La frustration du peuple iranien à l'égard de l'establishment clérical a atteint un nouveau sommet, ce qui pourrait mettre en danger le maintien du régime au pouvoir. La véritable menace contre les clercs au pouvoir en Iran vient de l'intérieur, et non de l'étranger.
Au cours de sa campagne présidentielle, le président iranien, Ebrahim Raïssi, a fait la promesse audacieuse que son administration, contrairement au gouvernement de l'ancien président, Hassan Rohani, serait une force puissante pour «soutenir les défavorisés», «éliminer la pauvreté absolue» et «construire un million de logements». Mais désormais, après moins d'un an de mandat, le coût de la vie a explosé sous la direction de M. Raïssi.
Le premier problème est lié à l'économie. L'administration a récemment réduit les subventions destinées à l’importation du blé, ce qui peut entraîner des hausses de prix allant jusqu'à 300 % pour les aliments à base de farine comme le pain. Cette situation a déclenché des manifestations avec des slogans tels que «Mort à Raïssi» et «Mort à Khamenei» dans de nombreuses villes du pays.
L'inflation a atteint plus de 50 %, l'un des taux les plus élevés au monde. Plus de quarante et un millions d'Iraniens, soit plus de la moitié de la population, vivent sous le seuil de pauvreté. L’Iran occupe la cinquième place des pays présentant les taux d'inflation les plus élevés dans le classement mondial, après le Venezuela, le Zimbabwe, le Soudan du Sud et l'Argentine.
L'un des principaux problèmes réside dans le fait que les salaires des travailleurs sont restés pratiquement inchangés, alors que les prix des denrées alimentaires et des produits de base augmentent de 200 à 300 % par an. Nastaran, une mère et enseignante iranienne vivant dans la capitale Téhéran, explique: «Mon salaire est de 3 000 000 de tomans par mois (près de 100 dollars: 1 dollar = 0,94 euro), et le gouvernement vient d'augmenter le prix d'une miche de pain de 10 000 tomans (36 cents). Mes enfants et moi utilisons cinq miches de pain par jour; cela signifie que la moitié de mon salaire sera consacrée au pain. Qu'en est-il de mon loyer, des autres aliments, de la scolarité des enfants, des frais médicaux, des factures d'électricité, de gaz et d'eau? Chaque président a promis d'améliorer la situation, mais elle ne cesse d’empirer.»
Même les organes de presse publics iraniens ont lancé des avertissements au sujet de la crise économique et du soulèvement potentiel. Ils ont même osé critiquer le président Raïssi, considéré comme le religieux qui succédera à l'ayatollah Ali Khamenei en tant que Guide suprême. À titre d’exemple, l'agence de presse semi-officielle Ilna a écrit récemment: «En moins de deux mois, les prix élevés ont considérablement vidé le panier des familles de travailleurs. Les salaires minimums ont été majorés de 57 % cette année; cependant, l'augmentation moyenne des prix des denrées alimentaires a été de plus de 200 %, ce qui signifie une diminution de 150 % des salaires réels des travailleurs.»
Comme à l’accoutumée, le régime a recours à son modus operandi préféré en répondant par la force brutale face aux manifestations. Le dernier soulèvement généralisé s’est produit en 2019 – le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) a été déployé et près de mille cinq cents personnes ont été tuées. Un membre du CGRI a admis en rapport avec le soulèvement de novembre 2019: «Je suis un officier supérieur des Gardiens de la révolution à Téhéran. Je me suis porté volontaire pour témoigner devant ce tribunal. J'ai été témoin d'arrestations et d'interrogatoires de masse. Malheureusement, j'ai participé aux arrestations et j'ai été témoin des interrogatoires... Les forces ont reçu l'ordre d'ouvrir le feu, d'arrêter, d'interroger, de pénétrer dans les maisons où les suspects auraient pu se réfugier. Il n'était pas nécessaire d'obtenir un mandat du bureau du procureur. On leur a dit de confisquer les véhicules, de les détruire, de faire tout ce qui était possible pour réprimer les protestations.»
L'un des principaux problèmes réside dans le fait que les salaires des travailleurs sont restés pratiquement inchangés, alors que les prix des denrées alimentaires et des produits de base augmentent de 200 à 300 % par an.
Dr Majid Rafizadeh
Il est important de souligner que les problèmes financiers du peuple iranien résultent principalement des politiques fiscales et monétaires inefficaces du gouvernement, de la réticence des dirigeants à redistribuer les richesses, de la mauvaise gestion économique, de l'hémorragie des richesses de la nation à travers les dépenses consacrées au terrorisme et aux milices, de la corruption des fonctionnaires, de l'absence d'un marché privé robuste et d'une économie contrôlée par l'État qui a poussé davantage de personnes dans la pauvreté. La monopolisation de l'économie par l'État s'applique à presque tous les secteurs. Dans le système économique iranien, le Guide suprême et le CGRI jouissent d'un contrôle considérable et de parts dans presque toutes les industries, notamment les institutions financières et les banques, les transports, la construction automobile, l'exploitation minière, le commerce et les secteurs pétrolier et gazier.
Néanmoins, il ne faut pas négliger la nature politique du mécontentement du peuple iranien à l'égard du régime. Les gens s'opposent fermement à l'autoritarisme des clercs au pouvoir, leur despotisme et la suppression des libertés.
En effet, les vents du changement soufflent fermement contre le régime iranien à l'intérieur du pays. La République islamique devrait être alarmée par le fait que l'écrasante majorité du peuple iranien en a assez de l'establishment clérical d'un point de vue économique et politique. À un moment donné, le CGRI et son groupe paramilitaire, les bassidji, ne seront pas en mesure de soumettre tout le monde par la force, quelle que soit leur puissance.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.
Twitter : @Dr_Rafizadeh
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.