La France, pays de Voltaire, quoique…

Une marche "de la liberté" place de la République à Paris en juin 2021. (AFP).
Une marche "de la liberté" place de la République à Paris en juin 2021. (AFP).
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Publié le Vendredi 11 février 2022

La France, pays de Voltaire, quoique…

La France, pays de Voltaire, quoique…
  • Comme tient à le rappele Robert Badinter, ancien ministre de la Justice, la France n’est pas le pays des droits de l’homme mais le pays de la Déclaration des droits de l’homme.
  • La parole politique, déjà décrédibilisée par la gestion des mouvements sociaux, et avant celui des Gilets jaunes, a du mal à retrouver la confiance de la rue

«Pays de Descartes», «Pays des Lumières», «Pays de Voltaire», «Pays des Droits de l’Homme» : quel pays peut se targuer d’être aussi distingué que la France? Quoique…

Sur la question des Droits de l’homme, la Cour européenne a sanctionné plus d’une fois la France (1). Et du reste, comme tient à le rappeler le très respectable Robert Badinter, ancien ministre de la Justice, la France n’est pas le pays des droits de l’homme mais le pays de la Déclaration des droits de l’homme. Nuance!

Le pays du «père» de l’abolition de la peine de mort est dit aussi «Pays de Pasteur». Quoique!... Nombreux furent les esprits chagrins pour qui, en matière de vaccin anti-Covid, la recherche française aura brillé par son absence!... Comme nous l’avions déjà écrit, jamais, même durant les années «Sida», la science, au pays de Pasteur, n’aura connu un tel désaveu de la part d’un grand nombre de citoyens! À force d’annonces contradictoires d’une semaine à l’autre, de déclarations officielles tour à tour alarmantes et rassurantes, les consignes prenant peu à peu le caractère de contraintes, l’esprit «gaulois» a fini par se cabrer. Et le doute par s’installer. Après tout, dirait-on, nous sommes au «Pays de Descartes» dont il faut rappeler la devise: «Dans le doute, abstiens-toi»! Et c’est ainsi que le doute s’est peu à peu mué en méfiance, voire en défiance: la parole politique, déjà décrédibilisée par la gestion des mouvements sociaux, et avant celui des Gilets jaunes, a du mal à retrouver la confiance de la rue.

«Pays des Lumières»

À présent, intéressons-nous tout particulièrement, au «Pays des Lumières». Et, parmi les grands noms qui symbolisent ce mouvement: Diderot, Montesquieu, Olympe de Gouges, Rousseau, Voltaire, attardons-nous sur le dernier. L’auteur du Dictionnaire philosophique est connu, et constamment évoqué, pour la fameuse déclaration de principe : «Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire». Sauf que… François-Marie Arouet, alias Voltaire (1694-1778), n’avait jamais prononcé ladite phrase! Certes, le philosophe était connu pour son anticléricalisme comme pour ses engagements dans la défense de la liberté d’expression, et si ces mots reflètent son opinion, c’est dans l’esprit et non dans la lettre. En fait, c’est bien plus d’un siècle après la mort du philosophe (1778) que l’on trouve la source de la fameuse phrase. Il s’agit de la traduction en anglais non pas des propres mots de Voltaire mais de sa conception de la liberté d’expression. C’est sa biographe anglaise Evelyne Beatrice Hall, alias Stephen G. Tallentyre (The Life of Voltaire, 1906) qui utilisa la célèbre phrase, nous apprend Sandrine Campese, «pour résumer la pensée voltairienne. I disapprove of what you say, but I will defend to the death your right to say it”, écrit-elle. Elle confirmera par la suite que c’était sa propre expression et qu’elle n’aurait pas dû être mise entre guillemets. Qu’elle soit due à la maladresse de l’auteur ou de l’éditeur, la citation a été rapidement traduite en français avant de connaître le succès que l’on sait» (2).

