PARIS: « Les équipes s'effondrent les unes après les autres » : des soignants, éreintés et gagnés par la « lassitude », quittent l’hôpital public pour préserver leur famille et leur santé, un « choix de raison » amplifié par la crise du Covid-19.
« Ça fait maintenant quatre mois que j'ai quitté l'hôpital : j'ai retrouvé le sommeil, l'appétit et je ne crie plus sur mes enfants », raconte une pédiatre des Bouches-du-Rhône sous couvert d'anonymat.
« C'est un choix de raison, pas un choix de cœur », ajoute cette quadragénaire qui imaginait « sa carrière toute tracée dans le service public ». « Prendre un poste de praticien hospitalier, c'était, il y a une dizaine d'années, ce que tout le monde visait ».
Mais ce n'est plus le cas : aujourd'hui plus d'un quart des postes de praticien hospitalier ne trouve pas preneur en France. En cause, la charge de travail, la désorganisation des équipes, le manque d'attractivité, la surcharge administrative, l'augmentation du flux de patients, le manque de projets d'avenir...
Mais aussi « la maltraitance institutionnelle envers les patients dont nous faisons preuve bien malgré nous, le plus souvent due au manque de tout », raconte Thomas Laurent, infirmier aux hospices civils de Lyon, avouant partir « sans regret ».
Après 16 ans passé à l'hôpital, il raconte avoir choisi de « changer de métier pour vivre plus sereinement ». « Comme beaucoup de mes collègues avant moi et sûrement bien d'autres qui viendront ensuite ».
Aude Vincentelli, infirmière Smur, n'a pas sauté le pas mais « depuis un an, à peu près toutes les semaines, je me dis ‘c'est bon, basta, je m'en vais’ ». « A un moment notre vie personnelle pâtit tellement de notre travail que ça n'a pas de sens ».
« Gueule de bois »
Avant « j'y trouvais mon compte, on faisait du bon travail dans une équipe stable. Mais tout ça a explosé en vol », raconte-t-elle en pointant du doigt « le déficit d'effectifs devenu chronique ces dernières années », conduisant à une « lassitude » générale.
Sous l'effet des départs et de l'absence de jeunes volontaires, « les équipes s'effondrent les unes après les autres », regrette la pédiatre des Bouches-du-Rhône.
Résultat : pour pallier les postes vacants, la spécialiste travaillait jusqu'à 90 heures par semaine, faisait un week-end sur deux de garde, auxquels s'ajoutaient celles de nuit. « Je me sentais prisonnière de mon service, prisonnière de cette permanence de soins », ajoute-t-elle.
Coup de grâce : en mars, le Covid-19 engorge les hôpitaux, épuisant les soignants.
« Puis l'été arrive. Et comme tous les étés, le manque de lits et de personnel se fait encore plus criant », raconte Thomas Laurent, membre du Collectif inter-hôpitaux lors d'une conférence de presse. « Je me suis retrouvé à travailler un jour sur deux en sous-effectifs, avec l'impossibilité de transférer les patients dans les services adaptés ».
Pendant la première vague, « nous étions galvanisés. Mais la descente a été assez violente », juge Aude Vincentelli parlant de « gueule de bois ». « Nous sommes revenus aux mêmes problèmes qu'avant, en pire parce que nous sommes fatigués et encore moins nombreux ».
Après 20 ans passés à l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis, elle ne se résout toutefois pas à partir. « Quand ça fait des années qu'on fait ça, on se dit que c'est un peu dommage de ne pas le transmettre » aux jeunes générations, confie-t-elle.
« Mon métier me manque malgré tout parce que je l'aime, j'aime le faire dans le service public de l'hôpital public, je me sentais faite pour ça, mais je ne pouvais plus physiquement, humainement, familialement. Il fallait que ça s'arrête », regrette la pédiatre des Bouches-du-Rhône.