans but déclaré depuis que l’Union soviétique avait rendu l’âme, sous les coups de boutoir du monde occidental conjugués aux désirs internes de ses composantes de délibérer du joug communiste.

Malgré quelques réticences, cette petite musique française d’indépendance à l’égard de l’étouffant Oncle Sam commençait à séduire et à toucher des oreilles attentives.

L’Otan vivait une telle déshérence stratégique et un tel vide militant que ceux qui voulaient lui trouver un rôle pour la maintenir en vie tentaient de lui trouver d’autres missions, d’autres objectifs: pourquoi ne pas l’enrôler dans le combat mondial contre le danger islamiste? Pourquoi ne pas la transformer en bras armé contre la concurrence chinoise?

Ces deux propositions se sont heurtées à des réserves de certains pays membres. Le combat contre l’islamisme pourrait facilement se confondre avec le combat du monde occidental contre l’islam, avec son lot de ruptures dans un monde interdépendant. Et la piste chinoise a été refusée au nom de la situation géographique lointaine de l’Empire céleste.

Et si l’on rajoute à cette confusion générale l’état d’esprit dans lequel se trouvait l’ancien maître de la Maison Blanche Donald Trump, qui, selon les confidences de son conseiller spécial à la sécurité, John Bolton, envisageait, sinon de dissoudre l’alliance atlantique, du moins de se retirer de ce «gros machin» devenu inutile et qui vit aux dépens de l’État.

C’était pendant cette période critique que le président français, Emmanuel Macron, a patiemment tressé sa doctrine d’autonomie stratégique. Pour lui, l’Amérique allait prendre le large, se désengager des crises mondiales et le temps était venu pour que le Vieux Continent prenne son destin militaire en main. La tâche française a été facilitée par le Brexit. La sortie du Royaume-Uni éliminait de facto un farouche opposant à l’esprit de l’indépendance militaire européenne.

Malgré quelques réticences, cette petite musique française d’indépendance à l’égard de l’étouffant Oncle Sam commençait à séduire et à toucher des oreilles attentives. Cette atmosphère de défiance envers Washington a aussi été nourrie par le scandale planétaire du «contrat du siècle» entre la France et l’Australie que Washington, dirigée par le démocrate Joe Biden, a raflé en sourdine et sans états d’âme. Cet événement a provoqué une profonde déchirure dans le lien de confiance tissé entre les Européens et les Américains. Elle a aussi été incarnée par le retrait chaotique des Américains de l’Afghanistan, qui a offert ce pays aux talibans.

Ironie de l’histoire, c’est en voulant affaiblir l’Otan et lui donner le coup de grâce à travers le théâtre d’opération ukrainien que Vladimir Poutine a réussi, sans le vouloir, à la réanimer.

Puis est survenue la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Jusqu’à la dernière minute, les Européens croyaient que Vladimir Poutine bluffait, qu’il n’allait jamais passer à l’action et qu’il n’envahirait pas l’Ukraine, contrairement aux Américains, qui en avaient la conviction.

La guerre a commencé avec le prétexte russe d’éloigner la menace de l’Alliance atlantique de ses frontières. Pendant le long bras de fer diplomatique entre Moscou et l’Europe, la condition que Kiev renonce explicitement à toute ambition d’adhérer à l’Otan a été posée sur la table comme une ligne rouge russe.

Ironie de l’histoire, c’est en voulant affaiblir l’Otan et lui donner le coup de grâce à travers le théâtre d’opération ukrainien que Vladimir Poutine a réussi, sans le vouloir, à la réanimer. Deux pays dont la neutralité est légendaire, la Finlande et la Suède, ont rompu leur statut pour rejoindre l’organisation.

Emmanuel Macron et les avocats de l’autonomie stratégique européenne sur le Vieux Continent ne peuvent que constater les dégâts politiques et tactiques de l’opération russe. L’Otan et son fameux article 5, qui oblige l’alliance à voler au secours de tout membre agressé par une puissance étrangère, sont devenus l’alpha et l’oméga de toutes les préoccupations sécuritaires du moment. L’Allemagne, qui a opéré un tournant dans ses choix de défense en adoptant un gigantesque budget, a consacré son tropisme envers Washington par l’acquisition de matériels de guerre américains.

Emmanuel Macron est obligé de revoir sa doctrine et de repousser aux calendes grecques ses prétentions autonomistes. Avec, sans aucun doute, une pensée amère pour Vladimir Poutine, qui, en voulant affaiblir l’Otan, l’a rendue indispensable à la sécurité européenne.

Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.  

TWITTER: @tossamus

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.