PARIS: Le Parlement achève mercredi son marathon budgétaire avec un ultime vote des députés sur le dernier projet de loi de finances du quinquennat Macron, malgré l'agacement des oppositions qui dénoncent ses visées électoralistes.
Passer du "quoi qu'il en coûte" au "quoi qu'il arrive", telle est la philosophie du ministre des Comptes publics Olivier Dussopt.
Après avoir ouvert les vannes de la dépense publique pour sauvegarder l'économie face au Covid, le projet de budget 2022 avait la délicate mission de la canaliser tout en tenant compte de la menace épidémique persistante.
Selon ses prévisions, le déficit sera ramené à 5% du PIB, mais l'endettement du pays atteindra des niveaux record à 113,5% du PIB l'année prochaine - loin des promesses de début de mandat d'Emmanuel Macron, épidémie oblige.
Au moment d'entamer la dernière ligne droite vers la présidentielle, l'exécutif peut cependant s'appuyer sur une prévision de croissance de 6,25% pour 2021 et de 4% pour 2022.
Droite et gauche ont toutefois peu goûté la performance vantée par le gouvernement, sur la forme comme sur le fond.
Elles dénoncent "un budget de campagne" et une méthode qui a consisté à muscler le texte à coups de milliards d'euros votés par amendements.
Plan d'investissement France 2030, plan pour Marseille, contrat d'engagement jeune pour les moins de 25 ans, mesures du bouclier tarifaire pour lutter contre la flambée des prix de l'énergie: le gouvernement a multiplié les promesses et annonces en les rajoutant au fil de l'eau de la discussion budgétaire.
"Ce sont des effets d'annonces qui auront par exemple très peu d'effets en termes d'investissement", tacle Eric Coquerel (LFI).
Régalien, plan France 2030, bouclier tarifaire: les mesures du budget 2022
Priorité au régalien, plan d'investissements France 2030, bouclier tarifaire contre la hausse des prix de l'énergie: le projet de loi de finances pour 2022 est marqué par une nette hausse des dépenses des ministères et table sur une croissance forte.
- Une forte reprise économique
Le projet de budget repose sur une prévision de croissance de 6,25% pour 2021 et de 4% pour 2022, une des reprises économiques les plus fortes de la zone euro, après l'une des récessions les plus massives en Europe (-8% en 2020).
Le gouvernement table sur un déficit public de 8,2% du PIB en 2021 et de 5% du PIB en 2022.
Grâce à la reprise, le ratio de dette publique ne devrait finalement que légèrement augmenter cette année à 115,3% du PIB, puis reculer à 113,5% en 2022.
- Les missions régaliennes à l'honneur
Les ministères régaliens tirent leur épingle du jeu de la négociation budgétaire, avec +1,7 milliard d'euros pour les Armées, +1,4 milliard pour l'Intérieur et +720 millions pour la Justice.
L'Education est également bien dotée (+1,7 milliard, après +4,3 milliards en 2021), notamment pour financer les revalorisations des rémunérations des enseignants, tout comme la Recherche (+760 millions d'euros).
- Baisses d'impôts
Le gouvernement maintient le calendrier des baisses d'impôts décidées avant la crise mais ne souhaite prendre aucune nouvelle mesure fiscale.
Les 20% de ménages les plus aisés verront leur taxe d'habitation réduite l'an prochain, après une première étape en 2021. Déjà supprimée totalement pour 80% des ménages, elle le sera pour tous les contribuables en 2023.
De même, l'impôt sur les sociétés passera à 25% pour toutes les entreprises, dernière marche d'une réforme engagée en 2018 dans le but d'améliorer leur compétitivité.
"Stabilité" du nombre de fonctionnairesA l'issue de ce dernier budget, le gouvernement prévoit une stabilité du nombre de fonctionnaires durant l'ensemble du quinquennat, très loin de la réduction d'effectifs de 120.000 agents publics au total préconisée par Emmanuel Macron dans son programme électoral en 2017.
- Plan d'investissement France 2030
Par un amendement voté durant les débats, ce projet de loi de finances décline le plan d'investissement France 2030 présenté par Emmanuel Macron en octobre. Il prévoit 34 milliards d'euros d'autorisations d'engagement durant plusieurs années avec une première tranche de 3,5 milliards en 2022.
Ils sont ventilés sur les différents objectifs attribués à France 2030, comme la "production en France d'au moins 20 bio-médicaments" (660 millions en 2022) ou l'ambition de "faire de la France le leader de l'hydrogène décarboné" (340 millions en 2022).
- Bouclier tarifaire
L'Assemblée nationale a validé le "bouclier tarifaire" promis par le gouvernement pour atténuer la hausse persistante des prix de l'énergie, via le gel des tarifs réglementés du gaz et une limitation à 4% du tarif réglementé de l'électricité début 2022. Une mesure de dédommagement est prévue pour les fournisseurs.
