Comme je peux en témoigner du temps où j'étais à Washington, l'art de la gestion des alliances est un processus pénible et fastidieux. Comme c'est le cas pour les amitiés personnelles, les alliances entre pays exigent que les deux parties soient conscientes mais ignorent les défauts de l'autre, dans l'espoir que, tout compte fait, la relation en vaille la peine. Autrement dit, en termes réalistes, la seule chose pire que d'avoir des alliés est de ne pas en avoir.
Par ailleurs, les amitiés personnelles et les alliances exigent des soins patients et constants ; comme le jardinage, c'est un processus sans fin. Les élans d'énergie et d'attention ne suffisent pas à soutenir une alliance. Ce qui est nécessaire, c'est un effort patient et de longue haleine pour examiner les intérêts communs entre les pays. C’est rechercher les domaines dans lesquels ils peuvent travailler ensemble, tout en minimisant les différences d'intérêts afin que l'alliance ne devienne pas toxique, qu'elle ne soit pas en danger. Surtout, les alliances ne peuvent être considérées comme acquises ; si elles le sont, la négligence inhérente à cet état d'esprit se retournera contre le pays négligent.
Lorsque Joe Biden est arrivé à la Maison Blanche, l'art nécessaire et ingrat de la gestion des alliances semblait justement être son point fort. Habitué de la politique étrangère, il a longtemps présidé, en tant que législateur, la commission des relations étrangères du Sénat, le groupe restreint qui supervise les relations internationales des États-Unis. S'occuper des tâches difficiles et importantes inhérentes à la gestion des alliances semblait convenir au tempérament du nouveau président et, surtout, à sa biographie.
Il est donc surprenant que les efforts effrénés de Biden pour élaborer une nouvelle politique énergétique à la suite des sanctions américaines contre la Russie se soient heurtés à un mur. Ses alliés, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite, ont apparemment éludé ses appels à pomper davantage de pétrole afin d'atténuer le choc de l’offre qui se dessine à l’échelle mondiale, conséquence de la guerre en Ukraine. En pratique, ces deux pays peuvent rapidement accroître leur production et compenser l'exclusion de la Russie. Qu'ils ne l'aient pas encore fait en dit long en termes de karma − non pas sur les mérites de la « demande » de Biden, mais sur sa négligence diplomatique à l'égard de ces deux bastions traditionnels du système d'alliance mondial des États-Unis –.
En 2021, les États-Unis ont importé de Russie près de 700 000 barils de pétrole brut et de produits pétroliers liquéfiés par jour, soit environ 8 % de leurs importations totales de pétrole. Bien qu'ils soient beaucoup moins dépendants de l'énergie russe que leurs alliés européens, ce volume non négligeable ne manquera pas de faire grimper à court terme les prix de l'énergie aux États-Unis. Cette hausse est d'autant plus dévastatrice pour la Maison Blanche que l'inflation atteint déjà un taux alarmant de 7,9 %, le plus élevé depuis 40 ans.
« L'équipe économique de Biden a commis une erreur fondamentale en injectant trop d’argent du secteur public dans la crise de COVID-19, alors même que l'économie américaine a rebondi plus solidement et plus rapidement que prévu. »
John C. Hulsman
L'équipe économique de Biden a commis une erreur fondamentale en injectant trop d'argent du secteur public dans la crise de COVID-19, alors même que l'économie américaine a rebondi plus solidement et plus rapidement que prévu. Comme l'a brillamment expliqué Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor de l'ère Clinton, on ne peut pas augmenter les dépenses fédérales de 14 à 15 % du produit intérieur brut sans déclencher des taux d'inflation nettement plus élevés. Tout cela se produisait avant même le choc mondial de l’offre en énergie, qui est une conséquence de la guerre en Ukraine. C'est ce contexte qui a poussé un Biden complaisant à demander à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis une aide immédiate et substantielle pour augmenter la production énergétique mondiale afin d'amortir le choc prévisible pour les États-Unis.
Le manque de réceptivité immédiate des deux pays s'expliquerait par le fait qu'ils ont été considérés comme acquis tout au long de la présidence Biden − sa négligence dans la gestion des alliances s'est révélée payante –. Les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ont été alarmés par la précipitation de la Maison Blanche de Biden à ressusciter le Plan d'action global conjoint, l'accord nucléaire avec l'Iran. Leurs préoccupations sont restées lettre morte, les États-Unis étant sur le point de relancer cet accord désastreux.
Deuxièmement, les Saoudiens et les Émiratis ont été irrités par la décision des États-Unis de retirer leur statut de terroriste aux Houthis soutenus par l'Iran au Yémen, qui combattent les forces gouvernementales soutenues par les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite. En outre, les Saoudiens réclament davantage de soutien américain dans le cadre de cette guerre en général. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela n'a pas été le cas de la Maison Blanche de Biden, qui semblait se soucier aussi peu des intérêts saoudiens que de l'accord avec l'Iran.
Troisièmement, en essayant de mettre, en quelque sorte, sur la touche, les relations américaines avec le prince héritier Mohammed ben Salmane, la Maison Blanche de Biden comprend fondamentalement mal le fonctionnement du système saoudien. En négligeant, en ignorant et en considérant comme acquises les alliances saoudiennes et émiraties, Biden récolte ce qu'il a semé.
Enfin conscients des dégâts causés, les responsables de la Maison Blanche se démènent pour organiser une visite du président à Riyad et tenter de calmer les esprits alors que ce dernier continue de faire pression pour augmenter la production de pétrole. Il semblerait que les Émirats arabes unis soient désormais ouverts à une telle augmentation. Mais, pour ainsi dire, c'est un mauvais moment pour solliciter l'aide d'un ami éloigné, après avoir négligé cette même relation au départ. C'est le prix que Biden doit payer pour avoir mal géré son alliance.
John C. Hulsman est le président et directeur associé de John C. Hulsman Enterprises, une société de conseil de premier plan en matière de risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il est possible de le contacter via johnhulsman.substack.com.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.