À l’ère digitale, les fraudeurs s’attaquent à l’art et aux actifs numériques

La cyberciminalité touche près de 330 millions de personnes dans le monde chaque année (Photo, Reuters).
La cyberciminalité touche près de 330 millions de personnes dans le monde chaque année (Photo, Reuters).
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Publié le Mardi 12 avril 2022

À l’ère digitale, les fraudeurs s’attaquent à l’art et aux actifs numériques

À l’ère digitale, les fraudeurs s’attaquent à l’art et aux actifs numériques
  • L’année dernière, les cybercriminels ont volé un montant record de 3,2 milliards de dollars, soit cinq fois plus que l’année d’avant
  • Le développement de la fraude et des contrefaçons de produits est stupéfiant

Environ 330 millions de personnes sont victimes de cybercriminalité chaque année. Ce nombre est si élevé que le montant dépensé pour la détection des fraudes en ligne devrait grimper à 129 milliards de dollars (1 dollar = 0,90 euro) dans le monde en 2022.
L’essor des cryptomonnaies a renforcé ce problème et, l’année dernière, les cybercriminels ont volé un montant record de 3,2 milliards de dollars, soit cinq fois plus que l’année d’avant. Cette augmentation de la criminalité exerce une pression considérable sur les forces de l’ordre, qui doivent désormais faire face à des pratiques frauduleuses innovantes. Il n’en reste pas moins que l’utilisation d’actifs physiques comme réserves de richesse pour les activités criminelles a augmenté de façon alarmante.
La conférence annuelle sur la fraude, la localisation et le recouvrement d’actifs qui se tient à Genève au mois de mars réunit des experts du domaine. Des personnalités de premier plan dans les secteurs des poursuites pour fraude, de l’identification d’actifs, du règlement des différends et de la faillite y participeront pour partager les différents moyens de mettre la main sur des criminels de plus en plus ingénieux.
En 2021, lorsque la pandémie en était à sa deuxième année, les forces de l’ordre faisaient face à des ressources limitées. Les criminels ont réussi à blanchir quelque 8,6 milliards de dollars grâce à la cryptomonnaie – une hausse de 30% par rapport à l’année précédente. Bien que les cryptomonnaies agissent elles-mêmes comme une précieuse réserve de richesse, les criminels sont conscients du fait que ces actifs sont relativement faciles à localiser et ils se sont donc de nouveau tournés vers le stockage des richesses dans des actifs physiques.
L’anonymat traditionnellement offert par le marché de l’art continue d’attirer les criminels, qui tentent de dissimuler leurs gains mal acquis. Autrefois, seuls quelques riches collectionneurs choisis faisaient des affaires sur le marché de l’art. Aujourd’hui, l’art est commercialisé comme une marchandise et il constitue un moyen de plus en plus important de blanchiment d’argent. Mathilde Heaton, avocate générale auprès de la maison de vente aux enchères Phillips, a mis en garde, lors de la conférence, contre l’augmentation de la fraude en lien avec l’art compte tenu de la numérisation accrue du secteur.
Alors que les délits des contrefacteurs étaient autrefois limités, dans la mesure où peindre prend du temps, les faussaires de jetons non fongibles (NFT) peuvent aujourd’hui se contenter de copier et de vendre le travail d’un artiste en ligne à son insu et sans son consentement. Au mois de mars, les procureurs de New York ont inculpé deux jeunes de 20 ans, Ethan Vinh Nguyen et Andre Marcus Quiddaoen Llacuna, dans le cadre d’une fraude de NFT qui avait pour but d’escroquer des investisseurs et s’élevait à 1,1 million de dollars. Cet acte délictueux montre avec quelle facilité la fraude artistique peut désormais être commise.
Alors que la fraude et le blanchiment d’argent liés à l’art augmentent, le brouillage administratif et comptable auquel les criminels se livrent traditionnellement est également en plein essor. Jonathan Addo, associé du cabinet d’avocats Harneys, déplore lors de cette conférence l’accès aux services bancaires et financiers internationaux dont disposent désormais les fraudeurs avec le développement des services bancaires en ligne et des voyages internationaux.

