Cela fait quelques années que les relations de la Russie avec l’Otan sont instables. L’annexion de la Crimée par la Russie et la crise ukrainienne ont amplifié cette tendance. Ces deux évènements ne sont pourtant pas les seuls vecteurs de tension.
Le 1er novembre 2021, la Russie a annoncé la fermeture de sa mission de représentation à l’Otan. Cette rebuffade a été suivie de messages clairs ces dernières semaines de la part de Moscou, l'un destiné aux Etats-Unis, l'autre aux membres européens de l'Otan. Les idées énoncées dans ces propositions étaient plus structurées que celles émises au cours des années précédentes par des responsables russes.
Ainsi, à travers ces deux textes, la Russie a exprimé sa volonté de restaurer les relations avec les pays de l’Otan, telles qu’elles étaient à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
La proposition russe est surtout axée sur la situation en Ukraine, mais elle suggère également que l’Otan cesse d'intégrer d'anciens pays du pacte de Varsovie, l’Ukraine et la Géorgie notamment.
Moscou contredit ainsi une règle fondamentale de la loi internationale et restreint la liberté d’un pays indépendant de se joindre à l’alliance de son choix.
L’Otan a aussitôt rejeté la proposition, déclarant qu’elle n’accepterait aucune condition sine qua non. Toutefois, il est possible que des travaux soient en cours entre l’Otan et les chancelleries de Washington afin d’évaluer divers aspects [de la proposition].
De nombreuses raisons peuvent expliquer cette initiative russe.
D’importants changements se sont produits dans le monde après la Seconde guerre mondiale. L’Union soviétique a été dissoute, mais la Russie s’est remise du choc de son démembrement. Elle a repris confiance en elle et a annexé la Crimée ; son armée menace actuellement l’Ukraine ; elle est gravement perturbée par l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie à l’Otan ; elle s’est imposée en Syrie et joue un rôle important en Lybie par le biais des mercenaires du groupe Wagner.
Par conséquent, la Russie souhaite regagner son ingérence politique dans l’ancienne zone d’influence soviétique. Cela inclut les nouveaux pays baltes membres de l'OTAN, le Caucase du Sud et les États turcophones d'Asie centrale. La plupart de ces pays comptent un certain nombre de Russes ethniques. Certaines figures politiques russes ont déjà adressé des menaces dissimulées à ces États, au profit des Russes ethniques qui y vivent. Mais les peuples des pays baltes ne peuvent même pas espérer réintégrer la Russie. Ils n’auront aucune chance.
L’État russe a visiblement la ferme volonté de récupérer les territoires de l'ancienne Union soviétique : il a annexé la Crimée ; il tente de s’imposer dans les régions ukrainiennes de Donetsk et Luhansk ; il n’a pas manqué l’occasion de déployer des soldats russes dans la région autonome du Karabakh en Azerbaïdjan 16 ans après qu’ils ont été retirés ; et la semaine dernière, au Kazakhstan, les manifestations publiques sont devenues incontrôlables à cause de la hausse des prix du pétrole. Les soldats russes qui s'y sont déployées sont certes sous l'égide de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC), mais ils restent des soldats russes.
Cette ambition russe peut s'apparenter à une épée à double tranchant. La Fédération de Russie compte une grande variété de minorités ethniques non russes. Qui a un toit de verre ne tire pas de pierres chez son voisin…
À travers cette initiative, la Russie demande également le démantèlement de l’infrastructure militaire de l’Otan construite après 1997 dans les pays d’Europe de l’Est. L'OTAN est composée de pays démocratiques et les décisions y sont adoptées par consensus. Ainsi, lorsque les intérêts nationaux d'un pays membre sont lésés, la décision ne peut être adoptée.
Dans ce contexte, la Turquie est un cas particulier.
Ankara maintient des relations étroites, bien que fluctuantes, avec Moscou. Ils se battent sur des fronts opposés en Libye, ont des intérêts contradictoires dans la province d'Idlib en Syrie et coopèrent de manière inneficiente dans la région autonome du Karabakh en Azerbaïdjan.
N’oublions pas la position de Washington à l’égard de la Turquie. Il existe une opposition bipartite à l'attitude d'Ankara au sein du Congrès américain après son acquisition d'un système de défense antiaérienne et antimissile mobile russe. Et c'est loin d'être le seul facteur. De nombreux membres du Congrès américain considèrent la Turquie comme un handicap plutôt qu’un atout à l'Otan. La Russie fait de son mieux pour semer la discorde en incitant la Turquie à abandonner ses exigences.
L'Otan peut certes survivre sans la Turquie, mais elle serait affaiblie. Une sortie de la Turquie la rapprocherait de la Russie, engendrant un changement radical de l'équilibre est-ouest.
Les membres européens de l'Otan souhaitent conserver la Turquie dans l'alliance, sans pour autant vouloir l'intégrer à l'UE. Il n’y a pas d’amour perdu entre le président turc Recep Tayyip Erdogan et la communauté euro-atlantique. Cela dit, la Turquie pourrait adopter une politique plus adéquate: celle de garder intactes ses relations avec l'OTAN et de faire l’objet d’un nouveau canal entre la Russie et l'Otan.
Yasar Yakis est un ancien ministre turc des Affaires étrangères et un membre fondateur du parti AK au pouvoir.
Twitter: @yakis_yasar
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.