Les incertitudes entourant la flambée des prix de l'électricité ont conduit le gouvernement à faire adopter un nouvel amendement en deuxième lecture, octroyant la possibilité de bloquer unilatéralement la hausse des tarifs réglementés de vente (TRV) d'électricité.
L'indemnité inflation de 100 euros pour les Français percevant moins de 2.000 euros net par mois est quant à elle comprise dans le projet de loi de finances rectificative pour 2021.
- Contrat d'engagement jeune
Le gouvernement prévoit 550 millions d'euros en 2022 pour son nouveau contrat d'engagement jeune, un dispositif fléché vers les moins de 25 ans les plus éloignés de l'emploi, avec une allocation pouvant aller jusqu'à 500 euros par mois en échange de 15 à 20 heures de formation et d'accompagnement. Le dispositif, voté via un amendement gouvernemental, vise "au moins 400.000 jeunes" en 2022.
- Plan Marseille
Dans la foulée des déplacements d'Emmanuel Macron à Marseille, le budget prévoit des investissements pour la deuxième ville de France. En 2022, 32 millions d'euros de subventions directes et 100 millions d'euros d'avances remboursables sont destinés aux transports marseillais. Le gouvernement apporte aussi la garantie de l'Etat pour 650 millions d'euros d'emprunts de la future société chargée de piloter la rénovation des écoles de Marseille. Six millions de subventions directes sont également prévues en 2022 sur ce volet.
- Harkis
Cinquante millions d'euros sont prévus pour apporter une première concrétisation de la promesse d'Emmanuel Macron de "réparation" à l'égard des harkis, ces Algériens ayant combattu aux côtés de l'armée française durant la guerre d'Algérie.
Désormais unie derrière Valérie Pécresse qui avait accusé Emmanuel Macron de "cramer la caisse", la droite, qui prétend incarner le sérieux budgétaire, fustige la dérive des comptes publics.
Selon les calculs du président LR de la commission des Finances Eric Woerth, l'ajout de quelque 130 amendements en première lecture a gonflé de 12 milliards d'euros les dépenses par rapport au projet de loi de finances initial.
En deuxième lecture au Palais Bourbon, ce sont encore 500 millions de dépenses nouvelles qui ont été votées.
Baisse de la fiscalité
Entre-temps, le Sénat dominé par la droite avait refusé d'examiner la partie "recettes" du budget, entraînant mécaniquement le rejet de l'ensemble du texte. En nouvelle lecture mardi, les sénateurs ont voté une motion entraînant d'emblée son rejet.
La droite sénatoriale s'alarme du niveau des dépenses qui "hypothèque sérieusement l'avenir et obère les marges de manoeuvre de la prochaine majorité", mais le rapporteur général LREM à l'Assemblée Laurent Saint-Martin n'y voit qu'une "posture politique".
Les députés LR ont annoncé une saisine du Conseil Constitutionnel au motif de "l'insincérité" de ce budget.
Dans une campagne présidentielle où règne une quasi-unanimité pour sanctuariser les budgets des ministères régaliens, l'exécutif défend son bilan en affichant les augmentations promises par Emmanuel Macron sur les crédits de l'Intérieur, la Défense, l'Education ou la Recherche mais aussi la Justice.
Ces hausses n'ont rien d'une assurance anti-contestation, comme en témoigne la fronde d'une large partie du monde judiciaire qui crie misère, alors que la place Vendôme peut se prévaloir d'avoir augmenté de 8% en 2021 puis en 2022 son budget.
Au total, l'enveloppe pour les ministères a grimpé de 11 milliards d'euros.
Au rayon des promesses tenues, le gouvernement peut en outre se targuer d'avoir allégé la fiscalité des ménages et des entreprises de 50 milliards sur le quinquennat, au grand dam de la gauche qui s'offusque de ces "cadeaux" aux plus riches et au patronat.
Alors que Paris entend convaincre l'UE et en particulier la nouvelle coalition au pouvoir à Berlin d'assouplir les règles du pacte de stabilité européen et la sacro-sainte règle des 3% du PIB pour le déficit, l'examen du budget 2022 par le Parlement est le dernier dans son genre.
Dès l'année prochaine, la discussion budgétaire sera rénovée grâce à l'entrée en vigueur d'une réforme pilotée par Eric Woerth et Laurent Saint-Martin.
L'année budgétaire sera davantage calée sur le calendrier européen. Le débat parlementaire donnera davantage de place aux questions de dette et d'investissements. Reste à savoir qui à l'Elysée et à Bercy pilotera la prochaine politique économique du pays.