MARSEILLE : Onze ans après l'écroulement de la scène prévue pour le concert de Madonna à Marseille, les victimes n'ont pas oublié, mais le chef d'équipe anglais chargé du chantier n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi ce gigantesque mécano métallique s'est effondré.
Le jour du drame, ce 16 juillet 2009, sur la pelouse du stade Vélodrome, Scott Seaton a 38 ans. Désormais âgé de 50 ans, il fait partie des onze prévenus poursuivis devant le tribunal correctionnel de Marseille pour homicides et blessures involontaires.
« J'y pense tous les jours, je vais porter cette cicatrice toute ma vie », confie-t-il mardi.
Mais il a beau revenir sur ce chantier où il dirigeait 12 salariés anglais d'ESG, l'entreprise anglaise propriétaire de la scène, et 25 ouvriers français recrutés par Tours Concept France (TCF), il ne comprend pas ce qui s'est passé. Et aujourd'hui encore, il ne ferait « rien de différent », explique-t-il via un interprète.
Dans ce dossier très technique, les experts judiciaires affichent une certitude: la chute du toit est la conséquence directe du mauvais placement de l'élingue utilisée par la grue pour hisser l'un des angles du toit, après la panne de deux treuils. Ce câble aurait entraîné la rupture d'une des poutres métalliques puis se serait déchiré, entraînant l'écroulement de l'ensemble de la structure.
« De la viande fraîche »
Mais Scott Seaton ne comprend pas: « L'élingue, on l'a placée là parce que c'est ce que nous ont enseigné des années d'expérience, ça avait fonctionné auparavant ».
Celui qui a posé l'élingue n'est pas là pour témoigner: Charles Prow, jeune Anglais de 23 ans, est mort dans cet accident, avec Charles Criscenzo, un Aixois de 52 ans. Une troisième personne est décédée depuis, Giuseppe di Silvestro, l'un des blessés, qui s'est suicidé deux ans plus tard.
Chez les sept autres victimes, ce 16 juillet 2009 reste gravé dans les mémoires.
Jean-Jérôme Constant se souvient de la « pagaille » qui régnait sur le chantier, « des Anglais odieux » qui eux ne prenaient pas de risques: « À part Charles Prow sur le toit, ce n'étaient que des Français qui étaient en haut, dans les tours, quand tout est tombé ».
« On était de la viande fraîche », résume Ludovic Drouille, un des sept blessés tous salariés de TCF.
« J'ai le dos massacré, c'est l'enfer ». Jason Ferry raconte sa vie brisée, ces douleurs qui l'empêchent de tenir debout plus de quelques minutes, et les problèmes financiers, qui l'obligent à se battre, « complètement seul, pour obtenir quelques miettes ».
Pour la plupart d'entre eux, les blessés n'ont jamais été indemnisés. « J'ai perdu ce métier que j'aimais, et aujourd'hui je fais des petits boulots, pour 1 000 euros par mois, et j'élève mes deux enfants », raconte Julien Pascal, dans le coma pendant six mois après l'accident.
Cordiste à l'époque, il est aujourd'hui incapable de grimper sur un échafaudage. Et il revit sans cesse cette dizaine de secondes où tout s'est écroulé.
« On a entendu ce grand bruit, puis tout à coup un calme plat. J'ai regardé Charles Criscenzo, j'ai senti que c'était le dernier jour de notre vie, et il m'a dit: “On s'en va petit." »
La veille du drame, le même Charles Criscenzo racontait à sa femme l'ambiance sur le chantier, et les Anglais pressés de terminer le montage: « Ils sont à Marseille, ils veulent aller à la plage, voilà ce qu'il m'a dit », témoigne Francine, sa veuve, en larmes.
Entamé le 7 octobre, ce procès est prévu pour se terminer vendredi.