France, «Pays de Voltaire»? Étonnante mystification, plus étonnante encore au regard de sa pérennité! Car, enfin, pourquoi cette insistance à qualifier ainsi le pays de France? D’abord, sa fameuse et honorable déclaration de principe est apocryphe, on l’a vu, et, surtout, surtout que le même François-Marie Arouet, encensé pour sa «tolérance religieuse», était loin d’être irréprochable à l’égard des Juifs, qu’il malmène dans ses écrits plus que les Musulmans, d’ailleurs! Et comment, diable, peut-on encore invoquer Voltaire et sa fameuse tolérance, quand on lit par exemple ceci, dans son Dictionnaire philosophique: «C’est à regret que je parle des Juifs: cette nation est, à bien des égards, la plus détestable qui ait jamais souillé la terre (...). Le peuple juif était, je l’avoue, un peuple bien barbare. Il égorgeait sans pitié tous les habitants d’un malheureux petit pays sur lequel il n’avait pas plus de droit qu’il n’en a sur Paris et sur Londres»? Et, dans sa grandeur d’âme, le même homme des Lumières de conclure: «Il ne faut pourtant pas les brûler» (Sic). Plus tard, en 1942, et «grâce à des fonds allemands, le gouvernement de Vichy a publié un ouvrage intitulé Voltaire anti juif»… (3)

Vous avez dit : «Intolérance»?

Voltaire, chantre de la «tolérance religieuse», dit-on. Il faut lire: anticlérical, plus précisément. Mais d’un anticléricalisme égalitaire, pour ainsi dire: il fut aussi bien contre les curés que contre les rabbins et les imams. «Voltaire a donc une face cachée. En effet, il était à la fois misogyne, violemment homophobe, antijuif et islamophobe. Voltaire qui n’était pas athée mais déiste et même panthéiste fut hostile à toutes les religions. D’abord au christianisme dont il souhaitait la disparition car ce n’était pour lui que superstition et fanatisme.» (4)

Et… L’islam ? Voltaire en avait dit tout et son contraire. En France, seule sa tragédie-pamphlet est évoquée, jamais ses écrits dans lesquels le philosophe fait une sorte de mea culpa en faisant un éloge appuyé des principes de l’islam (y compris le principe de l’aumône)! Ce que l’intelligentsia française omet de préciser, c’est cet épisode : Goethe avait alors traduit ladite pièce en allemand, traduction qui parvint à la connaissance de Napoléon. Réaction de l’Empereur : «Je n’aime pas cette pièce, c’est une caricature!». Ce à quoi répondit le traducteur : «Je suis de l’avis de Votre Majesté, j’ai fait ce travail à contre-cœur. Mais dans cette tragédie, dans ces tirades contre le fanatisme, ce n’est pas l’islam qui était visé, mais l’Église catholique.»

Curieusement, en France, on n’aura retenu que ce qui dévalorise, rarement ce qui encense. Car, oui, Voltaire a écrit de belles pages sur le Prophète! Tout comme son contemporain, un autre des «Lumières», Montesquieu, qui, dans ses fameuses Lettres persanes, écrit: «Il n’y a rien de si merveilleux que la naissance de Mahomet. Dieu, qui par les décrets de sa providence avait résolu dès le commencement d’envoyer aux hommes ce grand prophète pour enchaîner Satan, créa une lumière deux mille ans avant Adam, qui, passant d’élu en élu, d’ancêtre en ancêtre de Mahomet, parvint enfin jusques à lui comme un témoignage authentique qu’il était descendu des patriarches.»

Vous avez dit «Intolérance»? Longtemps après Voltaire et les Lumières, la France produira tant d’intellectuels intolérants et sectaires, théoriciens du fantasmatique «Grand remplacement», comme si la France n’avait pas déjà connu plus d’un «remplacement»: après les Romains, les Francs auxquels elle doit son nom, la France schizophrénique continue de revendiquer comme ancêtres les Gaulois!...

(1) Notamment, le 22 juillet 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a sanctionné la France pour «privation de liberté inhumaine». Victimes : une mère et sa fille de 4 mois. Un an plus tôt, la même CEDH avait dénoncé les «conditions d’existence inhumaines et dégradantes» de demandeurs d’asile, contraints de vivre «dans la rue» pendant plusieurs mois et «privés de moyens de subsistance» (AFP, 22-7-2020).
(2) Sandrine Campese : https://www.projet-voltaire.fr/culture-generale/voltaire-citation-apocryphe-je-ne-suis-pas-d-accord-avec-vous/
(3) Philippe Mikaëloff, Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon Palais Saint-Jean
(4) Idem, Philippe Mikaëloff.

Salah Guemriche, essayiste et romancier algérien, est l’auteur de quatorze ouvrages, parmi lesquels Algérie 2019, la Reconquête (Orients-éditions, 2019); Israël et son prochain, d’après la Bible (L’Aube, 2018) et Le Christ s’est arrêté à Tizi-Ouzou, enquête sur les conversions en terre d’islam (Denoël, 2011).

TWITTER: @SGuemriche

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.