Ira? Ira sûrement… mais dans quelles conditions? De quelle manière? Par un tweet ramassé? Par un généreux discours télévisé? Ou par une phrase lancée comme par inadvertance au gré d’une déambulation pour mieux souligner l’évolution naturelle des événements? Ou finalement par une simple missive officielle manuscrite adressée aux Français? La candidature d’Emmanuel Macron est sujette à toutes les supputations. Elle devient même l’objet d’un débat politique clivé et enflammé.
En retenant sa candidature jusqu’à la dernière limite légale soutenable, Emmanuel Macron prive ses concurrents d’une possibilité de confronter et de démolir son bilan pour pouvoir bénéficier de l’effet ascenseur qu’offre traditionnellement le sortant à ses challengers.
En effet, se frotter à des candidats du même acabit électoral est beaucoup moins pimenté qu’affronter le président en titre avec ce qu’il peut offrir comme effet de miroir et de comparaison.
Sans un Emmanuel Macron déclaré, les débats ronronnent comme les cris des poissons dans un bocal. Il est vrai que cela installe une certaine atmosphère, comme ont si bien réussi à le faire le duo Le Pen/Zemmour, où l’accent est d’avantage mis sur les questions d’identité, d’immigration, de sécurité et d’islam. Un combat de coqs afin de déterminer quel est le candidat le plus «national», le plus «souverain», le plus «Français».
Des thématiques qui donnent l’illusion de refléter les soucis des Français, mais qui peuvent se révéler des préoccupations de niche sans grande portée. Car au moment où l’attention est fixée sur les questions identitaires, cela fait l’économie d’une réflexion sur les solutions économiques et sociales propres aux malaises chroniques des Français.
Emmanuel Macron, tout enthousiaste et tout efficace qu’il est, n’est pas à l’abri d’un accident de l’histoire
-Mustapha Tossa
Devant l’attitude d’Emmanuel Macron, l’opposition a sorti la grosse artillerie. Certains ont accusé le président, non encore candidat, de fuir le débat pour ne pas avoir à subir la contradiction. D’autres lui reprochent d’utiliser les moyens que l’État met à sa disposition pour mener une campagne électorale clandestine. Les finances des comptes de campagne et les temps d’antennes ne sont comptés qu’à partir de la déclaration de candidature.
En tout cas, Emmanuel Macron, sous prétexte de vouloir être le président des Français jusqu’à la dernière minute de son mandat, ne se gêne pas pour exploiter toutes les opportunités médiatiques que l’agenda politique et diplomatique lui offre. Avec la présidence française de l’Union européenne, les occasions d’intervenir sur les crises régionales sont immenses, comme le montrent les deux grands conflits du moment, l’Ukraine et le Sahel. La spectaculaire médiation entre Moscou et Kiev que Macron avait lancé au nom de l’Europe et de la France vise certes à faire baisser la tension dans cette région explosive, mais aussi à sacrer dans le marbre électoral l’incontestable posture internationale du président-candidat.
En attendant de se lancer dans la bataille du second mandat, Emmanuel Macron aura à gérer une extrême droite revigorée par les vives polémiques infusées à gros sabots par l’apparition d’Éric Zemmour, une droite qui renaît de ses cendres en intronisant une femme, Valérie Pécresse, et une gauche toujours à la recherche du leadership perdu, malgré l’apparition tardive de Christiane Taubira, dont les sondages promettent de ne pas dépasser les sous-sols de la popularité.
Sur le papier, pour Emmanuel Macron, la reconduction pour un second mandat semble ressembler à une promenade de santé. L’extrême droite se cannibalise toute seule dans une guerre fratricide entre Le Pen et Zemmour qui lui fait perdre toute crédibilité et épaissit davantage son plafond de verre. La gauche qui s’autoparalyse par une violente guerre d’egos et s’éloigne de plus en plus de la culture de gouvernement, et la droite républicaine qui n’arrive pas à se délester du baiser de la mort que la République en marche (LREM), le parti de Macron, lui a administré en début de mandat en s’emparant d’une grande partie de ses ressources humaines. D’ailleurs, ce travail de séduction et de débauchage se poursuit avec l’arrivée dans l’écurie Macron d’une pointure économique de la droite républicaine, Éric Woerth.
Mais dans la réalité, Emmanuel Macron, tout enthousiaste et tout efficace qu’il est, n’est pas à l’abri d’un accident de l’histoire. Pour de nombreux observateurs, cet accident peut survenir à travers la qualification surprise de la candidate de la droite républicaine, Valérie Pécresse, au second tour de cette présidentielle.
Dans ce cas de figure, et dans ce cas seulement, Emmanuel Macron peut craindre pour sa réélection. Le risque pour lui est de voir se coaguler contre lui toutes les forces politiques qui rêvent de le déloger de l’Élysée et qu’on trouve aussi bien à l’extrême droite qu’à gauche. Emmanuel Macron pourra alors vivre le syndrome du «tous… tout… sauf Macron», dont a souffert un de ses visiteurs du soir, Nicolas Sarkozy.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine.
Twitter: @tossamus
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.