MARSEILLE : Onze ans après, le dossier de l'effondrement mortel de la scène qui devait accueillir un concert de Madonna à Marseille arrive enfin devant la justice, à partir de lundi. Face aux proches des victimes, dix jours d'audience sont prévus pour démêler l'écheveau des responsabilités.
Quand les marins-pompiers de Marseille sont appelés pour intervenir, le 16 juillet 2009, peu après 17H00, au coeur du stade Vélodrome, le toit de la scène prévue pour le concert de la reine de la pop trois jours plus tard n'est plus qu'un enchevêtrement de métal. Sous les débris, un mort déjà, Charles Criscenzo, un Aixois de 52 ans. Dans la soirée, Charles Prow, un Britannique de 23 ans, décède de ses blessures à l'hôpital.
Huit autres ouvriers sont blessés, certains gravement. L'un d'entre eux, Giuseppe di Silvestro, se suicidera deux ans plus tard. Au moment du drame, neuf des dix victimes se trouvaient en hauteur, dans les tours de la scène.
Madonna, 50 ans à l'époque, n'avait pas répondu à la convocation du juge d'instruction. Dans un courrier, elle avait souligné ne pas être impliquée dans le volet technique du montage de la scène et n'avoir demandé à personne de la monter plus rapidement. Elle avait présenté ses condoléances aux familles des victimes.
Dans cette affaire très technique, les experts sont certains d'une chose: la chute du toit est la conséquence directe du mauvais placement du câble utilisé par une grue pour hisser l'un des angles du toit, suite à la panne de moteur de deux treuils. Cette sangle avait été mise en place par Charles Prow.
Mais cette erreur n'est que le résultat de la « totale improvisation » qui régnait sur le chantier, assène Pierre Philipon, le troisième juge instructeur chargé de ce dossier, dans son ordonnance de renvoi du 29 janvier 2019.
« Les "Anglais" dirigeaient »
Sur le banc des prévenus, ils seront 11 lundi matin, au tribunal correctionnel de Marseille: Live Nation France, l'organisateur du concert, et sa dirigeante; Edwin Shirley Group (ESG), l'entreprise anglaise propriétaire de la scène, pour qui travaillait Charles Prow, et trois de ses représentants; Tour Concept France, la société française chargée d'assister ESG pour le montage, et son dirigeant; Mediaco, l'entreprise marseillaise propriétaire du camion-grue, et son dirigeant; Scott Seaton enfin, travailleur indépendant, recruté comme chef d'équipe par ESG.
Quatre sociétés et sept personnes physiques, toutes poursuivies pour homicides involontaires, blessures involontaires et infractions à la réglementation générale sur la sécurité du travail. Des infractions dont « le nombre important montre l'imprévoyance, la négligence (et) l'incurie qui prévalaient avant et pendant le montage » de la scène, insiste le magistrat instructeur.
Selon les témoignages des sept victimes survivantes, toutes employées par Tour Concept France, « c'étaient "les Anglais" qui dirigeaient ». En difficultés financières, ESG avait-elle intérêt à accélérer le montage de la scène ? Le chantier avait une demi-journée d'avance lors de l'accident.
Si les consignes des Anglais n'étaient pas respectées, ceux-ci menaçaient d'un « Tomorrow no job » (« demain, pas de boulot »), affirme un des ouvriers français blessés.
Flou sur le poids du toit de la scène (entre 54 et 67 tonnes), sur la résistance de la sangle (entre 8 et 16 tonnes), absence de plan de prévision des risques, ouvriers casqués mais non harnachés, comme Charles Prow quand il est éjecté de la structure en train de s'écrouler: l'inorganisation semblait générale sur le chantier.
Mais une chose est certaine pour les experts: la présence des victimes dans les tours de la scène, alors que le toit était en train d'être hissé, était « injustifiable ».