En 2021, lorsque la pandémie en était à sa deuxième année, les forces de l’ordre faisaient face à des ressources limitées. Les criminels ont réussi à blanchir quelque 8,6 milliards de dollars grâce à la cryptomonnaie – une hausse de 30% par rapport à l’année précédente

-Zaid M. Belbagi


Certains escrocs choisissent de blanchir les produits du crime au moyen de cryptomonnaies, alors que les structures offshore proposées par certains territoires d’outre-mer continuent de servir de base pour les criminels. Selon une estimation, jusqu’à 50 milliards de dollars qui proviennent de la vente de stupéfiants – sur un total mondial annuel de 500 milliards de dollars – seraient blanchis à travers les Caraïbes: l’argent serait déposé dans des institutions financières offshore, où aucune question n’est posée et où l’origine de l’argent demeure un grand mystère.
Les structures offshore qui ne sont pas ouvertement liées à leurs propriétaires ne sont qu’un des moyens ingénieux auxquels les criminels recourent pour blanchir de l’argent. Le conflit en Ukraine a mis en évidence la présence de fonds russes frauduleux, notamment au Royaume-Uni, où de riches particuliers et des entreprises de Russie ainsi que du monde entier investissent légitimement sur le marché immobilier.
L’organisation à but non lucratif Transparency International évalue ces investissements matériels à 1,5 milliard de livres sterling (soit 1,77 milliard d’euros). Ces propriétés détenues par des Russes accusés de crimes financiers ou qui entretiennent des liens avec le Kremlin s’ajoutent à ce que le ministère britannique de l’Intérieur déclare être des dépenses plus importantes en biens de luxe, en voitures et en dons à des institutions culturelles, ce qui permet aux individus de redorer leur blason.
En 2018, le gouvernement britannique a introduit des ordonnances de richesse inexpliquée pour limiter l’achat de propriétés au moyen de fonds criminels dans le pays. Mais, comme le remarque avec pertinence pendant la conférence Keith Oliver, responsable de la fraude internationale au sein du cabinet d’avocats britannique Peters & Peters, sur les neuf fois où ces ordonnances ont été utilisées, une seule a jusqu’à présent abouti à la cession de biens.
En plus de l’augmentation des achats physiques de biens et d’œuvres d’art par des escrocs, le développement de la fraude et des contrefaçons de produits est également stupéfiante. Dans un marché horloger en plein essor, où les prix augmentent jusqu’à 90 dollars par jour, le directeur de Christie’s à Dubaï, Remy Julia, déclare que l’industrie est sujette à la contrefaçon. Jusqu’à 400 millions de copies, d’une valeur d’1 milliard de dollars, seraient produites chaque année.
Les gangs tirent également profit des articles domestiques contrefaits. Environ deux tiers des bouteilles d’huile d’olive présentes dans les supermarchés seraient des contrefaçons. Le chiffre d’affaires estimé du faux parmesan dans le monde est supérieur à 2 milliards de dollars par an, soit plus de quinze fois le montant du véritable parmigiano-reggiano. Avec une demande accrue de biens de consommation qui dépasse la production, les malfaiteurs d’aujourd'hui comblent le vide en toute impunité en fournissant des biens contrefaits et souvent non taxés.
L’augmentation des cas de criminalité en ligne n’a pas remplacé les pratiques criminelles traditionnelles, mais elle a plutôt donné naissance à un autre domaine dans lequel la fraude peut être commise et les produits stockés. L’ampleur de la criminalité financière est devenue si importante que les actifs physiques utilisés par les fraudeurs ont nettement augmenté. Comme toujours, la meilleure façon de lutter contre ces pratiques est la prévention, mais les forces de l’ordre doivent également disposer de davantage de ressources pour freiner cette tendance inquiétante.


Zaid M. Belbagi est commentateur politique et conseiller auprès de clients privés entre Londres et le Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Twitter: @Moulay_Zaid
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com