PARIS: Un été très calme, moins de touristes, plus de télétravailleurs : le commerce parisien a déjà été frappé par la crise du coronavirus mais il va maintenant devoir « se réinventer » pour s'adapter à des habitudes de consommation bien parties pour durer, selon des experts.
Pour une fois, Paris est à la traîne. La consommation alimentaire y apparaît « bien plus à la peine depuis le déconfinement que dans le reste du pays, où on recolle aux tendances de l'année dernière », pré-coronavirus, explique l'experte en produits de grande consommation chez Information Resources Inc (IRI), Emily Mayer.
Le commerce dans la capitale a évidemment connu une situation critique avec le confinement et la fermeture des magasins dits non-essentiels. Mais il a aussi été plus durement frappé que dans le reste de la France, ne serait-ce que parce que certains Parisiens sont partis se mettre au vert. Et depuis le déconfinement, « certains clients ne sont pas revenus », observe Emily Mayer après une conférence organisée par la CCI parisienne.
Ses données s'arrêtent à fin juillet, quand le point bas a sans doute été atteint par les quelque 7.600 commerces alimentaires de la capitale (un « maillage très serré » puisque 97% des parisiens sont desservis à moins de 5 minutes à pied, selon l'Atelier parisien d'urbanisme). « Je n'ai pas de doute sur le fait que les chiffres vont remonter », assure-t-elle.
Mais sans même parler des inquiétudes persistantes sur la situation sanitaire, Paris voit deux de ses points forts durablement affectés : d'une part, les touristes, notamment internationaux, sont toujours beaucoup moins nombreux qu'à l'accoutumée.
« La baisse des ouvertures de boutiques de luxe permet de mesurer le choc lié à l'épidémie de Covid-19 », observe Antoine Salmon, du groupe spécialisé en commerce d'entreprises Knight Frank France. « Avec 34 inaugurations en 2019 à Paris contre 46 en 2018, celles-ci avaient déjà nettement diminué l'an passé » dans la foulée du mouvement des Gilets jaunes. Et « en 2020, seules 12 ont pour l'instant été recensées ».
Par ailleurs, le télétravail continue de peser sur les ventes de certains commerces. « Une des très grosses clientèles des Champs-Elysées, ce sont les salariés du huitième arrondissement », explique le délégué général du comité des Champs-Elysées, Edouard Lefebvre. « Le 8e, c'est 37.000 habitants pour 190.000 salariés, et l'évolution de la façon de travailler fait qu'on a une clientèle quotidienne non résidente bien moins présente dans les enseignes ».
«Phénomène de société»
Même constat à l'autre bout de la rue de Rivoli, pour la directrice du célèbre Bazar de l'Hôtel de Ville (BHV), Amandine De Souza. Depuis la réouverture, le BHV a d'abord connu -30% de fréquentation par rapport à 2019, pour se stabiliser « aux alentours de -25 à -20% selon les semaines ».
« Paris centre a plus souffert que la province et la périphérie, parce que les gens télétravaillent, sont partis se confiner et certains ne sont pas revenus », a-t-elle synthétisé mi-septembre. « On attendait de voir le mois de septembre, et ce qu'on voit pour l'instant c'est que la partie trafic est relativement stable ». L'enseigne compense toutefois par un taux de transformation (c'est-à-dire le nombre de personnes qui effectuent un achat) en progression, à quasiment 50% selon la dirigeante.
Emily Mayer rappelle en outre que le télétravail concerne notamment les cadres du tertiaire, c'est-à-dire une clientèle dont le pouvoir d'achat est souvent important. Elle se dit toutefois confiante quant à la capacité des commerçants à s'adapter, eux qui ont montré une « très belle énergie » pendant le confinement.
La mairie de Paris a en outre pris certaines mesures pour les épauler, notamment un allègement de charges de quelque 10 millions d'euros sur six mois, ainsi que des adaptations de contrats et exonérations de redevances décidées pour certains. En outre les collectivités ont mis en place un fonds « Résilience Île-de-France » de 100 millions d'euros pour soutenir les petites entreprises en difficulté.
Reste à savoir si ces tendances sont temporaires ou si elles vont durer. « Il y a un phénomène de société qui est en cours », estime pour sa part Edouard Lefebvre. « Comme dans toute crise, on observe un phénomène très conjoncturel, cette fermeture soudaine, qui se transforme en phénomène structurel », qui va demander à beaucoup de « se réinventer ».