Pourparlers sur le nucléaire iranien: se préparer à l'échec

L'Amérique a-t-elle abandonné ses engagements historiques pour la sécurité au Moyen-Orient? Nombreux étaient ceux qui ont posé la question au secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, lors du dialogue de Manama la semaine dernière. (Fichier/AFP)
L'Amérique a-t-elle abandonné ses engagements historiques pour la sécurité au Moyen-Orient? Nombreux étaient ceux qui ont posé la question au secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, lors du dialogue de Manama la semaine dernière. (Fichier/AFP)
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Publié le Mardi 30 novembre 2021

Pourparlers sur le nucléaire iranien: se préparer à l'échec

Pourparlers sur le nucléaire iranien: se préparer à l'échec
  • L'Amérique est-elle disposée et prête à faire ce qu'il faut pour contrer les menaces stratégiques régionales, en particulier la possibilité que Téhéran devienne une puissance nucléaire?
  • Des responsables occidentaux affirment que les Israéliens étaient «à 100% certains» de frapper les installations nucléaires et balistiques de l'Iran, ainsi que d’être en mesure d’endommager gravement les arsenaux d'armes du Hezbollah

Tout le monde voulait poser cette même question au secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin lors du dialogue de Manama la semaine dernière: l'Amérique a-t-elle abandonné ses engagements historiques pour la sécurité au Moyen-Orient? Les nombreuses platitudes rassurantes et les références aux dizaines de milliers de soldats présents dans la région n'ont pas pu dissiper ces inquiétudes. L'Amérique est-elle disposée et prête à faire ce qu'il faut pour contrer les menaces stratégiques régionales, en particulier la possibilité que Téhéran devienne une puissance nucléaire?

Alors que les pourparlers sur le nucléaire iranien reprenaient le 29 novembre, j'ai demandé à tous les responsables américains que j'ai rencontrés à Manama quelles étaient leurs attentes. Alors qu'aucun d'entre eux ne s'attendait à des progrès, il y avait un manque flagrant de réflexion stratégique sur ce qui se passerait lorsque les pourparlers échoueraient inévitablement.

Lorsque j'ai insisté auprès d’un haut responsable américain sur la question de savoir si la solution militaire deviendrait finalement nécessaire, il a reconnu à contrecœur: «On pourrait très bien en arriver là.»

L'Europe, la Russie et la Chine restent empêtrées dans le déni de la gravité de la menace. Cependant, il semble qu'au moins certains des experts en politique étrangère de Biden ont sondé les abîmes et commencent à comprendre qu'ils doivent faire face aux conséquences de l'échec de ces négociations. Concernant les perspectives d'un retour à l'accord de 2015, l'envoyé du département d'État américain pour l'Iran, Robert Malley, a rétorqué: «Vous ne pouvez pas rendre la vie à un cadavre!»

Le général McKenzie, commandant du commandement central américain, a reconnu que l'Amérique développait «d'autres options» à la suite de l'échec des pourparlers: «Notre président a affirmé qu'ils n'allaient pas avoir d'arme nucléaire. Le commandement central dispose toujours de divers plans que nous pourrions exécuter, si nécessaire.»

Concernant l’avancée de l'Iran vers la capacité nucléaire, McKenzie a déclaré: «Ils en sont très proches cette fois. Je pense que l’Iran se plaît à l’idée franchir le seuil nucléaire. »

Après l’échec de sa visite à Téhéran, Rafael Grossi, directeur de l'AIEA, met en garde sur le fait que son institution «devient aveugle» en Iran en raison des entraves délibérées de Téhéran aux inspections de l'AIEA, au moment où l'Iran enrichit de l'uranium à 60 %. Grossi a précisé qu'il s'agissait d'un niveau de pureté que «seuls les pays fabriquant des bombes possèdent».

Le principal négociateur de l'Iran, Ali Bagheri Kani, rejette obstinément la légitimité des pourparlers, affirmant: «Nous n'avons pas de négociations nucléaires.» Kani attend simplement la suppression des «sanctions illégales et inhumaines». L'Iran a rejeté avec dédain les spéculations américaines sur un accord intérimaire. Par ailleurs, comment peut-on augmenter la confiance lorsque les deux parties ne s'assoient même pas dans une même pièce?

Les responsables iraniens répètent de façon fastidieuse leurs trois conditions irréalisables: Washington doit immédiatement lever toutes les sanctions imposées à l’Iran, garantir qu'aucune future administration ne sortira de l'accord et admettre avoir mal agi en se retirant de l'accord. Pourtant, Biden n'a aucun moyen légal d'obliger ses successeurs à se conformer à ses décisions. Cela ne peut être réalisé que par un accord bénéficiant du soutien des deux partis des États-Unis, en bloquant toutes les routes iraniennes vers les capacités nucléaires militaires.

Les sources internes de la Maison Blanche laissent transparaître une confusion politique générale en cas d'échec des négociations. Les options non militaires semblent se révéler inefficaces, d'autant plus que Trump a déjà imposé des sanctions sur toutes les cibles iraniennes imaginables. Biden et ses homologues européens ne veulent surtout pas envisager les pires scénarios. Pourtant, cette prudente réserve est précisément ce qui fait croire aux ayatollahs qu'ils disposent d’une réelle opportunité pour la puissance nucléaire.

«Les responsables iraniens répètent de façon fastidieuse leurs trois conditions irréalisables: Washington doit immédiatement lever toutes les sanctions imposées à l’Iran, garantir qu'aucune future administration ne sortira de l'accord et admettre avoir mal agi en se retirant de l'accord. Pourtant, Biden n'a aucun moyen légal d'obliger ses successeurs à se conformer à ses décisions.»

Baria Alamuddin

Comme l'ancien ambassadeur britannique Sir John Jenkins l'a déclaré dans un excellent article d'Arab News: «Le problème ne réside pas dans le nombre de soldats. Il s’agit d’une volonté politique. L'idée qu'une administration qui a clairement exprimé sa détermination à se retirer des conflits du Moyen-Orient cherchera à remettre l'Iran à sa place est un fantasme. Et Téhéran le sait.»

Malgré des actes de sabotage israéliens spectaculaires, les scientifiques iraniens se sont donné beaucoup de mal pour reconstruire et maintenir le développement nucléaire dans les délais, alors que des milliers de citoyens appauvris mouraient de l’épidémie interminable de Covid-19 et que la plus grande partie du pays souffrait d’un manque d'eau.

Selon des responsables du renseignement, Téhéran a remplacé les équipements endommagés par une nouvelle technologie qui fonctionne plus rapidement et à des volumes plus élevés. Par conséquent, le recours aux cyberattaques et au sabotage par à-coups n'a fait que pousser l'Iran à redoubler d'efforts.

Officieusement, des responsables occidentaux m'ont dit que les Israéliens étaient «à 100% certains» de frapper de manière décisive les installations nucléaires et balistiques de l'Iran, ainsi que d’être en mesure d’endommager gravement les arsenaux d'armes du Hezbollah, si les choses en venaient là.

Les responsables américains reconnaissent d’un air sombre qu'ils seraient entraînés dans un tel conflit. Le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, a déclaré que l'accord nucléaire de 2015 avait agi comme un «somnifère» pour Israël. Il s'est engagé à ne pas répéter les erreurs de son prédécesseur et a affirmé qu'Israël ne serait lié par aucun nouvel accord.

L'accession de l'Iran à la capacité nucléaire a des implications immédiates pour la sécurité mondiale. Comme avec la Corée du Nord, le monde serait contraint de lutter contre l'agression iranienne avec beaucoup de prudence, en raison de la possibilité qu'il fasse pleuvoir des armes balistiques et nucléaires sur ses voisins.

Contrairement à la Corée du Nord, l'Iran a déployé des forces le représentant dans toute la région, qui pourraient désormais agir en toute impunité, sous le couvert du parapluie nucléaire iranien. Plusieurs États de la région se préparent à développer leurs propres arsenaux nucléaires si l'Iran réussit à avoir la capacité nucléaire – une formule bonne pour l’Apocalypse dans la région de manière chronique la plus instable au monde.

Le dilemme américain est simple: si l'Iran veut à tout prix développer des armes nucléaires et que le monde est sérieux sur la question de stopper l’avancée de l'Iran, il n'y aura peut-être finalement pas d'alternative à une certaine forme d’intervention militaire, telle que des frappes chirurgicales pour éliminer définitivement les sites nucléaires. Il n’existe pas de moyens d’adoucir cette pilule.  

Les ayatollahs ne doivent pas se faire d'illusion sur le fait qu'ils peuvent faire silencieusement de l’obstruction systématique sur la voie menant à la puissance nucléaire.

L'ambivalence et la naïveté occidentales n’ont fait qu’aggraver les choses. Il faut dire sans ambages et avec force à l'Iran: si vous continuez dans cette voie, nous vous arrêterons!

 

  • Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d'État.

NDLR: Les opinions exprimées dans cette rubrique par sont personnelles et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com